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30.05.2016 #lifestyle

Pierre Banchereau

L’âme de Debeaulieu

Rue Henri-Monnier au cœur du 9ème arrondissement, la façade blanche de Debeaulieu sert de toile de fond à un assortiment toujours mouvant de plantes et de fleurs. Ensemblier de l’éphémère, Pierre Banchereau est un fleuriste qui sait capter au premier regard l’envie à l’état de graine. Ancré dans la vie du quartier, le trentenaire au regard perçant sait aussi bien satisfaire la clientèle venue chercher un brin de muguet que les marques prestigieuses qui apprécient sa capacité à devancer les désirs et à surprendre. Lorsqu’il parle de son travail, ses pupilles dansent de pétale en pétale, à la recherche de l’impalpable accord autour duquel son bouquet se construit. Rencontre dans « la plus jolie boutique de la rue, avec sa vitrine ancienne, son parquet patiné par le temps, sa hauteur sous plafond », cet écrin très parisien dans lequel le fleuriste s’amuse et invite ses visiteurs à laisser fleurir l’inattendu.

Je tiens à ma relation avec les clients, à passer du temps avec eux. C’est un luxe parce qu’il y a des choses que je refuse

Tu es le fleuriste dont tout le monde parle en ce moment, mais tu as une entreprise à taille humaine. Comment garde-t-on son authenticité face à cette notoriété ?

Le côté starisation ne m’intéresse pas. Il y a peu de temps, une journaliste m’a appelé en me disant qu’elle aimerait m’interviewer parce que je suis le fleuriste dont tout le monde parle en ce moment. Je lui ai répondu que cela tombait bien, puisque c’est tout ce que je ne veux pas être. C’est vrai que la mode et le luxe sont des gros consommateurs de fleurs et qu’étant assez sensible à ces milieux-là, je comprends ces marques et ces codes. Du coup, lorsque je rencontre les DA ou leurs collaborateurs, ça matche vite. Mais le côté éphémère me fait peur. C’est aussi ça un créatif, il faut se renouveler, anticiper, se nourrir et sentir l’air du temps. Je tiens énormément à ma relation avec mes clients, à passer du temps avec eux. C’est un luxe parce qu’il y a des choses que je refuse. Au-delà du côté développement de l’entreprise, il y a un côté humain qui m’importe tant en interne avec mes équipes qu’en externe avec nos clients.

Avant d’être fleuriste, tu travaillais dans un cabinet de recrutement.

Aujourd’hui, on est amenés à changer de métier, de vie. Toutes les semaines, des gens me contactent pour me féliciter, me dire qu’eux-mêmes aimeraient avoir une démarche similaire. Dans cette période de crise économique, ce n’est pas évident. A la suite d’études en sciences humaines, je suis entré dans un cabinet de recrutement dans la santé et l’industrie pharmaceutique. C’était un secteur où il y avait tout à faire, j’ai évolué et j’y suis resté dix ans.Même si j’adorais mon métier, c’est un job hyper stressant, beaucoup de pression, très commercial. Je me souviens que l’une de mes méthodes pour me détendre était de me mettre les mains dans la terre, m’occuper de mon petit balcon. Et puis je me suis aperçu que j’y trouvais plus qu’un loisir pour m’apaiser.

Qu’est ce qui t’a attiré au départ, le décoratif ou le floral ?

C’est l’ensemble. J’aime le collaboratif, comprendre le DA et faire quelque chose de cohérent et de beau, sans prendre le dessus. Pas uniquement vendre des fleurs.

Quel a été le déclic de ta reconversion professionnelle ?

En tant que consommateur de fleurs, je trouvais qu’il y avait souvent les mêmes propositions dans les boutiques, des orchidées, des roses blanches très bombées et statiques.
J’ai contacté des professionnels de ces métiers par mail, en leur disant « Je suis actuellement chasseur de tête, votre métier m’intéresse, peut-on se rencontrer? » J’ai eu très peu de retours. (Rires.) Petit à petit, j’ai affiné ce projet. Et à la fois, en parallèle, ça me confortait dans l’idée que je voulais arrêter mon ancien métier. Il y avait peut-être la crise de la trentaine un peu tardive qui était là aussi.

Pourquoi faire le choix du métier de fleuriste plutôt qu’un autre métier dans l’univers décoratif ?

L’éphémère a été l’un des premiers critères de choix des différents métiers qui m’intéressaient. C’est pour cela qu’on ne fait pas de photos. Je préfère laisser le souvenir du bouquet qu’une image du bouquet.

Que t’a apporté cette reconversion ?

Le fait d’avoir eu une vie autre, j’ai un regard neuf et des envies différentes. Forcément, je ne m’attarde pas ou ne respecte pas les « codes » des fleuristes. Hélas, beaucoup de jeunes se retrouvent dans la filière parce qu’ils n’étaient pas bons à l’école, on les y a poussés parce qu’ils aimaient les fleurs. Ils se disaient qu’ils allaient apprendre le goût ou l’esthétisme à l’école. Mais l’école n’apprend que la technique, la botanique. Le goût se cultive par ailleurs. La formation est très courte, six semaines en total à l’Ecole des Fleuristes de Paris. C’est enrichissant humainement parce que tu te retrouves dans un groupe où tout le monde a la même finalité mais personne n’a le même univers, la même génération. J’ai passé mon CAP en candidat libre puis le diplôme. J’ai fait mes stages, chez trois fleuristes différents. L’un d’eux m’a dit « ce que vous avez appris à l’école, je vais vous le désapprendre. » Tout de suite, je me suis dit qu’on allait bien s’entendre.

Tu as choisi le nom de famille de tes grands parents ?

La résonance de Debeaulieu symbolise une démarche : un pied dans le passé, un pied dans l’avenir. Disons que ce sont mes grands parents qui, petit, m’ont emmené dans le jardin, m’ont sensibilisé à une esthétique, Aujourd’hui, ils ne sont plus là, mais l’enfance apporte énormément de références. Quand je vois à Rungis des fleurs de mon passé je les prends même si je sais qu’elles se vendront mal. Et paradoxalement, elles vont plaire à mes clients dans la mesure où elles dégagent des sentiments. Beaucoup de gens pensent que Debeaulieu est un jeu de mots.

Quels sont les préceptes de la composition florale contemporaine ?

Mélanger les couleurs. Etre subtil, associer du désuet ou de l’exotique. Ce qui importe souvent, c’est le vase.  Tu peux avoir un joli bouquet et un vase mais qui ne matche pas. Je me bats sur ce point. Je m’assure toujours qu’il y ait un équilibre.
Dans mes sélections, il m’importe de mixer les provenances. A Rungis, il y a un espace qu’on appelle Le Paris, et qui est dédié aux producteurs de la région parisienne, avec leurs stocks de tulipes, de jonquilles ou de roses de jardins. Ayant dépassé l’âge de la retraite, ce sont des passionnés qui viennent parfois pendant leurs vacances, juste pour prendre un café, à 4h du matin.  Il y un côté mondialisation du marché avec les poids lourds, la Hollande, l’Asie, l’Amérique du Sud, l’Afrique et ces petits producteurs locaux.

Je dis toujours à mes collaborateurs que je ne veux pas voir deux fois le même bouquet.C’est pour ça qu’en boutique, on ne prépare jamais de bouquet à l’avance, l’idée c’est de faire une rencontre avec un client. Je compare souvent le fleuriste au coiffeur. Chez le coiffeur, tu passes un moment, il y a un lien, une intimité que se créé. On connait la vie de son client. Ici aussi, on est là pour passer un bon moment et apprendre des choses. Lorsqu’ils repartent, les gens ont le sourire.

Finalement, ta vie dans les ressources humaines te permet-elle de mieux capter cet impalpable qui permet de se distinguer dans un service hautement personnalisé ?

J’aime travailler des fleurs un peu connotées, oubliées, mal aimées

Lorsque quelqu’un rentre en boutique, on observe l’attitude, la façon de parler, la tenue vestimentaire, à qui il veut offrir des fleurs. En effet, mon ancien job m’a aidé à anticiper les profils, sans parler beaucoup. Les clients se sentent compris.

Où se situe le kitch ?

J’aime travailler des fleurs un peu connotées, oubliées, mal aimées. C’est toujours une question d’association. L’œillet par exemple, est une fleur généreuse, il y a des couleurs, une générosité avec ses pétales. Elles ont un parfum incroyable quand c’est la pleine saison. Je trouve ça hyper frais. C’est la même chose en automne avec les chrysanthèmes. C’est d’un graphisme hyper intéressant, très moderne.

Comment concilies-tu la création sur commande avec ta patte artisanale ?

J’aime travailler avec les marques ou les maisons parce que c’est collaboratif. Il faut d’abord comprendre l’ADN, voir les produits, leurs inspirations et ensuite, on apporte la touche « debeauliesque ». J’ai souvent la chance qu’on me laisse une vraie liberté dans les propositions. Il m’est arrivé d’avoir des briefs où l’on m’impose des sélections précises : 3 roses rouges, 2 tulipes jaunes et un freesia. Là, je me demande ce que je fais là. Généralement, nous refusons ce genre de brief.

Quelles sont les influences qui éclairent ton esthétique ?

Des univers très hétéroclites me parlent. J’adore le classicisme des jardins d’hiver du 19ème, ce côté retour d’expédition où on ramène une plante étrange dans un coloris un peu spécial. La couleur revient toujours, même dans les plantes. Et je peux aller vers des ambiances Visconti, le Guépard, la Sicile baroque avec toutes ces matières, ces poteries, ces céramiques. Cette lumière du Sud un peu sèche et à la fois, ces réceptions flamboyantes, dorures et bouquets décoratifs à n’en plus finir. Je suis en grand fan du Memphis Group. C’est intéressant d’essayer de travailler la fleur par rapport à des mouvements au sein desquels les fleurs étaient quasi-inexistantes. C’était un peu statique. Je suis fasciné par Diana Vreeland, ce genre de femme, d’une beauté qui donne des frissons. Parallèlement, je suis aussi attiré par les formes plus minimales, plus racées, graphiques. Ce fut le cas lors de ma contribution au Festival International de Photographie et de Mode à Hyères, on a fleuri la villa Noailles. J’étais hyper excité car je suis un grand fan de Mallet Stevens. En architecture plus contemporaine, j’aime le travail de Tadao Ando avec ce béton, ces matières brutes et mattes. Et puis Hans Peter Feldman, qui a fait un travail extraordinaire sur la fleur.

Ton propos floral est-il le point de départ d’un travail artistique, étant donné ton rapport pictural à tes bouquets ?

Comme un peintre, je ne sais pas ce que je vais faire. Ce n’est pas une vocation contrariée ! Le plus difficile c’est d’expliquer à des collaborateurs ce que tu souhaites. J’essaie de transmettre mes inspirations. Pourquoi mettre telle fleur avec telle autre. Chikako, mon employée la plus ancienne, m’a dit que le style Debeaulieu n’était pas facile à appréhender. En même temps, il y a des choses qui ne sont pas faciles à expliquer… Ou que je n’ai pas envie d’expliquer.

Propos recueillis par Lily Templeton.

Portraits et natures mortes : Virgile Guinard 

Compositions Debeaulieu pour les espaces de l’agence Artdicted.

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