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21.12.2016 Hôtel de l'Industrie #art

La Source

L’art et la famille de La Source

 

L’art est une manière de permettre à un enfant de s’épanouir, de lui donner le sens des responsabilités, de la liberté

Par une pluvieuse soirée d’hiver, la place Saint Germain-des-Prés est curieusement animée. Ce n’est ni le cinéma tout proche, ni le marché de Noël, ni même les devantures de La Hune ou de Louis Vuitton qui occupent les germanopratins. Ce qui attire, cette fois, ce serait plutôt les invités qui entrent les uns après les autres à l’hôtel de l’Industrie, et les objets qu’on aperçoit à chaque tour des portes tambour.

 

En 19 éditions, La Source et son fondateur, le peintre et sculpteur Gérard Garouste, ont installé un véritable rendez-vous, tant pour les plasticiens, créateurs et designers qui participent d’édition en édition. Tout d’abord autour d’un projet d’avenir, avec les actions visant à développer l’expression artistique d’enfants et jeunes défavorisés. Ensuite parce qu’autour de la famille Garouste s’est fédérée une véritable communauté de coeur: Philippe Starck, Jean-Charles de Castelbajac, l’architecte Jean-Michel Wilmotte, ou encore Christian Louboutin et India Mahdavi ne sont que quelques uns des noms qui sont venus à La Source, donnant à la fois leur temps créatif puis le fruit de leur création pour la vente. “Le mot clé de La Source, c’est la transmission,” rappelle Garouste. “Celle d’un adulte, ici un artiste, qui dit à un enfant que l’utopie, c’est une force, un imaginaire et la capacité à se faire confiance, et qui l’accompagne sur ce chemin de la confiance en soi.”

 

Ce 12 décembre, les amis de La Source se sont donnés le mot et sont présents pour admirer, commenter, convoiter ces créations qui partiront plus tard dans la soirée sous le marteau de Simon de Pury. Au centre de toutes les attentions et tous les regards cette année, une création de Jasper Morrisson: la famille Cork. Avec sa silhouette simple et ses dimensions modestes, sans parler de sa matière d’une humilité sans artifice, on le prend souvent pour un tabouret. Pourtant, le Cork, dessiné en 2004 par le designer anglais, a plus d’une fonctionnalité dans sa forme. Tour à tour table basse, tabouret, socle pour objets et désirs, il est rapidement devenu un objet phare pour Vitra, son éditeur. Une famille au lieu d’un seul objet, comme une mise en abîme des familles de l’association: celle des enfants qui bénéficient de ses actions, celle des artistes et la famille Garouste elle-même, moteur à mouvement perpétuel du projet. Pour La Source, 53 talents de l’art, du design, de l’architecture et de la création ont réinterprété ses trois déclinaisons, comme autant de facettes d’une même volonté: celle d’ouvrir grand les portes de la création à tous. Rencontres croisées.

Que représente la famille Cork pour vous ?

GERARD GAROUSTE : A chacun son aventure. Ce qui est drôle dans une vente comme ce soir, c’est que chacun part de son imaginaire. Moi je trouve que cette pièce – qui peut être un tabouret, qui peut être une table – pour moi a tout de suite évoqué une bobine. Qui dit bobine dit fil, qui dit fil, pour moi c’est le fil d’Ariane. Et s’il y a le fil d’Ariane, le Minotaure n’est pas loin. C’est donc un très beau sujet de tableau qui tourne autour de la mythologie et moi, tous mes tableaux tournent autour de la mythologie. Et quelque part, chaque œuvre est un peu la “bobine” de l’artiste qui l’a fait, vous savez.

 

DOROTHEE MEILICHZON : C’est un grand classique de Vitra que tout bon designer connaît et que j’aime beaucoup avec ses petites proportions. Vu que l’association est pour les enfants, nous aimions l’idée d’en faire quelque chose d’enfantin. Le personnage s’est dessiné assez naturellement.

 

MATHIAS KISS : En général, le Cork, c’est du minimalisme, de la praticité, de la négation d’ornement et de matière, un gros « bouchon » sur lequel on peut s’asseoir. Là ce qui est intéressant dans cette démarche de customisation d’artistes pour La Source, c’est justement de l’habiller : lui mettre des pattes, une queue, des grelots, et d’en faire un objet drôle et ludique, à contrario de sa fonctionnalité initiale.

 

REGIS R : Un tabouret en liège, non? Ce n’est peut-être pas le seul au monde, mais c’est déjà beaucoup.

 

GUILLAUME DELVIGNE : Le “tabouret” Cork pour moi c’est un peu une icône. Il y en a plein chez Vitra mais ça fait partie à la base. J’étais tout jeune designer quand il est sorti et ça m’a beaucoup marqué. C’est assez représentatif du travail de Jasper Morrison donc c’était un peu un monument auquel s’attaquer.

 

FRANCK EVENNOU : Mon choix s’est porté sur celui qui m’inspirait plus que les autres, et donc j’ai trouvé qu’il ressemblait à un bouchon, et donc je me suis dit que c’était pas idiot de faire d’un bouchon un tabouret de bar, ça faisait sens. Et donc pour arriver à la hauteur standard d’un tabouret de bar, j’ai réalisé un empiètement en bronze qui suit l’inclinaison du pied du bouchon en liège et de tel sorte à suggérer aussi un peu aussi un muselet de bouchon de champagne. J’ai voulu faire une pièce qui soit structurée et élevée, aérienne et légère avec ce petit rythme, comme ça tout simple. Et voilà.

 

FERRÉOL BABIN : C’est premièrement une pièce emblématique, pas évidente à modifier et en même temps, une pièce assez neutre pour pouvoir la sculpter, la tailler, la transformer…

 

ROBIN ERIC : Pour moi ça représente un challenge, comme chaque pièce de La Source. L’avoir devant soi pendant des semaines, le regarder, passer à côté, réfléchir à ce qu’on va bien pouvoir lui faire, c’est donc une récréation en réalité. Je sais que je vais prendre beaucoup de plaisir à le réaliser.

 

BACHELOT CARON (Louis Bachelot) : Il représente une bobine. Ce n’est pas évident comme objet, mais qui, du coup, donne beaucoup d’inspirations.
(Marjolaine Caron): Nous avons copié la forme initiale en céramique et il en sort une sorte de récipient de laquelle jaillit quelque chose, une matière un peu mouvante. C’est un peu organique.

 

CLO’E FLOIRAT : La simplicité poussée à son extrême.

 

ERIC GIZARD : Juste une forme. Ce n’est qu’une forme, la quintessence de la forme la plus simple qui soit, le diabolo, comme ça, cette double forme. C’est du design dans toute son essence primaire parce que c’est vraiment la chose la plus évidente donc c’est ça qui est intéressant. Il y a pas de prétention, c’est un objet simple, évident et qui est clair et précis.

 

KUNTZEL ET DEYGAS :  Dans le liège, c’est l’absorption des sons qui nous a tout de suite frappé, le côté objet en liège, c’est à Proust avec ses murs en liège. Ca me faisait penser un peu à ces tabouret pour les sculptures africaine, en faite des fois elles sont posées sur quelque chose de, voila, il y a un pied, un siège quelque chose comme ça, un siège pour une idole.

La source

Quel a été l’élément déclencheur de votre vocation artistique ?

GERARD GAROUSTE : Mon sentiment, c’est qu’il y a pas eu d’élément déclencheur. Ça vient plutôt d’une sensation d’échec dès ma petite enfance, où j’ai eu beaucoup de difficulté à m’adapter à l’école. La seule chose qui m’a sauvé de l’échec, ce n’est pas la tete mais ce sont les mains et donc je me suis mis à dessiner. J’avais de mauvaises notes et le seul moment où j’existais un peu c’était lors de la fête des mères et qu’il fallait que je fasse les dessins des petits copains, et où j’avais l’impression d’être au niveau de la classe. Le dessin et la peinture sont venus à moi un peu pour me sauver. C’est pour ça que j’ai créé La Source, d’ailleurs. L’art est une manière, avant tout, de permettre à un enfant de s’épanouir, de lui donner le sens des responsabilités, de la liberté.

 

MATHIAS KISS : Elle s’est éveillée enfant, dans l’envie de m’échapper à ma condition. L’ennui et la frustration génèrent des rêves où l’on imagine un chevalier, une grande tour et un dragon. Je pense que c’est le meilleur moteur du désir. J’ai eu un parcours d’enfant très chaotique. Des éducateurs m’ont aidé, m’ont sauvé quelque part. Donc, aujourd’hui, ayant trouvé ma voie, j’essaie modestement de pouvoir aider. Si enfant peut être amené à un cours de théâtre, cela  doit lui ouvrir des fenêtres sur un autre monde, le nourrir et le rend heureux.

 

REGIS R : C’était les dessins de mon père. Et Tintin et Milou, que j’adorais.

 

OLIVIER MASMONTEIL : J’ai toujours adoré le dessin et dessiné. Adolescent, je faisais beaucoup de bandes dessinées. Un jour, quelqu’un m’a dit, il faut que tu apprennes à dessiner. Quand j’ai commencé la peinture, c’était parti, ça ne m’a plus jamais quitté.

GUILLAUME DELVIGNE : C’est par le dessin que je suis venu au design. Je ne me suis jamais posé la question. Petit, j’avais tout le temps envie de dessiner. Il y avait déjà un peu ça dans ma famille mais très vite, ça s’est porté sur des objets, vers 12-13 ans. J’ai commencé à mettre le mot design dessus et puis c’était parti, je me suis lancé dedans assez simplement.

 

FRANCK EVENNOU : J’ai toujours travaillé les matières et naturellement, je suis entré dans ce métier. Bien que je ne puisse pas dire qu’il y ait eu un véritable élément déclencheur, il y a eu les expositions, le goût pour les musées et le fait que j’ai toujours beaucoup dessiné. Mais je me rendais compte que le dessin et la peinture n’étaient pas pour moi parce que ce n’est pas la couleur qui l’intéresse mais le rythme, les 3 dimensions, les matières, les textures. La sculpture s’est donc imposée à moi naturellement.

 

FERREOL BABIN : C’est à peu près le seul langage avec lequel je peux m’expliquer clairement, autre que les mots.

 

BACHELOT CARON (Louis Bachelot) : La liberté, l’envie d’être tranquille, c’est l’élément déclencheur en permanence, c‘est celui qu’on a eu jeune qu’on retrouve. Tout le temps c’est ça c’est la liberté, c’est l’idée de pouvoir faire des chose en recherchant la liberté, ce qui est vachement dur.

 

CLO’E FLOIRAT : Ayant baigné dans un milieu artistique, je croyais qu’il n’existait rien d’autre. Même si je réalise aujourd’hui le champs des possibles et que j’ai l’impression de n’avoir pas eu le choix, j’évolue au sein même du champ de l’art en commençant par l’architecture, et en étant maintenant critique d’art en dessin.

 

ERIC GIZARD : Moi, je suis un tardif, un autodidacte, j’ai commencé à faire ce métier à l’âge de 21 ans. Par le biais de rencontres, je me suis mis à travailler d’abord l’architecture d’intérieur, puis le design. Le second fait partie du premier, pour moi. Je trouve qu’on est vraiment dans cette idée de culture française où le décorateur ensemblier faisait tout. Je dis toujours que pour commencer un projet, il faut d’abord dessiner la poignée de porte et ensuite dessiner la maison autour. Cela permet d’avoir une échelle humaine autour du projet.

 

ELIZABETH GAROUSTE : C’est une longue histoire, depuis la petite enfance. J’ai toujours traîné aux Arts Décoratifs dans les ateliers pour enfants, fait tous les ateliers pour les moins de 15 ans, puis les autres. J’allais dans une école où les professeurs étaient des artistes et des peintres de l’école classique. Cela m’a complètement donné envie. Et puis pour moi, les objets étaient vivants.

 

KUNTZEL ET DEYGAS : (Florence Deygas) Pour moi c’est un peu à la poursuite du mouvement et raconter des choses en mouvement.
(Olivier Kuntzel) De mon côté, c’était faire de l’affiche. Je suis plutôt attiré par l’affiche publicitaire artistique. Le vrai point de départ en commun à nous deux c’est être capable de raconter une histoire en quelques signes, avec peu d’éléments. Il y a une écriture, on a nos idées fixes qui reviennent et on peut arriver à écrire des histoires effectivement.

Comment définiriez-vous la famille artistique de la Source ?

GERARD GAROUSTE: C’est le mariage entre deux familles. La Source est de l’ordre du lien. Entre l’école et l’association par l’art, mais celui entre les parents et les enfants. Une fois par an, les ateliers font une grande fête où tous les travaux sont exposés. Les enfants sont fiers de montrer ce qu’ils ont fait à leurs parents. Les élus locaux et politiques sont présents, les parents sont fiers aussi. Il y a une espèce d’échange entre eux. Quant aux artistes, du côté de cette famille, ils sont contents d’être dans cette aventure qui est ludique. Les artistes sont d’abord eux-mêmes des enfants qui ont oublié de grandir. A La Source, on est là avant tout pour s’amuser. De manière ludique, on touche à des sujets graves et sérieux, des cas de familles où les choses ont été difficiles. Quand on fait des ateliers de lecture, d’alphabétisation ou qu’on nous demande de faire des atelier de rééducation de l’écriture, on retranscrit la lecture, l’écriture au travers de jeux de l’art.

 

MATHIAS KISS : On y trouve quelque chose d’assez ludique. Cela ressemble à une bande de joyeux lurons auxquels j’ai forcément envie de faire partie. On ressent les univers, la vocation et les savoir-faire de chacun, mais surtout leur personnalité grâce aux histoires qu’ils racontent à travers un manège, une aiguille ou bien un bulbe. C’est assez cohérent et cela ressemble à un joli bazar d’une chambre d’enfant.

 

IONNA VAUTRIN : À la fois éclectique et riche. Plein de gens venant de plein de sensibilités et d’univers différents, voilà c’est ce qui crée sa richesse.

 

OLIVIER MASMONTEIL : Ce sont des gens impliqués dans la société et dans la vie, des artistes aimant s’impliquer dans la vie sociale.

 

FRANCK EVENNOU : Le dénominateur commun c’est l’intérêt que chacun de ces artistes a pour La Source, cette démarche merveilleuse que Gérard Garouste a initié. Je pense que tous les artistes sont sensibles à cela. Nous avons des écritures différentes, provenons tous de mondes différents, d’influences différentes, de styles différents et c’est ce qui fait la richesse d’une telle exposition. C’est la création d’une oeuvre originale qui se confronte aux autres, parce qu’ici, il n’y a pas une oeuvre qui se ressemble.

Introduction par Lily Templeton
Propos recueillis par Lily Templeton, Nada Debeaumont, Natalia Mladenovic et David Herman
Photos de Virgile Guinard

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