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19.05.2011 #art

Radu Mihalaileanu

Radu Mihalaileanu sait mieux que quiconque filmer les femmes et la beauté. Après Le Concert, acclamé par le public, il revient avec La source des femmes, en lice pour la Palme d’Or. Rencontre sur la plage du Majestic.

Le travail de mémoire est central dans toute votre œuvre, selon des points d’entrée très différents. Quel est la cohérence du tout? Est-ce une ligne directrice voulue?

Ce n’est pas si conscient et rationnel que ça. Dans ma vie, je me pose beaucoup de questions sur le présent et le futur. J’essaie d’anticiper, de voir clair sur ce qui nous arrive aujourd’hui et ce qui risque de nous arriver. Le passé est une mine inépuisable de réflexion. On essaie d’apprendre des choses positives et négatives de nos expériences et d’en tirer des conclusions pour, d’une part, s’améliorer, et d’autre part mieux anticiper l’avenir.

Dans mes films, je pense avoir plusieurs thématiques qui semblent m’obséder : l’identité, l’altruisme, la richesse de l’autre dans une époque où on a de plus en plus peur de l’autre. La beauté aussi. Je suis quelqu’un qui s’émerveille tous les jours de la beauté qui m’entoure, sans être inconscient de la barbarie de ce monde. Mais les choses positives demeurent malgré ça.

Avez-vous déjà pensé à la thématique de votre prochain projet ?

C’est en cours d’écriture. Ca fait déjà deux ans qu’on écrit. J’ai pris cette habitude d’écrire un projet avant de réaliser le précédent, et de l’arrêter entre temps pour prendre un peu de recul dessus. Je peux ensuite plus rapidement détecter les modifications, les défauts.

 Quelle est la genèse de La source des femmes. Croyez-vous en la grève du sexe comme instrument de torture?D’une part, c’est un vrai fait divers qui a déclenché tout ça. Dans un village turc très musulman (mais modéré), les femmes qui allaient chercher l’eau en haut de la montagne depuis des siècles en ont eu ras le bol, et ont décidé de faire la grève du sexe, jeunes comme moins jeunes. Quand j’ai lu ce fait divers, j’avais connu dans les pays maghrébins quelques femmes qui m’avaient ouvert leur cœur, raconté leurs bonheurs, leurs malheurs, leurs questionnements. Je me suis rendu compte combien peu les connaissaient en Occident, bridés par leurs clichés : femmes voilées, sans envie, sans humour…. Et j’ai en fait découvert une zone assez méconnue.

La thématique de l’eau, d’autre part, m’intéresse énormément. C’est l’énergie la plus importante aujourd’hui, qui sera de plus en plus prégnante dans les années à venir, et qui mènera certainement à des conflits mondiaux majeurs. On commence à manquer de plus en plus d’eau, à localiser précisément les réserves d’eau, comme si on anticipait les conflits. Mais, l’eau est source de vie et source d’amour. Il y a une métaphore et un parallèle. Comme par hasard aujourd’hui la sécheresse avance, et le désert avance. Et, en même temps, la sécheresse du cœur. Les gens sont de plus en plus idéalistes et regardent de moins en moins l’autre. Ce sont les thèmes de réflexion de ce film.

Bien sûr l’humour, aussi. J’ai toujours besoin de cette lumière-là. Dans ces pays, malgré la tragédie, il y a toujours de l’humour, de la joie. Mais aussi de la sensualité, ce qu’on méconnaît. La culture arabo-musulmane est remplie de sensualité. Eux-mêmes parfois l’oublient : les mille et une nuits, les chants, les danses, les épices… Tout ça participe à la sensualité et à l’humour.

Quelle lecture faites-vous du « printemps arabe » en Afrique du nord, et plus récemment au Maroc?

Je suis attentivement tout ce qui se passe. La dynamique, l’envie d’avancer sont enthousiasmants. Mais il faut analyser pays par pays, car les conditions sont très différentes de l’un à l’autre. J’ai aussi le plaisir d’analyser tout ça au prisme de la participation des femmes dans cette révolution. Elles nous enseignent quelque chose. L’exemple probant est la Tunisie : les femmes ont énormément participé à la révolution, car impliquées très tôt dans l’éducation. Dans la société elles avaient instauré une sorte de parité. Donc forcément elles ont joué un rôle majeur, et se sont intéressées au problème. Elles étaient dans la rue, et maintenant participent à la vie politique, via des associations. C’est un vrai progrès et une vraie chance de démocratie. Dans d’autres pays comme l’Egypte ou le Yemen, on voit que même la démocratie est beaucoup demandée par les hommes. Les femmes n’ont pas accès à cette demande. Je suis plutôt inquiet, même s’il y a un pas en avant de fait. La révolution à la maison n’est pas faite. Et tant qu’elle ne l’est pas, c’est plus compliqué dans la rue. Il y aura un soubresaut, mais peut-être pour revenir en arrière un peu.

Au Maroc c’est différent car c’est un pays plus démocratique. Le nouveau roi est beaucoup plus ouvert que son père, il a libéré un grand nombre de prisonniers politiques, les a laissé s’exprimer, et a donné une loi pour le droit de la femme et la famille. Ce que les manifestants demandent en fait, là-bas, c’est un royaume avec un exécutif plus libre. A voir.

Pourquoi votre film concourt sous le drapeau marocain?

 Pour plusieurs raisons : d’une part il est co-produit par le Maroc. D’autre part le pays est très impliqué dans le film. Il parle d’une culture arabo-musulmane, la langue est le dialecte marocain appelé le Darija. Et il y a beaucoup d’acteurs marocains. Artistiquement, c’est plus un film d’identité marocaine. Il était naturel de se dire que le Maroc nous avait en grande partie aidé, la production a été formidable. C’était donc normal de lui rendre la pareille en les remerciant de la sorte.

Pour vous l’apatride a-t-il une réelle valeur?

C’est drôle parce que j’étais moi-même apatride il y a quelques temps. Je viens de Roumanie, et avec la politique de Ceausescu, je ne me reconnaissais plus dans les valeurs du pays. C’était trop lourd à porter et je ne voulais pas qu’on me colle cette étiquette. J’ai rêvé de ce statut d’apatride, de citoyen du monde, bien que secrètement je me sente de plus en plus français. C’est beau poétiquement, mais concrètement c’est une vraie galère administrative. Au lieu d’être libre de voyager dans le monde entier avec ce passeport, on doit faire un visa pour chaque pays. J’ai la nationalité française depuis maintenant 30 ans.

Parlez-moi de vos actrices, Mélanie Laurent hier, Leila Bekthi aujourd’hui, votre relation avec ces femmes.

Je suis très complice avec elles. C’est une relation très amicale. Leila par exemple, est devenue une vraie petite sœur depuis le tournage. J’ai besoin de construire une relation très proche avec mes acteurs, au-delà de ce que le film demande, car c’est dans ces territoires que je cherche la magie. Il y a une partie incontrôlable d’où la magie peut sortir. Pour Le Concert, Mélanie m’a offert une séquence sublimissime qui n’était pas envisageable. Nous avons construit cela ensemble par une relation, une confiance, qui peut faire jaillir une beauté transcendantale. Tout acteur qui a un certain talent a un côté caché. Ce qui m’intéresse, c’est de dénicher ce que les autres n’ont pas pu voir. Leila est une vraie femme à l’écran, avec une belle voix rauque, et a une richesse intérieure incroyable qu’elle n’osait pas exprimer. Etre acteur c’est révéler sa richesse.

Dans ce casting justement, votre fils Gary tient un petit rôle. C’est la première fois?

 Ca fait longtemps qu’il fait le pitre, mais jusqu’à 16 ans je lui ai interdit de jouer dans des films, partant du constat que tous les acteurs ayant commencé tôt se sont abîmés par la suite, ont une vie difficile. Ils ont raté leur enfance, sont entrés trop tôt dans le monde des adultes. Je voulais donc le protéger et attendre la confirmation que c’était pour lui une vraie passion et non un hobby passager. Mais, comme le virus a duré, que je le trouve très doué et qu’il a une vraie gueule qui accroche la caméra, j’ai finalement décidé de le soutenir, et de le lancer.%u2028J’ai eu le bonheur de le filmer pour un petit rôle, et je le trouve extraordinaire. Il n’en a jamais trop fait, était un acteur comme les autres. Pour l’anecdote, on tournait tous les matins a sept heures, réveil à quatre. Même les lève-tard sont tous venus le voir le jour où il tournait.

Vous avez eu 6 nominations aux césar pour Le Concert, dont celle du meilleur film et meilleur réalisateur. Une palme cette année pour La source des femmes?

En étant sélectionné, on a toujours un petit espoir de gagner quelque chose. Mais je reste lucide pour ne pas vivre un Cannes d’enfer. C’est déjà tellement extraordinaire de faire partie des 20 meilleurs films du monde à côté de monstres sacrés comme les frères Dardenne, Lars von Trier ou Almodovar.%u2028Nous avons réussi a faire venir les femmes du village pour la projection. Pour elles ça sera la fête : la montée des marches, la projection sur le plus grand écran d’Europe… Cette journée est donc faite pour jubiler, je n’ai pas envie d’abîmer cette joie-là en pensant à une éventuelle gratification.

Quel film en compétition aimeriez-vous voir?

 Beaucoup, à commencer par Polisse de Maiwenn que j’admire énormément, avec des acteurs extras.%u2028Sinon The Artist qui est probablement le plus gonflé de la sélection avec Alain Cavalier.%u2028Evidemment le Terence Malick qui semble un OVNI. La manière dont cet homme filme est incroyable. C’est un génie du cinéma.%u2028Et plein d’autres : Almodovar, le film japonais, les Dardenne. Même Lars Von Trier avec lequel je ne suis pas vraiment copain. Il n’aime pas du tout les femmes, et moi c’est le contraire. Je suis souvent rebuté par ses sujets, mais c’est un réalisateur de talent qui filme merveilleusement bien.%u2028Il y a aussi le réalisateur turc, plus les films hors compétition.

Une rencontre que vous rêveriez de faire?

De Niro! Mais hélas je ne peux pas aller lui parler, puisque mon film est en compétition et qu’il se doit d’être impartial. J’ai quand même serré la main de Woody Allen, ce que je rêve de faire depuis tout petit. Je ne vais d’ailleurs pas la laver du festival (rires). Sean Penn arrive, Faye Dunaway aussi, ça pullule.

Propos recueillis par Benjamin Belin

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