Amélie Pichard
Welcome Home à Maison & Objet
La créative Amélie Pichard a posé sa maison blanche éphémère à Maison & Objet. Intitulée « Welcome Home », l’installation contraste fortement avec les stands de produits disséminés alentour au salon de la décoration intérieure. « Welcome Home » est un projet en perpétuelle évolution, à la fois radical et rafraîchissant. À l’intérieur, une vaste gamme d’objets, principalement créés par des artisans et des marques présents sur place, est présentée de telle manière qu’elle ne cesse de s’enrichir. Cela illustre combien Amélie Pichard, qui a fermé sa marque d’accessoires l’année dernière, tente de révolutionner le secteur en mettant l’accent sur la narration collaborative et l’artisanat.
Il est également frappant d’observer comment elle a exploité l’IA dans son concept pour « Welcome Home ». Elle s’est associée à l’agence Cowboys pour créer, à l’aide de l’IA, une maison-théière spécialement pour le salon. C’est un objet physique unique qui figure également sur l’affiche.
« L’être humain évolue, change de vie, alors pourquoi vivrait-on dans un environnement figé, qui n’évolue pas ?«
Parlez-nous de votre parcours…
AMELIE PICHARD:
J’ai commencé ma carrière dans la mode, dans une maison qui s’appelle Dice Kayek où j’ai travaillé pendant cinq ans. Très vite, j’ai compris que le rythme de la mode ne me convenait pas. Alors j’ai décidé de devenir artisan et de fabriquer des objets. Je me suis spécialisée dans la chaussure car je voulais sauver le savoir-faire français en la matière. Finalement, fabriquer des chaussures de manière artisanale est devenu impossible, alors je les ai fait produire de façon industrielle. Puis l’année dernière, j’ai réalisé que j’avais besoin de retrouver ma liberté, car avoir une marque de sacs et de chaussures signifiait vendre et jouer le jeu et le rythme des saisons. Comme je ne suis pas matérialiste, que je n’achète ni sacs ni beaucoup de choses moi-même, je sentais qu’il y avait une incohérence : ma vie consistait à vivre des actes de consommation des autres et je me suis dit que ça n’allait pas. Je n’avais plus envie de gérer l’humain, des employés, donc j’ai fermé Amélie Pichard. C’est Charlotte Perriand qui disait : « J’ai envie d’une vie de création ». Quand on a une marque, on n’a pas une vie de création, on a une vie de gestion ; on gère l’argent tout le temps, les entrées et les sorties.
Pourquoi avez-vous ouvert votre agence Bureau Synthétique ?
AMELIE PICHARD:
En octobre dernier, j’ai décidé de fermer mon site Internet pendant 300 jours par an. Il y a des jours où il ouvre avec des expériences, des produits à acheter, une histoire ou autre chose. Ça m’a permis de m’alléger et de m’ouvrir à d’autres collaborations. J’avais besoin de revenir à l’artisanat, alors j’ai commencé à collaborer avec certains d’entre eux pour les mettre en avant. J’ai ouvert mon studio de conseil, Bureau Synthétique, en janvier 2025, où je réalise des compagnes et du consulting stratégique sur la vision globale d’une marque et du storytelling. J’ai fait des podcasts pour expliquer ce changement, afin que les gens comprennent ma démarche de travailler pour d’autres — un hôtel, une marque, une personnalité… En termes de créativité, c’est sans limites. C’était une décision radicale, il m’a fallu un an de réflexion pour voir comment j’avais envie de réorganiser ma vie.
Selon votre site, vous avez quitté Paris pour vous installer à la campagne…
AMELIE PICHARD:
J’ai quitté Paris il y a trois ans pour m’installer dans le Perche. Maintenant, j’habite dans une forêt. Ça faisait longtemps que je n’employais que des personnes qui ne voulaient plus vivre à plein temps à Paris, plus travailler à temps plein, qui étaient désireux de vivre et travailler autrement. À un moment donné, j’ai arrêté mon activité. Aujourd’hui, je suis seule — créativement parlant —, je travaille et réfléchis à des projets avec des freelances. Comme ça on travaille entre gens libres, on va dire !
La première marque qui m’a inspirée à travailler ainsi est Baserange, qui crée des vêtements pour femmes sobres et ultra modernes. La créatrice est danoise et la fondatrice française. Elles ne se retrouvent qu’à l’occasion des shootings ou dans les usines. Je me suis dit que c’était hyper intéressant de voir qu’une autre formule fonctionnait. Elles arrivaient à créer une sorte de synergie libre.
Je voyageais beaucoup aux États-Unis et j’y voyais plus de personnes créatives vivre à la campagne qu’ici. Après la pandémie, je me suis dit que nous allions gagner dix ans en mentalité, on allait enfin comprendre que le télétravail était possible — ce qui n’était pas le cas en France auparavant. Mon idée était de me détacher de Paris ; je veux m’attacher à n’importe quelle ville dans n’importe quel pays, travailler à l’international avec des entreprises à Séoul, aux États-Unis, au Danemark, etc.
Comment choisissez-vous vos clients ?
AMELIE PICHARD:
J’accompagne des marques qui ont une vraie sincérité, une démarche, une philosophie — comme des artistes — et, à partir de cela, on peut développer une histoire. Je ne vais pas accompagner des marques purement commerciales, tournées uniquement vers le profit, en essayant ensuite de broder une idée autour. Il n’y a pas encore de projets dont je puisse parler pour le moment. Mais mon objectif est de travailler davantage dans l’hospitalité, car cela représente l’art de vivre au sens large. Tous les hôtels ont cherché à être « authentiques » en ajoutant du rotin pour donner une impression de chaleur, mais ils finissent tous par se ressembler. Moi, je veux apporter quelque chose de plus vrai.
Comment avez-vous développé votre concept « Welcome Home » pour Maison & Objet ?
AMELIE PICHARD:
Quand les visiteurs arrivent dans la maison, ils sont peut-être un peu surpris, car elle est inachevée, en cours de construction. L’idée était justement de questionner cela : pourquoi devrait-on finir une maison alors que nous sommes nous-mêmes tous en construction permanente ? L’être humain évolue, change de vie, alors pourquoi vivrait-on dans un environnement figé, qui n’évolue pas ? Je voulais aussi que tous les objets soient utiles. De nos jours, avoir des objets purement décoratifs n’a plus vraiment de sens, car nous devons consommer autrement et posséder moins. L’idée, c’était d’avoir des objets utiles, multifonctionnels, légers et pliables — car on peut avoir besoin de déménager du jour au lendemain — et de se détacher de la matérialité.
Chaque objet peut raconter une histoire. Et 99 % des objets ont été fabriqués par leurs créateurs, des artisans-designers qui maîtrisent leur savoir-faire. Pour moi, il est plus naturel, à l’avenir, que les designers sachent fabriquer eux-mêmes, car cela rend l’économie d’échelle plus cohérente. Si chaque créateur dans le monde savait faire de ses mains, cela conduirait sans doute à des choses plus raisonnables, peut-être en termes de quantité et de qualité. Les créatifs veulent toujours aller vers l’impossible, mais s’ils devaient fabriquer eux-mêmes, ils se limiteraient naturellement à certaines idées.
Vous avez utilisé l’IA pour créer la maison-théière, à partir d’un objet réalisé par Élisa Benchetrit, la fondatrice de Blumen. Que pouvez-vous nous en dire ?
AMELIE PICHARD:
Quand Maison & Objet m’a demandé de réaliser l’affiche, j’ai immédiatement pensé à un objet représentant une maison. J’avais découvert la théière-maison de Blumen dans la boutique de Lafayette Anticipations et je voulais l’emprunter pour la photographier. Mais Elisa Benchetrit m’a dit qu’elle avait été vendue. Alors j’ai eu l’idée d’engager un dialogue avec l’intelligence artificielle : envoyer la photo de la théière à l’IA et lui indiquer ce que nous voulions qu’elle devienne — la créer presque comme on le ferait sur Photoshop. L’agence Cowboys l’a réalisée en suivant ma direction artistique. Elle est en vente aux enchères jusqu’à lundi.
Quel est votre point de vue sur comment l’IA pourrait impacter les industries créatives ?
AMELIE PICHARD?
L’IA peut nous aider à faire beaucoup de choses, mais on ne sait pas encore comment elle va évoluer ni jusqu’à quel point la machine va nous dépasser et nous remplacer. Si un jour la machine nous “dévore”, ce sera de notre faute, car c’est nous qui l’aurons entraînée.
Ne pas l’utiliser, c’est un peu comme ceux qui ne voulaient pas utiliser de téléphones portables — ce qui, à terme, est devenu un handicap pour eux. Si vous ne vous servez pas de l’IA dans les années à venir, vous allez perdre un temps fou sur certaines tâches, là où d’autres en gagneront grâce à elle. Mon impression, c’est que c’est un train qu’il faut prendre, même si on ne sait pas s’il fonce droit dans un mur.
Dans votre installation, on découvre plein d’objets qui parlent de la nature. Comment avez-vous fait votre sélection ?
AMELIE PICHARD:
Comme j’ai une obsession de longue date pour la nature, je voulais qu’il y ait beaucoup de clins d’œil à celle-ci. Les vues depuis la maison sont banales, car aujourd’hui, avec Instagram, tout le monde photographie la vue incroyable depuis sa chambre de vacances. On sent que la personne qui vit à l’intérieur aime la nature, mais qu’elle n’y a pas accès ; avoir accès à la nature est devenu un luxe aujourd’hui. Depuis sa chambre, elle a une vue sur l’autoroute ; depuis la cuisine, elle voit un mur de graines.
Les visiteurs se trouvent face à un lit blanc posé sur quatre piles de papiers avec un ordinateur posé dessus ; l’écran vous montre train de travailler allongée. Pourquoi avez-vous voulu exposer cela ?
AMELIE PICHARD:
Je ne travaille qu’allongée sur mon lit ! Je ne sais pas créer en étant assise. Je crée soit en étant allongée, soit en marchant, mais jamais en position assise. Et j’avais envie de partager ça, c’est pour ça qu’on me voit allongée sur mon lit, dans ma maison, dans ma vraie chambre, en train de montrer mon quotidien. C’est ma façon d’accueillir les gens, puisque je ne suis pas tout le temps présente à Maison & Objet. C’est un lit que j’ai créé pour le salon – une planche avec des papiers – où tout se mélange, en fait : le travail et ma vie personnelle.
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Propos recueillis par Anna Sansom
Photos courtesy Maison & Objet / ©Anne-Emmanuelle Thion
Maison & Objet : Paris Nord Villepinte, du 4 au 8 septembre 2025.
https://www.maison-objet.com/en/paris






