Kamel Mennour
Le rôle d’un galeriste, ce n’est pas de diriger, mais d’accompagner
« Mon travail, c’est aussi de défendre une certaine idée de Paris comme capitale artistique »
Alors que la Semaine de l’art bat son plein, nous rencontrons l’une des figures incontournables de la scène contemporaine : Kamel Mennour. Dans sa galerie principale du 47, rue Saint-André-des-Arts, où il défend des artistes depuis plus de vingt ans, le galeriste nous parle de son rôle, de son engagement auprès des institutions parisiennes, de la programmation du Mennour Institute, ainsi que de l’état du marché et des perspectives pour cette nouvelle édition de la Semaine de l’art.
À Paris, octobre est le mois de l’art par excellence. Pour un galeriste comme vous, ces jours doivent être à la fois exaltants et épuisants. Est-il encore possible, dans ce rôle, de profiter de l’expérience comme visiteur ?
KAMEL MENNOUR :
C’est vrai qu’octobre est un moment très intense : entre Art Basel Paris, nos propres expositions, les événements hors les murs, il y a une énergie incroyable. Mais justement, c’est cette effervescence qui me nourrit. Je reste un visiteur, un regard curieux avant tout. Ce sont des jours où l’on voit beaucoup de choses, on rencontre beaucoup de personnes. Et surtout, on découvre. C’est ce qui me fait avancer.
Malgré les doutes nés lors de la disparition de la FIAC, Paris a su réaffirmer sa place en tant que pôle culturel majeur, notamment avec Art Basel. Est-ce cette confiance en la vitalité de la capitale et de ses artistes qui vous a conduit à ne pas étendre la galerie ailleurs ?
KAMEL MENNOUR :
Absolument. Paris est une ville d’art, d’histoire, mais aussi de vitalité créative. J’ai toujours cru en cette ville. Mon travail, c’est aussi de défendre une certaine idée de Paris comme capitale artistique. Mon choix d’y rester est autant guidé par mon attachement personnel que par une réflexion stratégique : je suis convaincu qu’on peut exercer une influence forte, sans avoir besoin de se disperser.

Aujourd’hui vous représentez des figures majeures comme Daniel Buren, que vous exposez actuellement dans votre espace au 47 rue Saint-André-des-Arts. Comment a débuté votre collaboration ?
KAMEL MENNOUR :
Daniel, c’est une rencontre déterminante, qui a changé ma vie. J’ai souvent raconté notre rencontre, dans un avion pour la Corée, il y a vingt ans. Aujourd’hui je présente sa huitième exposition personnelle à la galerie. Notre collaboration s’est construite sur la confiance, dans la durée. Avec lui, chaque exposition est un défi intellectuel, spatial, esthétique. C’est un immense privilège de travailler avec lui et c’est avec un grand sens des responsabilités que je l’accompagne.
En parallèle, dans votre espace du 6 Rue du Pont de Lodi, c’est le travail de Lee Ufan qui est à l’honneur. Comment décririez-vous la relation et la complicité que vous entretenez avec lui ?
KAMEL MENNOUR :
Lee Ufan est un immense artiste, un penseur, un philosophe de l’art, dont la vision du monde m’inspire profondément. Je suis heureux de l’accompagner depuis 2013. Nous avons collaboré sur de nombreux projets : le Château de Versailles, la Hamburger Bahnhof, le Rijksmuseum etc. et je me réjouis déjà des prochains. Travailler avec Lee Ufan, c’est vivre une expérience rare : il nous invite à ralentir, à faire silence, à accueillir le vide comme une présence. Son œuvre ouvre un espace de contemplation qui déplace notre regard et notre rapport au temps.
Comment abordez-vous, de manière générale, la relation entre artiste et galeriste ?
KAMEL MENNOUR :
C’est une relation de confiance, de patience, parfois de friction, mais toujours de respect. Le rôle d’un galeriste, ce n’est pas de diriger, mais d’accompagner. Il faut savoir s’effacer parfois, et surtout, écouter. Nous sommes là pour donner à l’artiste les moyens d’exister.
Parmi toutes les institutions, vous avez choisi de faire don de pas moins de 180 œuvres au Musée d’Art Moderne de Paris. Cette donation a-t-elle été pensée en dialogue avec les artistes concernés, et pourquoi le choix de ce musée en particulier ?
KAMEL MENNOUR :
Paris, c’est la ville où je vis et où je travaille depuis toujours. Le Centre Pompidou fermant au public jusqu’en 2030, le choix du Musée d’Art Moderne de Paris s’est imposé comme une évidence. Ce don, c’est une façon de transmettre à mon tour ce que l’art m’a donné, en le réinscrivant dans une dimension collective. Les œuvres de la donation seront exposées au musée en 2027.
Ces jours-ci, le marché semble se diviser en deux : certaines galeries ferment pour explorer des modèles alternatifs, d’autres continuent de s’étendre. Quelle lecture faites-vous de cette polarisation ?
KAMEL MENNOUR :
C’est un moment de transformation. Il y a une tension entre le modèle historique de la galerie et les nouvelles réalités économiques, sociales, numériques. Mais il me semble qu’il n’y a pas un seul modèle. Chaque galerie doit inventer le sien, en fonction de ses artistes et de son histoire. L’important, c’est d’être cohérent et sincère.

Continuez-vous à croire au modèle classique de galerie physique, ou envisagez-vous d’autres approches pour l’avenir ?
KAMEL MENNOUR :
Je continue d’y croire, profondément. Rien ne remplacera jamais l’expérience d’une œuvre face à soi. Mais il faut aussi explorer d’autres voies, notamment le digital, pour toucher de nouveaux publics. Mon fils de 23 ans me rappelle souvent que, si la galerie reste essentielle, il faut aussi aller vers les jeunes générations là où elles sont. C’est cet équilibre entre tradition et innovation que je cherche à préserver.
Le Mennour Institute, que vous avez fondé en 2023, promeut la recherche et l’éducation dans le domaine de l’art. Parmi ses initiatives, le pôle Emergence se distingue. En quoi consiste ce projet et quelles sont vos ambitions pour lui ?
KAMEL MENNOUR :
Mennour Emergence, projet initié par notre directrice générale Jessy Mansuy, a pour vocation de soutenir les jeunes artistes dans les premières étapes de leur carrière. C’est un programme unique qui montre l’engagement de la galerie pour défendre le travail des nouvelles générations, et ce depuis des années. Je me réjouis de découvrir les artistes lauréats de la troisième édition, dont nous allons ouvrir l’appel à candidatures dans quelques jours.
La programmation de cette année met en avant six artistes. Quels critères utilisez-vous pour les sélectionner ?
KAMEL MENNOUR :
Les artistes sont sélectionnés par un comité composé de professionnel·le·s reconnu·e·s pour leur engagement en faveur de la création émergente. L’année dernière : Sam Bardaouil, Till Fellrath (Hamburger Bahnhof), Anna Labouze, Keimis Henni (Artagon), Horya Makhlouf (Palais de Tokyo), Jessy Mansuy et Christian Alandete. Ce qui importe, c’est peut-être la singularité de leur regard et la cohérence de leur propos. Ils ont en commun d’avoir à quelque chose à dire sur le monde.
Quels sont vos coups de cœur pour cette semaine de l’art qui débute ?
KAMEL MENNOUR :
Il y en a beaucoup. Je suis très fier de nos expositions de Daniel Buren et Lee Ufan à la galerie, mais je suis aussi très heureux de présenter le travail de Ruoxi Jin qui vient de rejoindre le pôle Émergence. À quelques pas de la galerie, au Musée du Louvre, Mohamed Bourouissa présente son installation Les 4 temps, première vidéo à être acquise par le Louvre. Et à la Bourse de Commerce, la très belle exposition « Minimal» avec Lee Ufan et François Morellet, dont nous célébrerons le centenaire en 2026 !
Propos recueillis par Say Who
Portraits : Michaël Huard

