Lionel Bensemoun
« Danser, réunir, penser, agir »
On sent qu’il y a une prise de conscience aujourd’hui… Et même si ça ne marche pas, ça fait du bien d’essayer !
Lieu éphémère créé par Lionel Bensemoun, Le Consulat de la Gaîté fermait ses portes ce 31 octobre après « 180 jours de fête ». Avec tout un programme d’expositions, de soirées et concerts (comme la soirée de lancement du Numéro Art avec la galerie Perrotin), et de résidences d’artistes, ce lieu de vie 3000 m2 a attiré jour et nuit une population parisienne unie et engagée dans le pourtant peu populaire 14ème arrondissement. Action de l’association G.A.N.G (Groupe d’Action Néo Green) dont la mission est de sensibiliser le plus grand nombre aux problématiques environnementales par la voie artistique, il s’agissait là de la seconde réalisation physique du Consulat – qui ne cesse de s’agrandir. Indissociable de la vie culturelle de Paris, Lionel Bensemoun revient ici sur la notion de conscience solidaire, sur ce que signifie être « responsable » aujourd’hui, et sur son crédo : « danser, réunir, penser, agir ».
Commençons par parler de G.A.N.G. Peux-tu nous raconter son histoire ?
G.A.N.G est l’association que j’ai créée il y a environ quatre maintenant, pour essayer de prendre le relais sur ce que je savais faire dans la communication et l’évènementiel. G.A.N.G signifie “Groupe d’Action Néo-Green”, l’idée est de fédérer des gens pour agir. “Néo-Green” signifie “Nouveaux Verts” on parle d’environnement, de nature vivante mais on agit aussi sur notre façon de consommer tous les jours , en opposition à un système ultra libéraliste qui n’est pas durable.
Est-ce-que le but de cette association est d’évangéliser, de convaincre des gens qui ne sont pas spécialement touchés par cette question?
Personnellement, j’ai juste envie de montrer qu’on peut être engagé et responsable tout en étant joyeux et actif dans un système qu’on connaît très bien, qui est notre société aujourd’hui. On n’est pas obligé de tout sacrifier dans sa vie pour être responsable. On peut le faire avec joie, bonheur, encouragement… sans être donneur de leçon. L’idée est de sensibiliser en montrant toutes les alternatives positives qui s’offrent à nous aujourd’hui.
Il y a là un lien avec le slogan du Consulat : “danser, réunir, penser, agir”? Pourquoi avoir placé “danser” en premier? Vous placez l’action avant la pensée?
Tout simplement parce que danser, c’est ce qu’on sait faire depuis toujours, et puis ça compte énormément : c’est fédérateur, c’est joyeux. Et oui, le Consulat est une action. C’est un lieu créé pour agir et penser, c’est un endroit où les gens se rencontrent, échangent. Savoir qu’on est pas seul dans son coin encourage. Nous sommes très influencés par l’association Colibris et Cyril Dion, chacun apporte sa petite goutte pour éteindre l’incendie… Avoir un lieu pour se réunir autour de ces idées est primordial, à mon avis.
Le premier Consulat faisait 500 m2, le second avait une superficie de 3 000 m2. Va-t-il continuer à grandir ?
Le troisième sera entre les deux, j’espère! On a fait petit et grand, 3000m2, c’était beaucoup, du travail jour et nuit pendant six mois. Nous n’étions pas assez nombreux pour gérer ce géant de béton, mais ce fut une expérience exceptionnelle !
Tout ce que tu entreprends n’est pas dogmatique, avec une pensée figée. On dirait plutôt un centre d’accueil qui passe par l’émotion.
Par l’émotion, c’est vrai, par le plaisir, les tripes, l’intuition ! C’est un lieu émotif. On cherche à toucher l’imaginaire par le beau, la musique, les expositions, montrer qu’il y a un imaginaire créatif aujourd’hui qui a sa place dans la culture, et qui en même temps est responsable et engagé.
Y a-t-il une esthétique du Consulat? Beaucoup de contributeurs viennent de la street culture, on le voit aux murs graffés mais pas seulement. Est-ce que le Consulat s’ouvre aussi à l’art contemporain, à la mode ?
Tout est mélangé. C’est un lieu hybride, on a du street art, mais pas que. Chacun s’exprime de façon différente, les artistes en résidence font de la scénographie, de photo, de la couture, des installations, de la peinture, des vidéos… Samuel Boutruche a conçu la programmation et la production de la galerie pendant six mois. On a touché à du beau contemporain, mais aussi du mystique et de l’art brut… Il a tout fait, c’était génial !
Est-ce que le fait d’avoir accueilli des grands noms de la mode ou de l’art contemporain est une forme de récompense ? On pense notamment la fête Numéro et Perrotin, aux défilés de mode…
Ce n’est pas une récompense, mais la preuve que notre message intéresse des entités un peu plus “corporate”. Si Perrotin est venu ici, dans le 14ème arrondissement, dans un endroit un peu « insalubre et froid », c’est qu’il avait envie de soutenir une idée.
Y a-t-il des personnes qui t’accompagnent depuis toujours dans tes projets? On dirait que tu es très “famille”.
Une famille élargie, des amis ! Avec André, par exemple, nous sommes très proches depuis 15 ans, on s’accompagne. Dans les histoires du Consulat et de G.A.N.G, ça fait aussi des années que Gypsy est avec moi en vraie partenaire fondatrice. Il y a aussi ma soeur Chloé, Samantha de Nature Rights, Xavier pour la radio, Stefan de Freitas avec Indigo… On est une petite équipe depuis 3 ans, mais fidèle et très motivée.
Le plus surprenant, c’est ta capacité à toujours te réinventer.
J’aime observer, voir ce qu’il se passe autour de moi, je suis très curieux. Ce n’est pas tellement que je me réinvente, mais je trouve toujours des domaines qui m’attirent et qui m’emportent à un moment en adéquation avec mon âge et mon entourage, et surtout, je n’aime pas l’ennui, de jour comme de nuit !
Est-ce que le Consulat te permet de rester plus en contact avec cette jeune génération? Plus qu’avec le Baron qui était un club d’initiés?
Bien sûr. Le Consulat, c’est un vrai mélange, vu ce qu’on propose du matin au soir. Ça passe par le yoga, des tables rondes, des concerts ou des rave parties de 3000 personnes… Avec les soirées Fusion par exemple, ça génère une fréquentation large de tous les âges ! De nombreuses associations ou organisations ont participé à la vie du Consulat avec un message commun. Les Éveillés par exemple, un collectif d’artistes et DJs qui organise des soirées et redistribue des fonds pour les réfugiés. Je peux aussi citer GAF, “Give A Fuck”, la nouvelle association initié par mon amie Allegria qui vient du milieu de la mode et organise les soirées Cicciolina… Le top de la branchitude ! Elle s’active et fédère autour d’elle de nombreuses personnalités de ces milieux afin de responsabiliser et de changer la façon dont chacun consomme tous les jours. Elle travaille sur des messages percutants et actuels. Toute cette diversité de cultures et d’ambitions permet de sortir des carcans et des stéréotypes… Tu manges moins de viande, tu te déplaces en vélo, tu t’habilles en vintage, et pourtant tu n’es pas le hippie altermondialiste, juste un citadin responsable qui pense à ses enfants. Toutes ces générations, qui ne croient plus en notre système et qui en ont marre d’être un produit sont des minorités pour l’instant mais de plus en plus de personnes passent à l’action !
As-tu l’impression que les nouvelles générations sont plus conscientes que nous?
Les nouvelles générations sont conscientes des problèmes qu’affronte notre civilisation aujourd’hui, elle savent que notre système n’est pas durable. Ce que j’ai vu au Consulat est certainement un reflet d’une partie de la jeunesse actuelle. Il y a les « no future » très conscients de cela, pour qui l’alternative est de profiter un maximum sans se poser de questions, partager un moment, la musique la drogue, la transe dans une évasion totale. Mais j’ai aussi vu tellement de jeunes très actifs et volontaires qui n’acceptent pas la résignation et se battent pour un futur different, une autre façon de vivre ensemble, la pratique de la méditation, du yoga, le combat partisan et féministe, écolo et solidaire, chacun avec ses outils. On sent qu’il y a une prise de conscience aujourd’hui… Et même si ça ne marche pas, ça fait du bien d’essayer !
Interview et photos : Michaël Huard