Guillaume Delaperriere
Mettons un philtre d’amour pour l’image, le son et les rencontres dans un même sac et nous obtiendrons un chef d’orchestre particulier. Peu de gens font ce qu’il fait : créer des liaisons et s’interroger sur les rapports entre les uns et les autres via des voyages audiovisuels. Sa dernière ballade « Lisboa Orchestra » dresse un portrait singulier de la ville aux sept collines en trois semaines et mille et une rencontres. La sélection de son film au 35ème Festival International du Court Métrage de Clermont-Ferrand (Février 2013, Sélection en compétition nationale ; ndlr) et la récente projection de son installation « Video Orchestra » au Tokyo Art Club l’ont sûrement triplement motivé dans cette voie. Il prépare son prochain film à Paris dont le tournage est prévu au printemps 2013. Pour patienter, Saywho s’est entretenu avec lui dans son studio. Rencontre avec Guillaume Delaperrière.
D’où vient cette passion pour la musique?
J’étais batteur dans un groupe avec mes potes quand j’étais au lycée. On se retrouvait les dimanches après-midi pour répéter et composer… J’ai été élevé dans un contexte où l’art et la musique étaient très présents. Mais la pratique de la musique c’était surtout un plaisir, je ne voyais pas ça d’un point de vue professionnel.
Et pour les images?
J’ai été aux Arts Déco. C’est un endroit où j’ai pu beaucoup expérimenter et travailler le rapport de l’image à la musique et au son. C’était l’époque où des labels de musique électro se montaient partout. J’étais graphiste et faisais des logos, des pochettes de disques, des flyers pour eux. Ca m’a permis de découvrir leur manière de travailler dans leur home studio à sampler des vinyls. Je me suis dit « pourquoi ne pas aborder l’idée du sampling en musique avec des images ? ». Bertrand Défossé, avec qui je travaille aujourd’hui sur mes projets, m’a passé une vieille VHS d’une master class de Bernard Purdie, un batteur de Funk. Et j’ai commencé par faire mes premières boucles audiovisuelles en le samplant. J’ai pris une boucle de 3 secondes et je l’ai fait tourner pendant 3 minutes, cette répétition m’a fasciné. Le rythme et la gestuelle étaient si précis que la boucle était presque parfaite. On ne voyait pas de rupture, il y avait une vraie fluidité visuelle et sonore. J’ai trouvé le résultat hypnotique. Voilà comment tout a commencé.
A l’occasion de la petite récréation « quente » au Tokyo Art Club en novembre dernier (carte blanche donnée à l’artiste Xavier Veilhan ndlr), nous avons pu découvrir ta dernière création: « Lisboa Orchestra ». Peux-tu nous en donner les grandes lignes ?
Après avoir samplé des vidéos existantes provenant de documentaires musicaux, de clips, de séries, du web, avec lesquelles j’ai réalisé « Drums Unlimited » (2004), « Mondovision » (2006) et « The Black Track » (2009), j’avais envie de tourner, de raconter des histoires, tout en gardant mon écriture. Je suis parti trois jours à Lisbonne, j’avais une petite caméra Flip, une sorte de dictaphone vidéo. Je suis rentré à Paris avec des images très « brutes » : un mec qui jouait des percussions que j’ai aperçu par une fenêtre à l’étage d’un immeuble, des gens qui rappaient dans la rue, etc. Je ne m’attendais pas à obtenir autant de musicalité dans cette ville. J’ai fait un montage rapide, une sorte d’esquisse, et je me suis aperçu que je pouvais faire de la musique avec mes images. Ca a été une révélation. J’y suis retourné avec Bertrand Défossé pendant trois semaines pour collecter des échantillons visuels et sonores de la ville. On y a rencontré des gens incroyables : Gonçalo Gonçalves (« Le Chanteur Romantique Abandonné ») dans une fête de rue, Fred Ferreira le batteur du groupe Orelha Negra, Pedro Moutinho (le chanteur de Fado du moment) et Valete, un rappeur portugais très respecté. L’objectif de « Lisboa Orchestra » était de rencontrer des personnes d’horizons divers et de lier tous ces moments dans le film. Je suis allé chercher des instants, comme les joueurs de dominos que j’ai rencontrés dans un café à Mouraria. Je suis tombé sur eux par hasard et ça a été un moment magique. Ce sont ces échanges qui me poussent dans cette voie aujourd’hui. Après, au montage, le plaisir c’est d’orchestrer tous ces instants pour créer une musique visuelle.
Un nouveau genre de films, donc?
C’est difficile de mettre un nom sur ce que je fais… J’orchestre les choses, je les arrange, je les fais sonner… Pour la diffusion de « Lisboa Orchestra » au Tokyo Art Club, Myriam Ben Salah (Responsable des Relations Extérieures et du Tokyo Art Club ndlr) m’a permis de le projeter sur quatre écrans, ce dont j’avais toujours rêvé. La forme convenait parfaitement à l’écriture de mon film. Je l’ai appelée « Video Orchestra » car c’était vraiment un orchestre vidéo où chaque écran prenait la forme d’un instrument.
Hier, tu empruntais des images aux autres. Aujourd’hui, tu crées tes propres images. Y a-t-il eu des rencontres qui t’ont poussées dans cette voie-là?
Je me souviens du Festival Les Suds à Arles (2008), une soirée en plein air dans le parc des Ateliers des Forges. Mes films de samples étaient diffusés sur un énorme écran, devant 1000 personnes. C’était incroyable de voir les gens concentrés et regarder les films. A la fin de chaque morceau, ils applaudissaient. La perception n’est pas la même lorsque l’on regarde les vidéos seul devant son écran d’ordinateur. J’ai ensuite commencé par faire des films sur des groupes. J’ai notamment filmé Air en studio, ça a donné « Air Time Machine » où Nicolas Godin et Jean-Benoît Dunckel rejouent le titre « La Femme d’Argent » à l’occasion des 10 ans de l’album « Moon Safari » dans leur studio d’enregistrement. J’ai aussi conçu et réalisé « Musicvision Phoenix » où les quatre membres du groupe Phoenix commentent les vingt morceaux de musique qui ont construit leur identité musicale. A partir de ce moment-là, j’ai voulu aller plus loin dans l’exploration du rapport de la musique à l’image.
Ton prochain projet?
Après « Lisboa Orchestra », j’ai envie de filmer ma ville, Paris, que je redécouvre et je suis en train de tourner des images. J’ai envie d’aller à Notre-Dame, sur des bateaux-mouches, me balader dans des quartiers emblématiques, montrer la Tour Eiffel, le métro parisien… Comme disait Hitchcock « il vaut mieux partir d’un cliché que d’y arriver ». En partant des clichés parisiens, j’essaie de détourner les codes afin d’apporter un regard neuf. Je travaille aussi sur un projet de performance live audio et vidéo car j’ai envie de faire du montage en temps réel : du « turntablism » vidéo.
Raconte-nous l’histoire de Gonçalo Gonçalves qui apparaît dans « Lisboa Orchestra ».
Je l’ai rencontré dans une fête de quartier dans l’Alfama à Lisbonne. Je me suis tellement bien entendu avec Gonçalo que j’ai suggéré à Myriam Ben Salah de l’inviter à nous rejoindre. C’est un chanteur compositeur interprète hors du commun. Il s’inscrit dans la lignée des chanteurs romantiques tels que Roberto Carlos, Pino D’Angiò ou Julio Iglesias… Il est fan des chanteurs français comme Joe Dassin qu’on trouve ici un peu kitsch. Il porte un regard neuf sur ces chanteurs, il les adore. Au Tokyo Art Club, les gens ont vraiment été scotchés. Son morceau « Te Quiero » était complètement surréaliste. On avait l’impression qu’il faisait l’amour au public – avec les ralentissements langoureux de ses boucles au piano…
Et celle de Xavier Veilhan.
J’ai rencontré Xavier Veilhan par l’intermédiaire du groupe Air. Xavier avait fait la pochette de leur album « Pocket Symphony » avec ses sculptures de Nicolas Godin et Jean-Benoît Dunckel. Air appréciait mon travail, et ils m’ont proposé de faire un petit documentaire sur eux et cet album. J’ai voulu faire un petit film en gardant l’esprit de la pochette de Xavier. Xavier m’a permis d’utiliser les scans 3D de Nicolas et Jean-Benoît et de les intégrer dans le film un peu comme dans « Tron ». Les musiciens se retrouvaient face à leurs sculptures numériques dans un monde parallèle. On s’est donc rencontrés comme ça avec Xavier. Je lui ai montré mon travail et il a aimé notamment ce que j’avais fait pour Phoenix (Musicvision). On a tout de suite sympathisé autour de la musique. Xavier est un vrai amateur de musique, au sens noble du terme. Il a une approche très particulière. Quand il mixe ses vinyls, il a toujours des sélections incroyables et éclectiques. Il peut commencer avec un morceau d’un groupe punk, enchaîner avec un extrait d’une oeuvre de Ligeti puis un maxi 45 tours d’un rappeur qui chuchote, suivi d’un morceau de son ami Sébastien Tellier, le tout s’intègre de façon subtile et cohérente.
Qui recevrais-tu, dans ton studio mondain?
J’inviterais pour un diner mondain autour de conversations sur la musique et l’image, le réalisateur Yves Lefebvre qui a réalisé un petit chef d’œuvre « Essai sur une chanson : Initials BB » avec Serge Gainsbourg, Jonathan Demme qui a réalisé le clip de « Perfect Kiss » de New Order une captation Live d’une version studio, Walter Murch, le monteur et mixeur de Francis Ford Coppola, Ennio Morricone pour son orchestration de l’intro de « Il était une fois dans l’Ouest » et John Carpenter un des rares cinéastes à composer lui-même la musique de ses films.
Propos recueillis par Alexandra S. Jupillat
Photographe: Valentin Le Cron
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