John Armleder
Pour sa dernière exposition au Palais de Tokyo, Marc-Olivier Wahler a donné carte blanche à l’artiste John Armleder. Le chef de file de la scène artistique suisse de ces dernières décennies nous invite à un “accrochage” d’œuvres hors du commun. Mystérieusement intitulée « All of the Above”, John Armleder nous propose une expérience de l’art et nous rappelle au passage que tout n’est qu’affaire de point de vue.
A quoi fait référence le titre de votre exposition « All of the Above”?
“All of the Above” est le pendant d’une exposition que j’ai organisé au Swiss Institute à New York en 2004 et qui s’appelait “None of the above”. « None of the above » fait référence à ces questionnaires à cocher par « oui » ou par « non ». La dernière formule possible est « None of the above » c’est-à-dire « non pour tout »…. « All of the Above » est tout simplement l’inverse. Pour « None of the Above » au Swiss Institute, j’avais invité une trentaine d’artistes connus et moins connus à livrer des pièces aussi grandes qu’un biscuit. Elles étaient disposées dans l’espace de manière à ce qu’on ne les voie pas. Elles n’étaient pas cachées mais elles étaient tellement petites qu’on ne les voyait pas. On entrait au Swiss Institute et on pensait que l’expo n’avait pas commencé. J’ai toujours voulu faire une exposition qui serait à l’opposé de celle-ci, qui s’appellerait par jeu « All of the Above » et où les œuvres seraient si grandes pour l’espace qu’elles se chevaucheraient presque. Je me souviens, quand j’étais enfant, j’allais régulièrement au Musée au Caire, et à mesure qu’ils trouvaient des sarcophages, ils les exposaient devant les précédents. Ça produisait un effet de foule, une armée de sarcophages dont on ne voyait que les deux premiers rangs. Ça m’avait beaucoup impressionné. Surtout que les sarcophages ont ce côté habité qui rappelle que l’important n’est pas le fait que l’objet d’exposition soit vu ou non : il suffit qu’il soit là pour faire son effet.
Comment tout cela s’est-il organisé au Palais de Tokyo ?
Faire une exposition sur cette idée-là posait bien sûr bien plus de problèmes que pour « None of the Above » où les pièces étaient envoyées dans des enveloppes… Là, malgré tout, les œuvres se superposent comme dans une sorte de mille feuilles. On en empêche la lecture normale, sinon honnête. D’une part, c’est un peu plus compliqué à organiser et d’autre part, c’est plus lourd. Puisque ce sont de grands objets, c’est un plus grand budget d’exposition pour une petite manifestation, c’est un peu plus compliqué.
Les artistes dont les œuvres sont présentés ne sont-ils pas légèrement instrumentalisés dans cette exposition?
Ils le sont évidemment, d’une certaine manière, car les œuvres participent à une sorte de collage, un mille-feuilles de mes thèmes favoris. Donc, il fallait trouver une façon de montrer l’œuvre sans que ça ne pose de problèmes de cet ordre-là.
Qu’est-ce vous appelez un mille-feuilles ?
Les œuvres sont présentées de manière frontale sur un système d’estrade en étage. On a utilisé un modèle d’estrade du Musée Guimet spécialement fait pour exposer la statuaire asiatique. C’est d’ailleurs aussi ce que l’on voit très souvent à l’entrée des temples en Asie : on y présente les statuettes dans des sortes d’alcôves, les unes derrière les autres. J’ai toujours aimé l’idée que l’œuvre vous regarde autant que vous la regardez. C’est aussi parce qu’elle vous regarde que vous la créez. Je pense que c’est quelque chose qui est présent dans n’importe quel type d’accrochage, autant dans un musée classique qu’ailleurs. Au fond, on a tellement l’habitude que l’on ne se rend plus exactement compte de cette confrontation, de la manière dont elle se passe. Donc c’est un peu un jeu sur cette partition-là. D’ailleurs, les œuvres sont de différentes tailles, certaines même sont monumentales. Il y a des œuvres tridimensionnelles qui deviendront complètement bidimensionnelles parce qu’elle sont présentées comme des panneaux… Les salles ont d’autant plus ce côté théâtral que l’on a cette vision frontale. C’est presque une scène à l’italienne avec un chœur qui nous regarde, prêt à chanter… Ce qui est intéressant, c’est de faire une exposition dans laquelle on n’est pour rien. J’ai toujours ce désir, même avec mes propres œuvres… Mais là, c’est encore plus le cas. Tout découle de l’étincelle née lors de l’exposition du Swiss Institute à New York.
Très souvent, on vous présente comme quelqu’un qui avez fait école sur la scène artistique suisse de ces 30 dernières années. Ce n’est donc pas étonnant de voir une exposition dont vous êtes le chef d’orchestre, ne croyez-vous pas ?
Certes, mais dans le fond, j’essaie de faire cela même avec mes propres travaux, comme si ce n’était pas les miens.
Vous êtes à l’origine d’un style pictural, le Néo-Géo, le Néo-Géométrique…
Oui, c’est possible, mais je n’ai jamais vraiment reconnu le « néo-géométrique ».
Il y a tout de même une histoire entre l’Abstraction Géométrique et la Suisse, non ?
Historiquement, oui. Par exemple l’Art Concret zurichois est quelque chose de très présent et de très lourd. Et ces artistes-là ont milité pour leur vision du monde et la manière de l’appliquer formellement dans l’art. Moi, je n’ai jamais eu ce militantisme-là malgré le grand respect que j’ai eu pour ces courants-là à une époque peut-être où on ne les voyait pas aussi nettement qu’aujourd’hui. L’histoire de Néo-Géo, est arrivée parce que les gens l’ont créditée… On sortait alors du Bad Painting ou du Néo-Expressionnisme sauvage…. Dieu merci aujourd’hui, c’est beaucoup plus flou ! Il n’y a pas de porte-drapeau d’une formule ou d’une autre. Et ça c’est quelque chose que l’on a gagné. Il y a toujours des malentendus, car ce n’est pas si facile à définir. Comme mon travail d’ailleurs. Moi je n’ai jamais su ce que je faisais, je ne sais pas ce que je fais. Ça a l’air d’avoir beaucoup de sens et on a l’impression que je joue l’hydre sans arrêt en fait. C’est par goût. Ce n’est pas du tout une mission ou une théorie. Je crois que si j’étais spécialisé, je m’ennuierais très vite. Les choses s’effondreraient sur elles-mêmes très vite.
Propos recueillis par Anaïd Demir
John Armleder
Carte blanche au Palais de Tokyo, Paris
Jusqu’au 31 décembre 2011