Diane Pernet
Sous sa haute mantille noire qui pourrait la faire passer pour une veuve andalouse, Diane Pernet vit au rythme des fashion weeks. Déjà à l’origine du blog « A Shaded View On Fashion », lu et respecté dans le monde entier, elle crée en 2008 le premier festival du film de mode, « ASVOFF », né de sa volonté passionnelle d’une fusion des deux arts. Rencontre avec une grande dame de la mode 2.0.
Vous faites partie des personnages incontournables de la fashionsphère internationale. Outre cette silhouette inimitable, dites-nous ce que la mode vous doit ?
Ce dont je suis la plus fière, c’est le festival du film de mode, ASVOFF, que j’ai créé il y a six ans. Dans les fifties et les sixties, ce type de films existait. En 2008, je les ai mis en lien avec mon blog mode « A Shaded View On Fashion ». J’ai donc intitulé ce festival ASVOFF. L’idée était de créer une plate-forme pour les créateurs émergents, autant en cinéma qu’en mode. J’avais vraiment pour volonté le croisement de ces deux arts.
Justement, pourquoi cette envie particulière de nouer mode et cinéma ?
Durant treize années, j’ai été designer. Et avant cela, j’ai étudié l’art cinématographique à l’université. Ce sont les deux amours de ma vie, en quelque sorte. C’était donc naturel pour moi de corréler ces deux mondes. Comme un cercle.
La première fois que je suis arrivée à Paris, j’étais costumière sur des productions. Notamment pour un film d’Amos Gitaï. Tragique expérience (rires), qui m’a fait me rendre compte que la plupart des réalisateurs, tout du moins il y a vingt ans, était apeurée par la notion même de « mode », au lieu de l’utiliser comme un outil pour sublimer leurs oeuvres. Bien sûr, à côté, il y avait des exceptions, comme Peter Greenaway, David Lynch ou Pedro Almodovar, tous trois très avertis, très sensibles. Eux avaient compris l’importance que pouvait revêtir la mode dans le cinéma. Mais de manière générale, les réalisateurs fuyaient ce milieu. Faire un bon film de mode, finalement, ce n’est pas si différent que faire un bon film tout court. Il suffit d’intégrer une notion supplémentaire, et de lui donner l’importance qu’elle mérite.
ASVOFF repose d’abord sur la pertinence d’une sélection. David Herman, co-producteur du festival, me confiait qu’il était la théorie, et vous l’instinct. Est-ce bien résumer votre duo ? Pouvez-vous nous en dire plus sur votre processus de création ?
C’est tout à fait ça ! Je fonctionne beaucoup à l’émotion, et David a une casquette plus technique, plus critique. J’ai vu plus de 500 films cette année. Certains sont d’ailleurs très mauvais, parce que le problème, sur ce créneau, c’est que beaucoup de directeurs artistiques et de créateurs sont persuadés qu’il suffit de prendre une caméra et de filmer pour faire un fashion clip. Ca a marché pour des gens comme Steven Klein, Bruce Weber, ou Ellen von Unwert, mais parce qu’ils ont un talent inné. Je sélectionne des films qui me touchent, qui sont différents. C’est moi qui choisis tous les films du festival, mais je ne vote jamais pour élire le gagnant.
De plus en plus, mode et cinéma ne font qu’un. Il suffit de jeter un oeil aux front rows ou aux collections capsule des stars. Inversement, beaucoup de maisons investissent dans la vidéo arty pour communiquer, comme récemment Valentino. Tout ça finalement, c’est un peu grâce à vous ?
J’espère! (rires). Au risque de paraître prétentieuse, je dirais.. oui ! Plus sérieusement, je trouve ça génial. Ca génère des possibilités exponentielles. Il y a deux ans, Gareth Pugh me disait qu’en tant que designer, il pouvait jouir d’un parfait contrôle sur tout. Contrairement aux films de mode qui eux, laissent une place à l’incertitude. Présenter une collection sur un catwalk vous permet de maîtriser le résultat et la manière dont elle va être reçue. Un film, c’est différent. Ca vit. C’est subjectif.
Vous qui partagez votre temps entre la France et les Etats-Unis, quelles différences y voyez-vous?
Si vous parlez de mode aux US ou de mode en France, je dirais que c’est beaucoup plus fort ici. Quant aux films français, aujourd’hui, sans vouloir rentrer dans la nostalgie, je les trouve moins puissants qu’à l’époque de la Nouvelle Vague. C’est souvent ennuyeux, long. Les films américains sont plus dynamiques. Peut-être plus faciles aussi ?
Derrière l’écran ou dans la rue, la Parisienne est objet de fantasme, parfois cliché, mais toujours élégante. Pouvez-vous nous en donner votre vision ?
Carine Roitfled est pour moi LA plus emblématique des Parisiennes. Elle est belle et élégante, décalée et classique en même temps. C’est le meilleur exemple.
Parmi les défilés que vous avez vus cette saison, quel est votre chouchou, parmi les créateurs établis ?
Rick Owens. C’est un génie ! Ce que j’aime chez lui c’est qu’il ne copie pas, et il se fiche de ce que les gens pensent. Il reste en marge. Il fait partie de ces gens qui ne se reposent jamais sur leurs acquis, qui se mettent la barre toujours plus haut et essaient de se renouveler perpétuellement. Cette saison, il a créé une collection angélique, qui sort de ses sentiers battus. J’adore.
Et dans la nouvelle génération, un créateur que vous soutenez en particulier ?
J’adore Jean-Paul Lespagnard. C’est un de mes préférés. Je l’ai rencontré quand j’étais jury au festival de Hyères. Quand il m’a envoyé son dossier, je lui ai immédiatement envoyé un message sur Facebook pour lui dire qu’il m’avait vraiment fait rire. Il y avait beaucoup d’humour. Un mélange de streetwear élégant, de remarquables imprimés, des coupes et des couleurs superbes… Il pourrait avoir le même impact que Jean Paul Gaultier jeune. Vraiment. Il a un potentiel incroyable.
Un blog un festival, du consulting… Vous êtes sur tous les fronts… Quels sont vos prochains projets ?
Pour l’instant, je travaille sur ASVOFF, qui je le rappelle est itinérant, puisque nous allons de villes en villes pour présenter la sélection. Nous serons à Tokyo la semaine prochaine, Barcelone bientôt. On réfléchit à intégrer un module pour les téléphones portables. Et aussi à une section pour les films étudiants. Bref, beaucoup de choses.
Je ne peux pas vous quitter sans que vous m’en disiez plus sur votre Mantille, véritablement inscrite dans votre A.D.N. fashion. Quelle est son histoire ? Que cache-t-elle ?
Tout le monde veut entendre ça, mais non! (rires). C’est juste un look, une envie. Et je ne dors pas avec!
Propos recueillis par Benjamin Belin
– Festival ASVOFF : 7, 8 et 9 octobre 2011. Centre Georges Pompidou
– A Shaded View On Fashion blog