Corrado de Biase
Designer chaussure pour la maison Galliano, le créateur italien qui monte présente pour la première fois sa collection à Paris. Saywho a tenté de percer les mystères de ses créations, plus Couture que jamais.
Corrado, pouvez-vous en deux mots nous résumer votre parcours ?
Je suis né en Italie, j’ai 33 ans. Vers 20 ans, j’ai quitté la faculté de droit qui ne me satisfaisait plus et je suis parti pour Rome étudier la mode. J’ai intégré l’Institut Européen du Design, une école très particulière, qui combine beaucoup de matières différentes comme l’architecture, la photo, le textile…Cela a considérablement influencé ma vision de la mode, et ma manière de la travailler. Je suis ensuite rentré chez Fendi en tant que designer chaussure pendant 4 ans. A la suite de ça, un cabinet de recrutement m’a contacté pour dessiner les chaussures YSL à Paris. J’y suis resté 3 ans. Aujourd’hui, je suis designer chaussure pour la maison Galliano. Et maintenant me voila!
Votre travail semble particulièrement axé sur la structure du vêtement, l’association des matières, les coupes, etc… Pour résumer, vous êtes plus conceptuel que fonctionnel. Comment définissez-vous votre travail?
En imaginant cette collection, je me suis affranchi de certains a priori. J’ai investi mon propre argent, ce qui m’a permis de faire ce que je voulais, sans contrainte. J’ai volontairement créé des vêtements Couture : c’est une niche de la mode où les gens regardent le vêtement comme une œuvre. Cette vision, différente du prêt-à-porter, me correspond plus. Bien sûr, mon travail est conceptuel, j’étudie les idées à l’extrême, je recherche l’essence des choses. La fonctionnalité d’un vêtement dépend de l’utilité qu’en fait une personne, et comment il le porte. La finalité de cette collection n’est pas de vendre une pièce. Je veux que les gens réfléchissent sur la motivation qui m’a poussé à faire ça. Ce sont des vêtements faits pour exprimer une réflexion, un univers, une identité : mon travail tourne autour de la forme du corps, et son rapport avec le vêtement. C’est pour cela que tout est sectionné. On peut se poser la question : « Pourquoi telle partie est découverte, quel est socialement l’intérêt ? ». Je pense que découvrir une chose ne signifie pas la montrer. Ce n’est pas parce qu’il y a des trous partout, que ça rend la chose plus érotique : une femme couverte pourrait être plus sensuelle. C’est une étude autour des équilibres. Je me suis inspiré de Pierre Cardin pour les coupes, en même temps que le mouvement « Memphis » italien : les couleurs, l’utilisation du feutre industriel, les disproportions qu’il y a entre les gros boutons posés à côté d’énormes zips sur des parties minuscules….
Quelle est votre plus grande source d’inspiration ?
Ca fait toujours rire tout le monde, mais la première chose qui m’a inspiré est le film « Le silence des agneaux », plus particulièrement la scène avec Jodie Foster où elle retrouve un vêtement appartenant à une des victimes, sectionné par deux losanges dans le dos. Cette dernière était très grosse, et pour élargir le vêtement, elle a dû le couper. Parallèlement, le serial killer est en train de se confectionner des vêtements avec la peau humaine, ça m’a fasciné à mort ! Je me suis dit : « Faisons comme le serial killer, découpons des parties du vêtement pour montrer des parties du corps. » Au final elles sont cachées, puisque dans mes défilés les mannequins portent des collants noirs, ou des body transparents qui enlèvent la couleur naturelle de leur peau. Ca a été ma démarche, mon inspiration pour cette collection. Plus généralement il y a Pierre Cardin et le Memphis. Ces deux références sont en moi, appartiennent à mon imaginaire, et donc forcément s’imposent quand je dessine. Inconsciemment elles m’influencent au quotidien.
Vos créations sont très singulières, on se demande en les voyant quelle image vous avez de la femme?
Quand j’ai pensé à ces vêtements, au départ, je n’ai pas réfléchi à quel type de femme les porterait. Je n’ai pas la prétention de dire que je suis un grand styliste, mais j’aime bien penser que les femmes qui portent mes créations donnent au vêtement une importance qui ne leur est plus donnée aujourd’hui. Dans la collection, par exemple, il y a des paniers qui rappellent Marie-Antoinette et la cour de Louis XIV, une époque historique où le vêtement avait une réelle fonction sociale. Aujourd’hui, avec la massification du prêt-à-porter, les vêtements ont tendance à perdre de la valeur. Et avec eux, la valeur de l’artisanat, la beauté des tissus, leur poids, leur parfum… C’est pour cela que toute ma collection est presque intégralement réversible, avec des finitions hallucinantes, confectionnée dans des ateliers parisiens de grande qualité où les matières comme le feutre industriel ne sont pas communément travaillées. Habituellement les tissus sont beaucoup plus nobles pour ce niveau de finition.
Vous avez fait vos armes en Italie, où vous êtes né et y avez débuté votre carrière de designer. Pourquoi avoir décidé de vous installer à Paris?
Par nécessité. J’ai commencé à travailler à Paris, donc je m’y suis logiquement installé. Parallèlement, je me suis toujours dit que je ne retournerais pas défiler en Italie. Ca m’ennuie de le dire, mais il y a là bas un coté trop industriel de la mode. L’Italie a un grand savoir-faire, mais elle ne pense qu’à la diffusion et la commercialisation. La France, quant à elle, a été le pays qui a glorifié Mc Queen, Galliano, Ghesquière… dont aucun autre pays n’avait voulu croire au génie. Juste pour ça, la France mérite que les créateurs y défilent. Il y a aussi l’Angleterre et Londres, mais en France il y a en plus le côté luxe, qui assume ses choix. Paris a appelé les créateurs américains et italiens pour les lancer quand personne ne misait sur eux. L’Italie ne veut pousser que des gens qui ont, dès le départ, un côté commercial et industriel, facilement interprétable, lisible.
Que peut-on vous souhaiter pour le futur? Quels sont vos projets ?
Bien sûr continuer, défiler en mars pour le prêt-à-porter à Paris, et que les gens aiment ce que je fais. Ensuite, trouver un mécène, ce qui est très difficile pour un jeune créateur. Sinon j’adorerais reprendre une grande maison, comme l’exemple de Galliano à l’époque qui a repris la maison Dior. J’adorerais reprendre Pierre Cardin ou Courrèges, parce que ce sont des maisons qui ont beaucoup apporté à la mode et qui sont un peu oubliées maintenant.
Votre créateur préféré aujourd’hui?
Miuccia Prada : je trouve que c’est vraiment l’essence de la modernité. Toutes les choses que cette femme fait sont ce que l’on voudrait voir dans la rue. Cela a certes un côté commercial, mais la recherche qui est faite derrière est tellement poussée que le concept de départ devient presque de la Couture : la façon de travailler les matières, les imprimés… J’aime aussi beaucoup le travail de Christopher Kane. Je le trouve très drôle.
Propos recueillis par Edouard Troubat & Benjamin Belin