Ali Madhavi
Ali, en trois mots, c’est une silhouette, une esthétique et une signature. Mais, c’est aussi beaucoup plus que cela. Plasticien et photographe, on le retrouve aujourd’hui D.A. du Crazy Horse. Logique.
Quel est votre parcours ? Comment êtes-vous passé de l’art contemporain à la mode, à la réalisation de films publicitaires et maintenant Directeur Artistique du Crazy Horse ?
Ma première vocation, quand j’étais en Iran, était la mode. Je n’arrêtais pas de dire que je voulais être le nouveau Saint Laurent et j’ai fait une grande partie de mes études dans ce sens là. J’ai fait 3 ans à l’école Boulle, 2 ans à Duperré, à la suite de quoi je suis entré chez Thierry Mugler, qui était vraiment mon idole. J’avais pour lui une fascination qui était proche de ce que les jeunes peuvent avoir pour un groupe de rock. J’ai vécu pendant deux ans des choses tellement flamboyantes et stimulantes que cette expérience m’a probablement changé pour toujours. Mais, parallèlement, je me suis rendu compte que la mode n’était probablement pas le moyen d’expression que je cherchais car je ne suis pas intéressé par la mode dans son évolution, dans son changement, dans son rapport avec la société, dans son aspect commercial. Je ne suis pas intéressé par cette nécessité de s’adapter à la tendance mais beaucoup plus concentré sur une vision de la femme axée sur un glamour exacerbé et une séduction vénéneuse. J’ai ensuite repris mes études aux Beaux-Arts avec des échanges au Collège de Londres et au San Francisco Art Institute. Dès que j’ai été diplômé, j’ai eu ma première exposition chez Marion de Beaupré . Très vite, la presse a beaucoup parlé de moi, sans doute parce que mon travail était très différent de ce qui se faisait dans ce domaine. Mais, en même temps, il y avait aussi une sorte de réticence parce qu’on ne savait pas très bien où me situer par rapport aux codes établis ; c’est d’ailleurs une chose récurrente chez moi, on ne sait jamais exactement où me situer ! Mon travail avait dès le départ un grand lien avec le cinéma hollywoodien des années 1930 et 1940. Il y avait même dans mes portraits quelque chose d’extrêmement glamour même si c’était un glamour un peu perturbant. Très naturellement on m’a demandé de faire des séries de portraits de couturiers, des photos de mode, ce que j’ai accepté de faire avec beaucoup de plaisir. Mais, je me suis très vite aperçu que d’un côté le monde de l’art avait l’impression que je les avait trahi et que celui de la mode se méfiait de moi. Il m’a fallu quelques années pour bien intégrer les codes implicites… J’ai ensuite réalisé des films publicitaires, qui pour moi étaient une étape pour arriver au long-métrage. C’était assez naturel car mes photos avaient des éclairages, des mises en scène très proches du cinéma. Le Crazy Horse, c’est une obsession qui date de plus de 15 ans. Ca m’a fait le même effet que Mugler ou certains films de Hitchcock, de Fellini, de Bunuel, de Sternberg que j’ai pu voir. Ces films mettent le doigt sur quelque chose de mon rapport avec les femmes et le glamour, ainsi que leur mise en scène. Le Crazy Horse se rapprochait le plus de ce que je recherchais sans avoir encore pu l’identifier. J’ai donc eu un choc assez violent esthétiquement et émotionnellement. J’y suis retourné à plusieurs reprises. J’aimais beaucoup cet endroit qui a une identité extrêmement forte qui ne pouvait pas être comparée à d’autres cabarets et à d’autres revues. D’autant plus que la scène est toute petite, que tout doit être d’une perfection sans faille. Ce qui m’attirait c’est cette nécessité de lier la beauté des danseuses à leur capacité technique d’exprimer de l’émotion à travers elle. Et surtout, ce qui m’avait plu, c’est qu’il y avait une facette très sombre chez Bernardin dans le rapport de Eros-Thanatos. J’avais alors besoin de trouver une danseuse pour un film d’Agent Provocateur et j’ai immédiatement pensé à une danseuse du Crazy Horse. A partir de là, j’ai commencé à tisser plus de liens avec le Crazy Horse et sa direction. Ca a continué quand Arielle Dombasle m’a demandé de faire l’affiche de son spectacle. Par la suite, Dita, qui est quand même probablement mon égérie la plus représentative, a fait son deuxième show. J’ai fait l’affiche et pour un numéro qui lui manquait je lui ai suggéré un style très graphique qui se rapproche plus de l’esprit de la femme parisienne avec un chic très froid, quasi minimal où tout est dans l’expression, le regard, la silhouette. Je lui ai dit qu’il fallait penser d’office YSL, Helmut Newton car c’est la vision de la Parisienne la plus aboutie qui existe. Elle a accepté mon projet et c’est essentiellement grâce à elle que j’ai pu accéder au Crazy Horse. Peu de temps après ça, Philippe Decouflé, qui avait été choisi comme directeur artistique, m’a contacté pour que je vienne collaborer avec lui. La revue Désirs achevée, Philippe est parti pour de nouvelles aventures et je suis resté dans la maison tout en continuant mon travail de photographe et de réalisateur de films.
En quoi consiste votre travail au Crazy Horse ?
En tant que directeur artistique, mon travail est vaste et hybride. Je travaille sur la création des nouveaux numéros des artistes invités, sur la mise en scène, tout ce qui est nécessaire pour créer une revue ou des numéros. Je travaille sur la chorégraphie avec une de nos danseuses, Psycho Tico, qui a énormément de talent et qui comprend très bien les choses dont je peux avoir envie. Je ne voulais pas d’un chorégraphe extérieur au Crazy. Je voulais quelqu’un qui connaisse vraiment les codes du Crazy. Elle a énormément de créativité et elle arrive à mener mes idées encore beaucoup plus loin que ce que j’avais pensé. Mes autres missions, c’est de veiller à la bonne tenue des filles, de ramener des règles de rigueur dans la manière dont elles doivent jouer un personnage, dans la manière dont elles doivent se présenter en dehors de la scène. Je surveille leur coiffure, je leur donne des codes de maquillage précis. Je dessine les tenues qu’elles doivent porter aussi bien sur scène dans certains numéros ou quand elle sont en représentation, leur dire comment elles doivent se comporter dans une émission, dans une interview. Je m’occupe de choisir les danseuses et surtout, je travaille beaucoup avec elles sur l’interprétation. On a par exemple beaucoup de danseuses classiques qui ont beaucoup de difficultés. Leur formation bien que très utile est totalement inversée par rapport à la posture du Crazy Horse qui est beaucoup plus cambrée, beaucoup plus sensuelle.
Quels sont vos projets pour cette maison ?
Je souhaite développer à l’avenir des projets annexes, mais la structure un peu rigide de la maison m’oblige à faire les choses progressivement, par étapes. Je tiens par exemple à développer un groupe de chanteuses « Les Crazy Girls » Je suis également très soucieux du développement et du rayonnement du Crazy Horse à l’étranger. Il y a aussi un film que j’ai écrit et qui s’appelle « Meurtre au Crazy Horse », qui mêle à la fois humour, érotisme, glamour, sensualité voire la sexualité et la violence… Tout la part d’ombre du Crazy Horse que je souhaite développer, exacerber dans ce cas précis. J’ai d’ailleurs prévu un rôle très spécifique pour Dita. J’en suis au stade du synopsis et j’aimerais le développer.
Quels sont vos projets plus personnels ?
Je veux continuer à travailler dans la photo et la publicité, mais je souhaite vraiment faire aboutir mes projets cinématographiques. Je veux de plus en plus me diriger vers le cinéma et le long-métrage. Le problème c’est que j’ai une vision du cinéma presque plus proche de Douglas Sirk, de Claude Chabrol, de Bunuel, à certains moments d’Almodovar où je mets en scène des femmes très névrosées, très belles avec des facettes un peu surréalistes. C’est très loin de ce qui se fait habituellement et c’est relativement difficile à monter. Alors, ça fait beaucoup de choses en même temps, mais en dehors du travail de toutes façons je n’ai pas l’impression d’exister.
Vous êtes un personnage nocturne qui n’hésite pas à aller très loin dans la mise en scène de soi. Qu’exprimez vous par ce biais et n’est ce pas en contradiction avec votre rigueur professionnelle ?
J’ai compris très tôt que je ne serai jamais conventionnel. Étant donné mon apparence, je sais que je ne pourrai jamais rentrer dans des cadres. Heureusement, c’est un milieu où une certaine liberté d’expression dans la manière dont on se présente est possible (mais moins que ce qu’on pourrait penser). Plutôt que de le cacher, j’ai choisi de l’exacerber. J’aime beaucoup me mettre en scène. Les années 1990 étaient des années très conventionnelles, on était dans le minimal avec une musique qui ne m’intéressait pas. Il y a quelque chose qui a commencé avec les soirées de la Cantina qui étaient vraiment géniales et très subversives. Très vite, j’ai été un des premiers à aller à la Club Sandwich où là, vraiment, on a retrouvé un plaisir insouciant de la fête qui était celle que l’on peut imaginer du Palace, du Studio 54, du 7 qui sont des périodes que je n’ai pas connues mais qui m’on beaucoup fait rêver. On a été plusieurs, progressivement, à aller dans une surenchère d’habillement, de costumes. Je créais des personnages hybrides entre beauté et névroses. Je pense que ce désir-là s’est transféré dans ma manière de me mettre en scène dans les soirées. Il se trouve que, depuis que je suis au Crazy Horse, et peut être aussi du fait de l’âge, je sors beaucoup moins. Je pense qu’une partie de moi est allée au bout de ce que j’avais à exprimer dans cette période là. Aujourd’hui, je préfère les soirées intimes où on peut parler. Sinon, j’adore chanter et je suis un peu le roi du karaoké. Je suppose qu’une partie de moi a toujours rêvée d’être sur scène mais n’étant pas vraiment conventionnel, c’est assez compliqué. Le Renard fait donc partie de mes endroits préférés, auquel je pense immédiatement quand je dois sortir.
Quel est votre morceau dancefloor du moment ou de toujours ?
Une de mes chansons préférées c’est « Don’t leave me this way ». Il y a une très belle version de Curtis Mayfield, à la fois très sensuelle et très dynamique. En général, je suis un aficionado de la disco, ce qui peut paraître comme un peu contradictoire avec mon travail. On pense que j’aime les choses très sombres, mais en fait ça ne m’intéresse pas du tout. Dans la disco, j’aime cette manière d’imaginer des paroles qui sont relativement insouciantes, avec un rythme si entraînant qu’on ne pas faire autrement que de danser dessus – Je précise que je ne parle pas de Boney M ou des Village people qui sont des caricatures de la disco mais plutôt de Thelma Houston, Linda Clifford, Loleatta Holloway ou Giorgio Moroder. Il y a toujours une sorte de désespoir auquel on répond par la fête, la danse, l’oubli.
Que pensez-vous de Paris et de son énergie comparée aux autres villes du monde ?
Il y a un snobisme qui consiste à décrier Paris. Mais moi, j’aime Paris, la France et la culture française comme seul un étranger peut les aimer. Il faut avoir rêvé de Paris et il faut une fois sur place se rendre compte du privilège qu’on a. Contrairement à ce qu’on pense dans la création vivante et contemporaine Paris est d’un avant-garde totalement surprenant. Mais, le problème des Parisiens, et des Français en général, c’est qu’ils ont tendance à se dénigrer alors que les Américains ne font que la promotion d’eux-mêmes. Les Français, eux, font la promotion de la terre entière sauf d’eux-mêmes. C’est dommage. Mais, que ce soit moi, Catherine Baba ou Pearl, qui sommes des personnalités relativement esthètes et hors normes, on a beau aller à NY, à Los Angeles, Berlin, Londres ou Moscou, on revient toujours à Paris en se disant que c’est définitivement la ville la plus excitante, la plus inspirante et la plus glamour au monde.
Propos recueillis par Édouard Troubat
Du 19 au 29 Septembre, Clotilde Courau au Crazy Horse
4 numéros conçus et mis en scène par Ali Mahdavi Patricia Folly :
Chorégraphie Roberto Cavalli : Costumes www.ali-mahdavi.com