Angelica Mesiti
Quand faire c’est dire
Je m’intéresse aux différentes manières qu’ont les actions de communiquer un message et d’avoir un effet
Angelica Mesiti n’est pas étrangère au Palais de Tokyo. L’artiste australienne, qui vit et travaille entre Sydney et Paris, s’y est rendue pour la première fois en 2006. C’était le coup de foudre artistique. Aujourd’hui, le Palais de Tokyo accueille sa première exposition personnelle organisée par une institution française, Quand faire c’est dire. L’exposition, à voir jusqu’au 12 mai, lance la nouvelle saison “Sensible”. Angelica Mesiti explore les formes de communication non verbales, et elle présente au Palais de Tokyo une sélection de cinq films datées de 2012 à 2019 dans une scénographie immersive qui invite le visiteur à une expérience physique. L’année 2019 s’annonce sous les meilleurs auspices pour Angelica Mesiti : l’artiste représentera l’Australie à la 58ème Biennale de Venise en mai…
En tant qu’artiste, ressentez-vous une dualité dans votre travail du fait que vous vivez entre Paris et l’Australie ?
Je travaille entre Sydney et Paris par intermittence depuis 2007, et c’est une réalité qui a forcément affecté mon travail. Je pense qu’elle me permet de changer de perspective par rapport à mes origines mais aussi à l’endroit où j’ai choisi de vivre. Paris est une ville très stimulante, à la fois pour ma vie personnelle et mon travail d’artiste – son influence est bonne. Lorsque je rentre à Sydney, j’ai toujours ce sentiment d’être totalement détendue, que ce soit au niveau de la langue ou de la culture. Le fait d’être un “outsider” à Paris est aussi une perspective intéressante qui m’inspire. Ma condition a sans aucun doute eu un effet sur la manière dont je vois les choses, ce qui m’intéresse et, au final, des décisions que je prends.
Pouvez-vous expliquer le titre de votre exposition, Quand faire c’est dire ?
Le titre vient d’une proposition de [la commissaire d’exposition] Daria de Beauvais. Elle est venue vers moi avec cette idée comme base de discussion, et lorsqu’elle me l’a proposée, je me suis dit qu’il y avait là une affinité avec mon travail. Selon moi, elle a essayé de rendre compte des liens linguistiques et de l’idée que les mots peuvent devenir actions. De mon côté je m’intéresse aux différentes manières qu’ont les actions de communiquer un message et d’avoir un effet. Ce titre offre une perspective plus large qui permet au visiteur d’entrer dans les œuvres.
Parlez-nous des cinq installations vidéo présentées dans l’exposition. Comment peut-on les rapprocher, ont-elle un message commun ?
Les œuvres présentées ici proviennent d’un corpus créé sur une période de dix ans environ. Avec Daria, nous nous sommes posées la question de l’expérience du visiteur et nous avons décidé de créer un parcours, une expérience à travers les films. Les deux premières vidéos de l’exposition, Citizens Band et Mother Tongue, adoptent une approche de l’ordre du documentaire – même si ce sont des histoires “construites” – parce que je travaille avec des personnes et des situations réelles. Ce sont tous des performeurs, c’est pour cette raison que je les ai invités à participer à ce projet pour lequel j’ai créé un cadre autour de leur activité. Mais c’est un cadre qui rentre dans le contexte du monde. Dans les salles suivantes sont exposés The Colour of Saying et Relay League. Leur approche est plus expérimentale et le visiteur est davantage sollicité. Des arrangements scénographiques exigent de se repositionner afin de faire l’expérience de l’œuvre du début à la fin. Ainsi, la perception de l’œuvre et notre interaction avec elle change progressivement. On passe d’un visionnage assis, fixe, à une expérience qui requiert le mouvement. Prepared Piano for Movers (Haussmann) est présentée en toute fin de parcours. Il s’agit d’une œuvre sonore – avec images. Elle montre deux déménageurs en train de monter un piano sur six étages dans un immeuble haussmannien. On quitte l’exposition par cette œuvre inspirée de John Cage, par quelque chose de plus expérimental.
Comment sélectionnez vous les personnages, les moments, les sons que vous voulez illustrer ?
Pour chaque projet, le processus est différent. Citizens Band était par exemple le fruit de rencontres personnelles. J’ai croisé la route de Mohamed Lamouri sur la ligne 2 du métro à Paris, et nous avons engagé la conversation, conversation qui a mené à une relation. Avec des projets comme Mother Tongue ou The Colour of Saying, je me suis posée une question plus spécifique à laquelle je voulais trouver des réponses, alors j’ai cherché des groupes de personnes ciblés qui pourraient répondre à mes interrogations.
Votre travail illustre que le langage ne se limite pas à la parole. Quelle définition donneriez-vous du langage et de la communication ?
C’est une question délicate ! Les arts visuels utilisent des méthodes d’expression et de communication qui se situent en dehors du langage. Dans ce sens, je ne pense pas que mon approche soit inhabituelle pour un artiste. J’ai une formation dans la danse, la performance et la réalisation, et ce sont tous des médiums qui nous permettent de communiquer sans faire appel au langage. Voilà comment j’utilise les méthodes de communication non verbales.
Vous qualifiez-vous davantage comme une observatrice ? Ou y a-t-il toujours quelque chose de l’ordre du commentaire dans les situations que vous illustrez ?
Dès lors que l’on filme une action, on la modifie. Ainsi je ne pense pas qu’il soit possible d’être un observateur totalement impartial. Quand je filme, je fais des choix et j’observe la création de relations simultanées. Il y a donc toujours une opinion là-dedans – et je ne m’en cache pas.
À quel point votre œuvre s’inspire-t-elle de votre expérience personnelle ?
Je pense que beaucoup de mes premières expériences, dont les formations que j’ai pu suivre, ont informé la pratique que j’ai développée. J’ai construit cette pratique à partir de données existantes, et le processus a été long. On finit par développer son propre langage, et ça devient quelque chose de personnel.
Il s’agit là de votre première exposition personnelle au Palais de Tokyo. Comment avez-vous appréhendé le projet ?
Ma première visite au Palais de Tokyo doit remonter à 2006, c’est une expérience que je ne peux pas oublier ! J’étais venue voir l’exposition Notre Histoire par les commissaires d’exposition Nicolas Bourriaud et Jérôme Sans. J’ai été impressionnée par le lieu, et lorsque je me rendais à Paris pour des périodes plus longues, je prenais toujours le temps de revenir au Palais de Tokyo. On peut dire que je suis fan de cette institution, alors je ne cache pas mon enthousiasme d’avoir été invitée à présenter mon travail ici ! J’ai ce sentiment d’être dans un endroit familier, et j’ai été témoin des transformations du lieu et de la façon qu’il a d’explorer toutes sortes d’idées. C’est une institution très agile qui réinvente constamment le concept d’exposition et trouve de nouvelles façons de faire vivre ses murs. C’est vraiment un cadre idéal pour être invitée à y exposer.
Vous avez été sélectionnée pour représenter l’Australie à la 58ème Biennale de Venise cette année. Pouvez-vous déjà parler du projet que vous allez y présenter ?
Je suis tenue au secret ! Ce que je peux dire, c’est que j’ai répondu à l’appel à projets en proposant une idée que je souhaitais voir développée, en ouvrant des conversations que l’on pouvait avoir de la perspective de l’Australie. J’ai proposé un concept, puis il y a eu une longue période de développement. Ça a été assez fascinant pour moi d’essayer d’explorer cette idée de “pavillon national”, mon positionnement face à cette idée et la manière dont je voulais traiter le concept de nationalité, d’identité. Ce sont des questions très intéressantes pour quelqu’un qui est née et a été éduquée en Australie, mais qui vit en Europe avec des racines européennes. Voilà qui m’a donné beaucoup à réfléchir !
Portrait et vidéo : Michaël Huard