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01.09.2020 #art

Ora Ito

Invader was here

« Toutes les œuvres sont contextuelles, rien n’est là par hasard »

“INVADER WAS HERE” et c’est vrai: Invader est un peu partout. Mais croyez-le ou non, jusqu’ici l’artiste dont on connaît tous – sans connaitre son visage – les céramiques pixélisées fleurissant sur les murs des villes du monde entier n’avait envahi qu’à deux reprises la ville de Marseille. C’était successivement en 2004 et 2014, et seule une dizaine de pièces avait été installées. Aujourd’hui, grâce à une exposition-événement commanditée par le MAMO d’Ora Ïto, la Cité Phocéenne devient la deuxième ville la plus envahie par l’artiste avec près d’une centaine d’œuvres parsemées du quartier Saint-Charles à la Corniche en passant par la Cité Radieuse qui abrite le centre d’art depuis 2013. À l’heure où la Covid-19 a restreint l’accès aux musées et galeries, cette huitième carte blanche estivale au MAMO ne pourrait pas mieux tomber. Invader succède à Xavier Veilhan, Daniel Buren, Dan Graham ou plus récemment Alex Israel et se démarque de ses confrères en faisant du toit-terrasse de la Cité Radieuse de Le Corbusier le QG de cette exposition-invasion. Un vrai pied de nez à la distanciation sociale, mais pourtant une idée qui ne date pas d’hier… Rencontre avec Ora Ïto pour une interview les pieds dans l’eau.

À quand remonte ta relation avec Invader et ce projet d’exposition ?

On se connaît depuis 22 ans, mais à l’époque je ne pouvais pas m’imaginer qu’il exposerait un jour dans mon centre d’art. J’avais vingt ans quand on s’est rencontrés ! Notre premier article ensemble, c’était dans CRASH en septembre 1998. Ça fait très longtemps qu’on parle de ce projet, cette idée d’envahir Marseille par le biais d’une exposition au MAMO. Nous avions dans l’idée de créer cette dualité entre l’exposition et l’invasion. On peut appeler ça une invasion commanditée par le MAMO et opérée depuis le MAMO. L’installation au MAMO est vue à travers des œillères pour rester dans l’esprit d’une “base secrète”. Et comme dans un peep-show, on peut regarder à travers l’ensemble du dispositif qu’Invader a mis en place : le matériel, les échelles, les colles. Le visiteur comprend alors l’envers du décor. Ça n’avait encore jamais été fait et c’est vraiment très intéressant parce que l’installation nous permet de comprendre la démarche d’Invader, grâce à tous les outils qu’il a développés pour pouvoir monter très haut et envahir les villes. C’est son mode opératoire.

L’exposition a été inaugurée officiellement ce vendredi 28 août au MAMO, mais on peut pourtant voir le travail d’Invader un peu partout dans Marseille depuis quelques semaines…

Très secrètement, Invader a transformé le MAMO en atelier au cours des deux derniers mois. C’est devenu son QG pour créer les pièces de l’exposition et envahir la ville de Marseille. Une partie des pièces a été créée ici, l’autre dans son atelier parisien. Il a envahi la ville de 86 pièces supplémentaires, et on arrive à 97 pièces au total, avec celles qu’il avait posées entre 2004 et 2014. Invader pose toujours des œuvres là où il passe mais à ce jour c’est la plus grande invasion de Marseille, ce qui en fait la deuxième ville la plus envahie après Paris.

MARS_91, Marseille, 2020 ©Invader

C’est donc la réalisation d’un projet de longue date !

Oui, ça fait longtemps qu’on en parlait mais à vrai dire à cause de la Covid-19, je n’avais pas envisagé de pouvoir ouvrir une exposition. Toutes les expositions du MAMO depuis le début, avec Xavier Veilhan, Daniel Buren, Dan Graham, Felice Varini, Jean Pierre Raynaud, Olivier Mosset, et Alex Israel ont été créées spécialement pour le lieu. ll s’agit toujours d’expositions in situ, ce qui nécessite de grosses productions. Évidemment la situation était plus compliquée cette année, donc c’était vraiment le moment adéquat pour inviter Invader. Il a travaillé jour et nuit – il opère toujours la nuit, entre 2 et 5 heures du matin – pendant trois mois, et il a réalisé une mission quasi impossible. Même les “flasheurs” n’arrivent pas à comprendre comment il a pu en poser autant, et toujours tout seul !

Invader semble être l’artiste parfait pour cette période où l’accès aux lieux culturels est restreint, l’exposition en prend une toute nouvelle dimension. Était-ce pour toi aussi l’occasion de redonner l’accès à la culture à un moment où elle est menacée ?

Bien sûr, et c’est mon travail depuis le début à Marseille. C’est dans la continuité de ce que j’ai fait sauf que cette exposition prend une ampleur sur la ville et c’est encore plus intéressant pour moi. Je suis fier de cette opération, les Marseillais sont contents et 1 200 “flasheurs” se sont déplacés. C’est énorme !

Comment ont été choisis les lieux à envahir ? Était-ce le résultat d’une réflexion commune ?

Toutes les œuvres sont contextuelles, il y a toujours un rapport avec l’endroit où elles sont placées, rien n’est là par hasard. On est resté dans la philosophie du MAMO. J’ai travaillé avec lui sur la sélection des lieux et étant donné que le projet s’est fait rapidement, je lui ai donné un œil averti sur la ville, je l’ai amené partout ! De son côté, il a constitué une carte pour être sûr de vraiment être présent partout dans la ville. D’où l’ampleur du projet. Je pense qu’il faut plus d’une journée pour aller voir toutes les pièces.

Haut: Invader au MAMO Marseille Modulor, 2020 © Invader
Droite: MARS_34, Marseille, 2020 ©Invader

Tu parlais des “flasheurs”, ce sont les gens qui ont l’application qui permet de recenser les œuvres d’Invader que l’on trouve, avec un système de points. Il y a toute une communauté de personnes qui suivent son travail de très près, partout dans le monde.

C’est ça, et ils sont tous à Marseille en ce moment ! Il y a même les “réactivateurs”, il s’agit des personnes qui restaurent les pièces quand elles sont abîmées. Ils sont au courant dès qu’il y a des dégradations, et ils débarquent en bande pour “réactiver” les pièces. C’est comme s’ils étaient l’armée d’Invader, qui est un peu comme leur super héros. Il sont extraordinaires, ils portent même des T-Shirts brandés Invader.

Il s’agit du huitième artiste invité par le MAMO dans le cadre d’une carte blanche.

Oui, c’est le huitième artiste dans la série des “masters”, les expositions d’été. L’idée est de proposer des expositions monographiques qui investissent l’ensemble de l’espace, intérieur et extérieur, dans lequel je n’invite que des artistes du niveau d’un Buren, d’un Graham ou d’un Invader, c’est à dire des artistes qui ont la capacité à pouvoir maîtriser l’ensemble d’un espace aussi grand. Et puis l’architecture de Le Corbusier est déjà une œuvre en soi, il faut arriver à venir mettre une œuvre dans une œuvre.

Est-ce qu’il a toujours cette volonté d’un dialogue avec l’architecture de Le Corbusier dans ces expositions ?

Certains s’en émancipent, d’autres jouent avec et créent le dialogue. Là, on est plutôt dans l’idée de la chasse au trésor, de mettre les œuvres dans des endroits discrets qui ne sont pas forcément visibles au premier abord. Tout est tourné autour de l’idée de trouver les pièces qui ont été installées dans des endroits stratégiques et des symboles forts de la Cité Radieuse.

Tu as ouvert le MAMO sur le toit-terrasse de la Cité Radieuse en 2013, il y a bientôt dix ans. Qu’est-ce qui t’a poussé à t’investir dans ce nouveau projet à l’époque et quelles sont les évolutions que tu as constatées, notamment pour le rayonnement culturel de ville de Marseille ?

Je pense que l’identité d’un lieu s’écrit à travers les différentes expositions que l’on va y créer. De la première exposition avec Xavier Veilhan à la plus récente avec Invader, il y a un vrai fil conducteur, et je dirais même que c’est le cas entre les différents artistes qui s’y sont succédés. Jean-Pierre Raynaud, par exemple, a travaillé la céramique. Tous ont pour point commun d’être des obsessionnels. Je dois dire que j’aime les choses minimales et il y a aussi toujours cette notion-là avec les artistes que l’on choisit.

MARS_53, Marseille, 2020 ©Invader

J’ai l’impression qu’il y a un nouvel engouement pour la Cité Radieuse depuis quelques années, alors qu’on l’avait un peu oubliée.

C’est surtout grâce à la nomination de Marseille en tant que Capitale Européenne de la Culture en 2013, et l’entrée du bâtiment au patrimoine mondial de l’UNESCO. C’est incroyable de se dire que ce bâtiment est aussi important qu’une pyramide d’Égypte!

Marseille, capitale d’art contemporain ?

Bien sûr, grâce au Mucem, au MAMO, au Frac, à la Friche de la Belle de Mai, et grâce à cette nouvelle scène qui est en train d’émerger et ces nouvelles actions comme Invader qui vient envahir la ville. C’est quelque chose qui va se construire petit à petit mais qui va se mettre en place progressivement.

Tu es originaire de Marseille. Comment partages-tu ton temps entre le Sud et Paris ?

C’est simple. À Paris je travaille, et à Marseille je travaille en claquettes… ou au bord d’une piscine. J’ai aussi beaucoup de projets à Marseille, je refais le métro, la place Castellane, et on vient de gagner le plus gros concours d’Europe pour refaire tout un quartier. Tout ça, c’est mon travail personnel, le MAMO c’est aussi une passion et une manière de m’occuper l’été parce que j’ai du mal à rester tranquille !

Exposition-invasion « Invader was here »
MAMO — Centre d’art de la Cité Radieuse
280 Boulevard Michelet, 13008 Marseille
Jusqu’au 11 novembre 2020 ; tous les jours, de 9H à 18H. Entrée gratuite.

Interview: Maxime Der Nahabédian

Portrait: Invader et Ora Ïto au MAMO Marseille Modulor, 2020 © Invader
Vues d’installation:  « Invader was here », MAMO Marseille Modulor, 2020 © Invader
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