Steven Stokey Daley
Un conte de fées mode
« Je ne m’autorisais pas d’imaginer gagner le Prix LVMH. Maintenant que je l’ai, c’est la plus grande forme de validation de notre travail. »
L’histoire de Steven Stokey-Daley, le designer britannique derrière la marque émergente S.S. Daley, ressemble à un conte de fées. Issu d’un milieu modeste de la banlieue de Liverpool, il habille aujourd’hui Harry Styles (la pop star a porté sa collection de fin d’études dans le clip « Golden », et depuis il ne le quitte plus), et ses défilés théâtraux sont parmi les plus convoités de la Fashion Week de Londres. Sa plus récente réussite ? Cette année, Stokey-Daley a remporté le prestigieux prix LVMH.
« Steven joue comme personne avec les codes classiques de la mode britannique », explique Maud Barrionuevo, directrice des achats chez 24S.com, la plateforme e-commerce de LVMH, où les collections de plusieurs gagnants du Prix sont disponibles. « J’aime la façon dont il utilise les fleurs, c’est très poétique. Il interprète sa riche culture à sa manière. Il a aussi cette approche excentrique, ludique, même irrévérencieuse de la mode, comme Vivienne Westwood ou Alber Elbaz à l’époque de Lanvin. Dans la mode, cela nous a beaucoup manqué ». Selon elle, il n’y rien d’étonnant que le jury du prix l’ait choisi cette année : non seulement Stokey-Daley sait comment concevoir et styliser les pièces, mais aussi comment les présenter. Nous avons rencontré le jeune designer de 25 ans lors d’un cocktail organisé en son honneur par 24S.com à Paris. Une occasion parfaite de parler mode et contes de fées.
Que signifie ce prix pour vous ?
Vous savez, c’était totalement inattendu. Je ne me permettais pas d’imaginer le gagner. C’est incroyable, c’est la plus grande forme de validation de notre travail. On travaille vraiment très dur, et c’est comme si ça payait enfin.
Quelle était la leçon la plus importante que vous avez apprise ? Pourquoi cette expérience est-elle précieuse pour vous ?
J’ai appris à me présenter, et présenter la marque. C’était aussi un bon coup de pouce pour examiner l’entreprise plus attentivement. J’ai également rencontré Cate Blanchett aujourd’hui. Nous avons eu une conversation très agréable et, ensuite, c’est elle qui m’a remis le prix.
Dans le jury, y avait-il des designers que vous rêviez de rencontrer ?
Oui, Jonathan, Stella, Kim (Jonathan Anderson est le directeur de la création de Loewe, Stella McCartney est à la tête de sa propre marque et Kim Jones est le directeur de la création de Dior Men et le directeur artistique de Fendi pour les collections haute couture, prêt-à-porter et fourrure pour femmes, ndlr). Je n’ai jamais rencontré aucun d’entre eux. Et Nicolas Ghesquière, de Louis Vuitton, et Maria Grazia Chiuri, directrice de la création de Dior pour femmes : ils ont tous été extraordinaires avec moi. Ils ont posé des questions sur mon travail, mes processus. Cela signifie beaucoup pour moi.
Harry Styles a porté les créations de votre collection de fin d’études dans sa vidéo « Golden ». Comment cette collaboration a-t-elle vu le jour ?
Au fait, tout était très simple. J’ai commencé à travailler avec Harry Lambert, le styliste d’Harry Styles. Je lui ai envoyé mon lookbook en lui disant : « Bonjour, aimeriez-vous regarder mon travail ? ». Et il l’a vraiment fait, et il l’a aimé. À partir de là, il a réservé toute ma collection pour Harry (Styles), ce qui était incroyable. C’est une bonne leçon : il ne faut jamais avoir trop peur de demander ou de se mettre dans des situations où l’on n’est pas à l’aise. Je ne connaissais pas du tout Harry, j’ai juste tenté ma chance, j’ai agité la main et j’ai littéralement dit « Hello ! Regarde mon travail ! ». Il faut donc être courageux et intrépide dans ce métier.
Restez-vous en contact ?
Oui, bien sûr. Maintenant, nous travaillons ensemble tous les jours. En plus, heureuse coïncidence, nos bureaux avec Harry Lambert sont à côté l’un de l’autre, dans l’est de Londres. Et pour tout vous dire, il y a environ une heure, j’ai reçu un message de Harry Styles me disant « Félicitations ! ». C’est très gentil. Il est génial et il nous soutient beaucoup. Styles est incroyablement gentil pour une célébrité.
Styles est une icône de la mode, qui n’a pas peur de jouer avec les codes du genre, en s’habillant dans les collections femmes. Considérez-vous la mode comme un champ d’expérimentation des identités ? Et avez-vous les femmes en tête lorsque vous créez ?
Tout à fait, on a introduit le womenswear la saison dernière, et nous continuerons à exposer à Londres lors des défilés womenswear. Dans le monde d’aujourd’hui, qui se soucie de savoir si les vêtements sont pour hommes ou pour femmes ? Lorsque je crée, j’ai beaucoup de personnalités différentes sur mon moodboard : Hockney, Diana, Kate Bush…
Vous dites souvent que vous n’avez jamais été intéressé par la mode et que vous ne vous identifiez pas au cliché du garçon « qui collectionnait chaque numéro de Vogue ». Alors, comment votre intérêt pour la mode est-il né ? Y a-t-il eu un moment qui a tout changé ?
J’aimerais que ce soit aussi simple qu’un claquement de doigts, mais ce n’est pas le cas. J’ai toujours été une personne créative et pragmatique. J’aime me lancer des défis. À un moment donné, je pensais que j’allais faire du théâtre, mais je ne l’ai pas fait. Je pense qu’au moment où je ne l’ai pas fait, j’ai découvert la mode.
Avez-vous un tout premier souvenir de mode ?
Non, je n’en ai pas. Et c’est ce qui est amusant ! Pas de mode du tout dans mon enfance. Cela n’a jamais été un rêve de vie, c’est quelque chose de plus récent.
Vos shows à Londres sont comme des représentations théâtrales. Pourquoi ?
Je pense qu’aujourd’hui, en 2022, si vous avez des gens qui prennent l’avion depuis le monde entier pour être au même endroit, alors il faut que cela en vaille la peine. Les défilés de mode sont une plateforme pour partager avec les autres, une opportunité incroyable de rassembler différentes industries créatives. Le monde du théâtre n’a pas la même exposition que le monde de la mode, c’est donc une belle façon de les fusionner.
Vous êtes un fan de littérature et dans vos collections vous faites souvent référence à des romans et des poèmes. Quelles sont vos plus récentes trouvailles ?
C’est vrai, je lis beaucoup. J’ai lu la plupart des livres d’E.M. Forster. Littéralement, tout. Je lis aussi beaucoup de pièces de théâtre, j’adore Shakespeare. Ma lecture la plus récente est « Young Mungo » de Douglas Stuart, c’est un roman sur un enfant gay de la classe ouvrière dans le Glasgow des années 1980. C’est l’histoire de son passage à l’âge adulte, et c’est magnifique. Je suis également un grand fan des autobiographies : les journaux intimes de Cecil Beaton sont mes préférés. J’adore Kate Bush, et j’ai lu beaucoup de choses sur la princesse Diana.
Les critiques de mode ont tendance à dire que vous célébrez l’histoire de la mode queer dans vos collections. Quel est le prochain chapitre que vous étudiez ? Dans quelle période vous situez-vous maintenant ?
C’est une bonne question ! La saison sur laquelle nous travaillons actuellement est en fait la première saison que j’ai imaginée. C’est donc un peu plus ludique, il s’agit d’une idée dont j’ai rêvé. Toujours avec les mêmes références comme Hockney et Kate Bush, ainsi que Diana. Mais il y a davantage de narration, que j’ai inventée moi-même cette fois. Attendez de le voir en septembre !
Avez-vous déjà un plan : quelle sera la prochaine étape ?
Je ne sais pas encore, nous devons tout planifier. Peut-être que nous allons élargir notre équipe. Pour l’instant, il n’y a que moi et mon petit ami. C’est donc moi qui m’occupe de tous les patrons et de tous les comptes !
Quels sont vos projets pour cet été ?
Je vais essayer de prendre des vacances. J’ai besoin d’une pause. Et, avec un peu de chance, je vais enfin retourner à Liverpool.
Interview: Lidia Ageeva
Photos: Thomas Smith