Kévin Germanier
Upcycler, c’est faire muter la matière première
« Donnez-moi n’importe quelle matière et je vous montre qu’avec du travail, elle peut devenir
luxe« .
Sobre et élégant. C’est l’impression première que me donne Kevin Germanier lors de notre rencontre quelque part dans le 10ème arrondissement de Paris. Pourtant, c’est bien le glamour extravagant qui a fait le succès de sa marque éponyme, Germanier. Un paradoxe ? Pas vraiment. Que l’on ne s’y trompe pas, le glamour Germanier est tout sauf superficiel. Formé à la HEAD puis à Central Saint Martins, Kevin maîtrise à la perfection les techniques de patronage, connait les matières, et aborde son travail avec un pragmatisme impressionnant. Avec cette plateforme qu’est Germanier, le designer suisse défend une création pleine de sens, et soulevant toujours les bonnes questions. Diamants Swarovski et upcycling; Germanier confronte les opposés et propose une mode aussi vibrante que passionnante. A quelques jours de son deuxième défilé au calendrier de la mode parisienne, il nous parle de son travail, mais surtout, en creux, de sa vision d’une industrie en pleine mutation.
Germanier, s’est construite sur le principe de l’upcycling (La récupération de matériaux dont on ne se sert plus pour créer des objets ou produits de qualité supérieure). Est-ce facile de monter une marque de luxe sur ce principe ?
Il y a beaucoup de clichés sur l’upcycling. L’un d’entre eux est de dire qu’il est impossible de « scaler » (de produire à grande échelle) en raison de l’absence de grande quantité de tissu disponible. Je pense que cela est faux, on peut faire de la grande quantité avec de l’upcycling si l’on se donne la peine de trouver des solutions. Nona Source, par exemple met à disposition des designers et marques des grandes quantités de tissus non utilisés.
L’upcycling est ma seule manière de produire, une journaliste m’a d’ailleurs dit un jour : « En fait, vous ne connaissez pas la création sans l’upcycling ». Elle avait raison. Je vais depuis toujours chez Guérrisol pour acheter des tissus moins chers, comme le duvet que j’utilise pour mes prototypes. Je pense qu’il faut passer plus de temps à chercher des manières de contourner les problèmes et moins à dire que les choses ne sont pas possibles.
L’upcycling requière tout-de-même une certaine flexibilité ?
Oui bien sûr mais il faut savoir prendre du recul. Une marque comme Germanier peut se permettre d’être flexible, car nous sommes qu’une trentaine de personnes et que nous ne produisons pas des milliers de références par an. Ceci étant dit, j’évite de jeter la pierre aux plus grands qui n’ont pas forcément la possibilité logistique d’être aussi flexibles. Il est facile de critiquer, les grandes entreprises notamment, parce que les changements n’arriveraient pas assez rapidement. La réalité, c’est que changer quelque chose, même la plus minime, à grande échelle, demande toujours plus de temps. Je prends souvent l’exemple de LVMH, puisque j’y ai travaillé. A l’époque, ils essayaient de changer les gobelets en plastique pour des gobelets en carton. Cela parait simple, mais à l’échelle du groupe, il a fallu trois mois. Il faut travailler pour une grande boite pour comprendre ce que c’est de faire fonctionner une telle machine. Faire les choses est toujours possible. Mais la flexibilité dépend évidemment de la taille des choses à changer..
Quels matériaux utilises-tu ?
J’utilise les matières que j’ai à disposition. En ce moment, je fais des sacs en PVC parce que c’est ce à quoi j’ai accès. Certains me disent que ce serait mieux qu’ils soient en cuir. Oui le cuir est plus luxe, mais ce n’est pas ce que je fais. L’upcycling, c’est la revalorisation de matières. Donnez-moi n’importe quelle matière et je vous montre qu’avec du travail, elle peut devenir luxe. En ce moment, j’ai beaucoup de polyester. Pourquoi ? Tout simplement parce qu’il y a énormément de déchets de polyester. S’il y avait de l’organza je serais ravi évidemment, mais ce n’est malheureusement pas le cas. La majorité des gens a encore du mal à bien comprendre ce principe. Une des critiques que j’ai souvent, c’est qu’il y a des défauts sur mes sequins.. c’est le principe même de l’upcycling, et cela ne veut pas dire que la pièce est moins belle, au contraire..elle a plus de caractère.
On sent que tu as quelques énervements quand on parle de l’upcycling actuellement ?
Je n’ai aucun problème avec le concept d’upcycling ou le fait qu’on dise de moi que je suis un upcycler. C’est le cas, et c’est ce que je fais depuis le début. Mais ce qui m’énerve un peu, c’est vrai, c’est cette tendance actuelle à croire que les nouveaux designers ont inventé l’upcycling. Ce n’est pas le cas. Cette pratique existe depuis toujours. Ma grand-mère par exemple, allait chaque dimanche à la messe en tenue traditionnelle. Il y avait une petit revers en velours, et quand celui-ci s’est abimé, elle a cousu une fleur dessus. Qu’il s’agisse de grandes designers comme Vivienne Westwood, ou de ma grand-mère, tout le monde faisait de l’upcycling à l’époque. Puis un jour, on s’est dit qu’on avait la possibilité de produire un tee-shirt en 10 exemplaires et en 10 couleurs différentes. Et c’est là que l’on a abusé du système. On revient donc tout naturellement à ce que l’on faisait avant.. Mais on a rien inventé.
Notre époque tend à théoriser des choses que l’on faisait déjà avant..
Oui on a besoin de mettre des étiquettes et d’expliquer. Je pense que les techniques sont les mêmes, ensuite la créativité se trouve dans nos univers de marque. Germanier, c’est le sequin, le Swarovski, l’univers de cette marque va bien au delà de l’upcycling. Le produit ne suffit pas à décrire Germanier. J’essaie de faire de Germanier une entreprise avec des valeurs et une mentalité d’entreprise forte.. Nous avons récemment décidé de partir travailler au Brésil pour donner du travail à des prisonniers en réinsertion et à des personnes de la communauté trans locale. Tout cela va avec le message ; je n’ai pas l’intention de vendre 10 millions de vêtements par saison, mais d’utiliser l’argent et la plateforme qu’est Germanier pour essayer de faire avancer des causes qui me tiennent à coeur.
Etre fondateur d’une marque c’est aussi insuffler des valeurs à sa création.
Oui c’est évident. Chacun doit trouver la dynamique qui lui convient le mieux. Je discute souvent avec d’autres designers, et on se rend souvent compte que ce qui marche pour l’un ne fonctionnerait pas du tout pour l’autre. Au final, le côté vraiment créatif, c’est 10% de notre travail, le reste c’est trouver un modèle qui nous convient, qui soit en accord avec nos valeurs et qui fasse le moins de mal possible. La réalité d’un jeune business, c’est d’être toujours dans le rush, au moins on ne s’ennuie pas. Et avec l’upcycling, c’est difficile de prévoir. Chaque saison, je ne sais pas ce que je vais faire car si je ne trouve que des tissus noir, je n’aurais d’autre choix que de faire .. du noir. C’est la beauté de ce que l’on fait.
A terme, quel est ton projet avec Germanier ?
Le but en réalité, c’est d’être nommé à la tête d’une grande maison qui voudrait bien me donner ma chance. J’ai bien conscience que c’est là qu’il faut tenter de changer les choses, de l’intérieur. Avec Germanier, je peux choisir comment je travaille, c’est une belle plateforme,mais ce ne sera jamais aussi puissant que le jour où un géant aura le courage de nommer un upcycler à la tête d’une célèbre Maison. Ça, ce serait un vrai statement. Il faudra faire des concessions, des deux côtés, mais il y aurait là une vraie discussion intéressante, à mon sens.
Tu fais quoi là pour la Fashion week alors ?
Un deuxième show au Palais de Tokyo. Je voulais que le premier show soit une introduction à Germanier; une évidence. On avait fait que le meilleur pour s’introduire comme il se doit à la nouvelle presse. On avait le tricot de grand-maman, les robes à plumes, la technique au silicone. Là pour n’avoir aucune comparaison possible entre le premier et le deuxième défilé, j’ai fait totalement l’opposé. On parle de chaos, on parle de mutation. Tu vois le film Annihilation avec Nathalie Portman ? C’est une métaphore du cancer mais avec de très belles images. C’est monstrueux, mais la mutation est extrêmement belle. Upcycler, c’est faire muter la matière première. J’aimais bien cette comparaison. Cela a donné des pièces assez étonnante et hors de mon champs habituel. Je me suis même demander si je devais sortir certaines pièces très éloigné de mon univers. Mais au final, on ne contrôle pas le chaos. J’ai donc décidé de les laisser, ce sont paradoxalement mes looks préférés. Car ce sont ceux sur lequel je suis le plus vulnérable.Ce ne sont pas des looks très « suisse » mais je me dis : It is what it is !
Mais c’est souvent l’imprévu le plus intéressant non ?
C’est vrai que ceux à qui j’ai montré la collection ont aussi préféré ces looks. Je pense que c’est parce qu’ils sont totalement inattendus et très différents de ce que l’on fait d’habitude. Un exemple, les bords franc. En général, je déteste ça. Et là, presque toute la collection a des bords-franc. C’est destroy.. a big mess. Attention cependant, la silhouette reste toujours la base de Germanier. Il ne faut jamais oublier que c’est un corps que l’on habille.
De quelle maison rêves-tu ?
J’ai toujours dit Dior, car c’est la maison la plus proche de Robert Piguet au niveau esthétique. Mais je ne vais pas faire la fine bouche. Mais je me dis que plus on l’écrit, plus cela rentrera dans l’esprit des gens .. « oui, c’est Kevin qui doit aller chez Dior » !
Propos recueillis par Pauline Marie Malier
Photos : Valentin Le Cron