Alexandre Benjamin Navet
Alexandre Benjamin Navet : Carte blanche à l’Assemblée nationale
« L’élément de la surprise évoque quelque chose en nous comme la joie et c’est ce que j’ai envie de partager dans mes projets »
Le cadre vénérable de l’Assemblée nationale peut sembler peu propice à l’art contemporain. Pourtant, dans sa cour et ses jardins se trouvent cinq sculptures totémiques de vases colorés superposés par Alexandre Benjamin Navet. L’artiste français a bénéficié d’une carte blanche de l’Assemblée nationale jusqu’au 3 juin 2023. Sa présidente, Yaël Braun-Pivet, cherche en effet à réconcilier le patrimoine et la création contemporaine. Ayant déjà invité des artistes comme Prune Nourry, Yaël Braun-Pivet a demandé à la Galerie Derouillon – qui représente Alexandre Benjamin Navet – de lui proposer un projet de l’un de ses artistes. Résultat : les joyeuses sculptures de l’artiste sont installées dans la cour d’honneur et le jardin des Quatre Colonnes. Dans ce dernier, on peut découvrir également des sièges et des bancs qu’Alexandre Benjamin Navet a peints dans son style distinctif basé sur l’esthétique d’un carnet de dessin.
Né à Paris en 1986, Alexandre BenjaminNavet a étudié à l’ENSCI–Les Ateliers. En 2017, il a remporté le Grand Prix Design Parade Toulon de Van Cleef & Arpels. Depuis, il a créé plusieurs projets pour la maison française de haute joaillerie ainsi que pour Hermès et Baccarat.
Comment avez-vous abordé la carte blanche de l’Assemblée nationale ?
Le projet est le fruit de six mois de travail. Après que j’ai été sélectionné, je suis allé à l’Assemblée nationale plusieurs fois pour mes repérages car j’ai vraiment eu à cœur de travailler sur quelque chose de spécifique pour le lieu. J’étais libre de découvrir les espaces, d’observer la circulation des gens et les perspectives de l’architecture. Quand j’étais tout seul, je dessinais les frises et les éléments des décors pour mon inspiration. On m’a proposé des options où je pourrais présenter mon travail. Je me suis intéressé à la cour d’honneur car c’est très symbolique et aux jardins où les interviews sont données et où les gens vont pour discuter pendant et après les séances. Mon souhait était de créer une déambulation entre deux espaces. J’aimais beaucoup me poser des questions sur l’emplacement des sculptures dans ce lieu solennel.
Pouvez-vous nous parler de vos idées pour les sculptures ?
Je collectionne les vases ; ce sont comme des acteurs dans mes tableaux. Les formes des vases superposés dans ces couleurs très variées communiquent ensemble. L’idée des totems est un rappel très clair de la belle verticalité de l’architecture du lieu, où on est entouré par les colonnades. C’était la première fois où je partais dans l’idée de développer mon travail artistique en volume, en 3D, même si j’ai déjà travaillé sur la question du dessin en trompe-l’œil. Ça me donne très envie de continuer sur la sculpture.
On m’a autorisé également à peindre sur les bancs et les siège du jardin ; c’était une occasion de faire quelque chose d’assez exceptionnel. Ils ont été réalisés pour être pérennes et ils s’appartiennent à l’Assemblée.
La signature de votre langage artistique est de transposer l’esthétique d’un carnet de dessin dans un décor ou un objet. Pourquoi cela vous intéresse ?
Ce que j’aime bien, c’est que le trait soit sur la toile, que la peinture investisse l’espace, qu’une commode devienne un dessin, qu’un dessin dessine une perspective. J’aime bien que tout dialogue et que les choses ne soient pas cloisonnées. Ce que j’aime chez Jean Dubuffet, c’est la notion d’entrer dans un espace, comme dans ses œuvres « Jardin d’Hiver » [1968 – 1970, installation visible au Centre Pompidou] et « La Tour aux Figures » [à Issy-les-Moulineaux]. Je souhaite donner un côté tridimensionnel au dessin et offrir au spectateur l’expérience d’être à l’intérieur d’un dessin.
Comment était votre enfance ? Vous dessiniez beaucoup ?
Ma mère a fait les Beaux-Arts et mes parents m’amenaient souvent dans les musées. Enfant, je dessinais énormément. C’est très touchant car mes parents ont conservé tous mes dessins. Mais au-delà de ce background, c’est vraiment aussi le design qui m’a beaucoup séduit. Il y a cette idée de l’objet, de la technique mais aussi de l’art qui est présent dans ma vie depuis très jeune.
Quels artistes vous ont influencé ?
J’aime énormément le travail de Shirley Jaffe – une peintre abstraite américaine qui est venue à Paris où son travail a beaucoup évolué – et l’artiste britannique David Hockney, ainsi que Matisse et André Derain. J’aime la couleur qu’on trouve dans le fauvisme et j’essaie de continuer à travailler sur la puissance chromatique.
Vous avez présenté un show solo, “L’Atelier du Potier”, sur le stand de la Galerie Derouillon à Art Paris (du 30 mars au 2 avril 2023) au Grand Palais Éphémère. Il y avait une forte résonance de représentation entre les céramiques, les dessins, le décor et le tapis. Quel en était le point de départ ?
C’était d’amener le spectateur dans un univers imaginaire, au cœur du tableau. Le titre faisait référence à mon amour pour la céramique. Je suis allé rencontrer un céramiste et j’ai travaillé avec lui sur les pièces. J’ai dessiné un tissu pour le sol, fabriqué par Codimat Collection, et j’ai aussi réalisé les décors muraux. C’était très joyeux car j’ai pu travailler sur tout l’espace. Ce projet et celui de l’Assemblée nationale sont liés : comment amener mon dessin en volume et la continuité de mon étude sur les arts décoratifs français.
Un de vos portraits fait partie de l’exposition « Portraits de Charles et Marie-Laure de Noailles » à la Villa Noailles à Hyères, jusqu’au 14 mai 2023. Votre Instagram en dévoile également quelques-uns. Le portrait est un genre qui évolue dans votre pratique ?
Le portrait est une discipline que j’aime énormément mais qui reste très confidentielle dans mon travail. Mes portraits sont assez rares et ce sont des choses très intimes parce que ceux que je peins sont des proches. J’ai envie d’aborder ce sujet mais je n’ai pas d’exposition prévue.
Vos commandes comprennent notamment « Fifth Avenue Blooms » , une série de sculptures représentant des vases avec des fleurs et des bancs sur la Cinquième Avenue, à New York, pour Van Cleef & Arpels en mai 2020, et « Façades chromatiques », une série de décors sur la place du Commerce, à Nantes, l’été dernier. Qu’est-ce qui vous plaît dans ces installations publiques ?
C’est de créer des surprises, essayer de transformer radicalement le quotidien en quelque chose d’autre, qu’une boutique de haute joaillerie, tout d’un coup, se transforme en forêt, que des sculptures au milieu d’une cour voient le jour à l’Assemblée nationale, qu’un décor de théâtre apparaisse à Nantes. L’élément de la surprise évoque quelque chose en nous comme la joie et c’est ce que j’ai envie de partager dans mes projets. Le fait que ce soit temporaire me plaît également car ça crée du souvenir. Et puis les projets éphémères proposent aussi la possibilité de s’exprimer sur une grande échelle. « Fifth Avenue Blooms », sur cette avenue mythique, c’était vraiment exceptionnel, car c’est rare de pouvoir dessiner à l’échelle d’une ville. « Façades chromatiques » faisait partie du « Voyage à Nantes » qui propose chaque année aux artistes d’investir des lieux dans la ville. Je me suis plongé dans l’histoire de la cité et les archives. Je suis allé fouiller dans les cartes postales, les images, pour imaginer à quoi ça ressemblait auparavant.
Vous venez de dessiner un carré, « Carré 100 Chevaux de la Collection », pour Hermès. Pourquoi avez-vous accepté cette collaboration ? Comment effectuez-vous vos choix ?
J’ai plutôt de la chance qu’ils me choisissent, eux ! Ils me proposent un projet et c’est le projet qui va motiver mon choix. Je suis assez fidèle à mes commanditaires, je ne fais pas de démarchage. Avec Hermès, j’ai travaillé sur cette notion de comment mettre mon dessin sur un tissu et sur un vêtement. C’est une nouvelle aventure, on s’est posé beaucoup de questions techniques. J’ai réalisé mon dessin après avoir visité le Musée Émile Hermès à Paris. J’avais envie de montrer une petite partie de sa collection et j’ai rassemblé les statues de chevaux à bascule comme si j’étais moi-même collectionneur. Avec la maison Hermès, on a cherché comment matérialiser au mieux mon pastel et la manière dont je travaille sur papier. Si je m’engage avec un nouveau commanditaire, c’est vraiment parce que je peux m’exprimer sur un nouveau support et un nouveau sujet. Chaque fois, je me demande quel nouvel univers je vais découvrir. C’est comme si je me constituais une bibliothèque avec des livres différents.
Propos recueillis par Anna Samson
Photos : Gregory Copitet