Pierre Marie
Au Pays des Merveilles
Qualifié par le Corriere de la Sera « d’enfant prodige français des arts décoratifs », Pierre-Marie Agin, plus connu sous le nom de Pierre Marie, multiplie les projets : des mythiques carrés Hermès aux dernières vitrines de Noël de Diptyque en passant par des imprimés pour APC, des tapis pour Nilufar ou l’aménagement de son appartement. Entre design, illustration et mode, ses créations sont pleines de poésie, d’onirisme et de joie. Les jeux de couleurs et de formes recréent des univers merveilleusement baroques. Il a un rapport intime à la mode et un goût pour les belles choses. Suivant ses envies, Pierre Marie enchante, avec finesse, tout ce qu’il touche…
Vous ne vous limitez pas à un champ d’expression. Vous êtes, à la fois, créateur, designer ou directeur artistique selon les projets. Quel titre vous définit le mieux ?
Designer c’est pas mal mais c’est anglais. En cherchant l’équivalent français, je suis, tombé sur Dessinateur. J’aime bien le mot Dessinateur, c’est un titre assez général pour que ça ne soit justement pas limitatif et en même temps c’est très concret, dans le sens où ça décrit un geste. Un geste qui irait de l’œil à la main.
Y a-t-il un événement à l’origine de votre vocation ?
Une légende familiale raconte que j’aurais réclamé un bureau pour Noël lorsque j’avais quatre ans. Mes parents, un peu amusés, m’auraient relancé en me demandant si je ne voulais rien d’autre. Ce à quoi j’aurais répondu: « des feutres, pour dessiner ! »… Je pense qu’à cet âge, j’avais déjà vu «Blanche Neige» de Walt Disney et «Le Roi et l’Oiseau» de Paul Grimault et que j’ai toujours dessiné avec l’idée que je travaillerais un jour pour un studio d’animation.
Comment définiriez-vous votre style ? Pourriez-vous décrire votre univers ?
Mes créations mêlent toujours la narration à l’ornementation et se distinguent par la profusion baroque des images qui les composent et ma façon de travailler le motif avec la volonté de m’inscrire dans la plus pure tradition des arts décoratifs. Je puise habituellement mon inspiration dans la nature, le folklore ou encore les films animés comme je le disais.
Vous avez collaboré avec de nombreux créateurs de mode. Ces collaborations vous permettent-elles de vous exprimer différemment ? Quel créateur vous a le plus marqué ?
Je crois que j’ai très tôt été attiré par la mode. J’avais envie de voir mes dessins reproduits sur du textile et de les voir portés, et donc vivre. Je n’étais pas encore sorti de l’école lorsque je suis allé voir Agnès b. pour lui proposer de participer aux collections qu’elle appelait «t-shirt d’artistes». Quand je suis entré dans son bureau, elle avait mis des post-it partout dans mes carnets d’étudiant. Et on avait fait comme ça deux collections. J’ai aussi travaillé avec des jeunes créateurs entre 2002 et 2008. Notamment avec Mélodie Wolf qui avait au départ fait appel à moi pour dessiner l’invitation à son premier défilé et puis qui m’a assez rapidement invité à collaborer avec elle pour les imprimés de ses collections. C’est elle la première qui m’a donné cette opportunité.
Vous avez un vrai goût pour la mode. Que représente-t-elle pour vous ?
Mon premier choc de mode a été la collection «Body Meets Dress, Dress Meets Body» de Comme des Garçons. C’était en 1997, et j’avais 15 ans. En bon banlieusard, je trainais avec des amis à moi tous les samedis dans le quartier des Halles. A cause du film «Kids» de Larry Clark tout le monde voulait ressembler à un skater et on allait au Shop rue d’Argout. Un jour lors de ce pèlerinage boutonneux, je suis tombé sur les vitrines de la boutique Comme qui était rue Etienne Marcel à l’époque et j’ai vu ces robes incroyables en vichy pastel avec des bosses, des faux-culs et des excroissances. J’ai trouvé ça si beau que j’ai laissé mes amis et je suis rentré dans la boutique.
On pense toujours que les gens qui s’habillent de façon originale le font pour les autres, pour se faire remarquer, créer un contact ou au contraire mettre une distance. Je pense qu’on s’habille avant tout pour soi, comme pour chercher à accorder ce à quoi on ressemble avec ce qu’on ressent.
Comment s’est passé votre « rencontre » avec la maison Hermès ?
Cela faisait 3 ans que j’avais cette idée en tête de dessiner un carré pour Hermès lorsqu’en 2008 j’ai contacté Bali Barret, directrice artistique de l’univers féminin chez Hermès et notamment en charge des collections des fameux carrés. Cet objet en soie a pour moi quelque chose de magique. C’est tantôt un étendard lorsqu’il est déployé et que le dessin est visible dans son ensemble, tantôt un compagnon protecteur lorsqu’il est porté autour du cou, imprégné du parfum de celle qui le porte. Un carré Hermès c’est aussi un objet très décoré, et toujours porteur d’une histoire ce qui en faisait un terrain de jeu idéal pour moi et mon travail.
Quel est le carré que vous admirez le plus ?
Il y en a trop je ne saurais pas me limiter à un seul. Parmi ceux qui m’ont donné l’envie d’en dessiner moi-même je peux citer : «Les Rubans du Cheval» de Joachim Metz, «Les Minéraux» de Hugo Grygkar, «Kachinas» de Kermit Oliver, «Alphabet» de Annie Faivre ou «Cavalcadour» de Henri d’Origny. La plupart de ces grands dessinateurs de carré œuvrent encore aujourd’hui et j’ai eu le plaisir et l’honneur de les rencontrer lorsque j’ai été adopté par la grande famille des dessinateurs Hermès.
Vous avez conçu un tapis pour la galerie Nilufar de Milan ou la décoration de votre appartement. Le design est-il un nouveau terrain d’expression ?
Oui. Tout à fait ! C’est un nouveau terrain d’expression et je l’explore avec beaucoup d’enthousiasme et d’excitation. J’ai un peu l’impression d’avoir planté mon drapeau dans la Lune. Je ne parlerais pas vraiment de design mais peut-être plus de décor ceci-dit car je n’ai ni l’envie ni la prétention de dessiner des objets dans le but de les produire en grande série. Je rêve plus d’une approche au cas par cas dans laquelle chaque projet serait dessiné pour un lieu, une personne, une histoire.
J’ai effectivement commencé par mon propre appartement conçu par mes amis et architectes LeCoadic-Scotto. J’ai commencé en ayant en tête de réintégrer le motif, l’ornement et la couleur dans le décor. Et pour cela, j’ai dessiné des tapis, des panneaux muraux imprimés (sorte d’alternative au papier peint) mais aussi des vitraux et une tapisserie. Puis pour compléter l’ensemble je me suis amusé à dessiner du mobilier: une table à dessin, une bibliothèque, un vaisselier, une vitrine, des lampes.
La relation avec les artisans est-elle importante ?
Les artisans sont, pour moi, des alliés précieux, des interlocuteurs de choix. L’artisanat est une voie à suivre, un ensemble de métiers et de savoirs à protéger et à valoriser.
Propos recueillis par Serge Carreira, Maître de conférences à Sciences Po Paris.
Portraits par Cécile Bortoletti