Ben Gorham
Dix minutes avec le fondateur de Byredo
Je me considère toujours comme un outsider
Il y avait quelque chose dans l’air ces derniers jours rue Saint-Honoré… Une étape importante de l’histoire de la maison Byredo était en train de s’y écrire: l’ouverture de sa toute première boutique parisienne. Quelques heures avant son inauguration officielle, en plein tourbillon Fashion Week, Ben Gorham, fondateur de la marque qui a réussi à dépoussiérer une industrie du parfum parfois sans saveur, nous recevait dans son nouveau chez soi, le pas tranquille, alors que s’agitait autour de lui son équipe soucieuse de n’oublier aucun détail. Cultivant sa place d’outsider depuis maintenant onze ans, Ben Gorham n’a rien de l’image conventionnelle du parfumeur. Ancien étudiant en arts appliqués passé par la case basketball, il compte parmi ses amis le designer Virgil Abloh ou le duo M/M Paris. Aujourd’hui, les parfums Byredo font partie de ces objets que l’on collectionne religieusement, la marque s’est même aventurée dans la sphère de la maroquinerie et le tout est porté par le personnage charismatique de Ben Gorham. Rencontre.
Nous nous trouvons dans votre toute première boutique parisienne, qui vient d’ouvrir pendant la Fashion Week. Était-ce un projet de longue date ?
Oui, j’attends ça depuis onze ans ! J’ai toujours eu ce désir d’ouvrir une boutique à Paris, mais je m’étais juré de ne pas le faire, surtout Rue Saint-Honoré, tant que colette serait encore là. colette a été l’une des premières boutiques à distribuer Byredo et Sarah Andelman a toujours été d’un grand soutien. Aujourd’hui, l’excitation de l’ouverture de notre boutique est teintée de tristesse, celle de dire au revoir à colette.
Comment vous est venue l’idée de cette boutique et de son design?
Tout s’est fait très vite. L’emplacement nous a été confirmé cet été, et j’ai sauté sur l’opportunité parce que j’aime beaucoup cet espace. La difficulté a été de tout concevoir en très peu de temps, mais nous avons travaillé dur, et jusqu’à la dernière minute.
Ce qui impressionne quand on entre dans la boutique, ce sont les dessins aux murs. Qui les a réalisés ?
C’est l’œuvre de mes amis chez M/M Paris. On travaille ensemble depuis huit ans, et je pense que beaucoup de Parisiens se reconnaissent dans ce qu’ils font. Alors dès que j’ai eu confirmation que l’on allait ouvrir une boutique ici, je leur ai proposé d’apporter leur contribution. Et on peut dire qu’elle a été majeure ! Les illustrations proviennent d’un projet que l’on a créé il y a un an et demi, “Drawer’s Drawings”: on les a agrandies pour créer l’impression d’une œuvre murale. On a aussi fait encadrer cinq de leurs créations les plus importantes que je trouvais typiquement parisiennes.
À quoi doit-on s’attendre lorsqu’on pénètre dans cette boutique ?
Pour nous, une boutique doit être un lieu sur lequel on a le contrôle de l’expérience client, mais qui doit aussi transmettre tout l’univers Byredo. Ce doit être un lieu où l’on montre notre univers mais aussi l’environnement qui permette de lancer de nouveaux produits dans les meilleures conditions.
Plus jeune, quelle était votre relation au parfum ?
Pour être honnête, je n’en avais aucune, je ne portais même pas de parfum. Je n’étais pas non plus vraiment sensible aux odeurs mais lorsque j’ai conçu Byredo, je me suis rendu compte de l’importance des odeurs dans ma vie personnelle et dans mon histoire. C’est le propos initial de Byredo : comment les odeurs sont liées à la mémoire, et comment peut-on les retranscrire par le parfum.
Portez-vous vos propres parfums ?
Non, toujours pas !
Vos influences dépassent la sphère du parfum. Vous avez mis un pied dans la mode par le biais de collaboration avec Off-White ou avec des photographes comme Craig McDean, vous avez aussi suivi une formation d’arts appliqués. Est-ce cette polyvalence qui motive votre processus créatif ?
Sans aucun doute. Je pense que mon expérience a une influence sur moi et je suis très heureux de toujours avoir la vision de Byredo entre mes mains. L’aspect collaboratif de la marque a toujours été essentiel et je pense que ça a beaucoup à voir avec le fait que je me considère toujours comme un outsider. Ou plutôt, mon approche est celle d’un outsider. C’est pour cette raison qu’il est naturel pour moi d’inviter des personnalités extérieures à contribuer. L’un de mes objectifs principaux a été de créer une marque qui puisse passer l’épreuve du temps, et c’est pour cette raison que je l’ai contrôlée et fait grandir de manière très spécifique. Or une de mes ambitions premières a été de créer un univers pertinent dans tout ce que j’entreprends, pertinent pour tous. Et c’est justement l’opportunité de travailler avec les talents d’aujourd’hui (M/M Paris, Virgil Abloh, Craig McDean) qui m’a aidée à créer cette identité juste.
Avant de créer Byredo, avez-vous été influencé par des grands noms de la parfumerie en particulier ?
Mes influences proviennent davantage de la sphère artistique. Selon moi, une grande partie de notre succès est intimement liée au fait que Byredo ne se rattache à aucune référence dans l’univers du parfum. On s’est lancé dans l’aventure à une période où tous les parfums avait plus ou moins la même odeur. C’était une industrie où la créativité avait été délaissée au profit du marketing de masse. Le parfum était devenu un exercice commercial et nous avions une identité unique, c’est pour cette raison que ça a marché.
Unique jusque dans l’identité visuelle.
J’ai défini un style particulier, mais on ne peut pas vraiment dire qu’il était unique parce qu’il avait une pertinence historique, des références. Donc on ne peut pas non plus le qualifier de “futuriste”, c’est simplement quelque chose que le public n’avait pas vu depuis des années.
Voyagez-vous beaucoup pour trouver l’inspiration ?
Je voyage beaucoup, mais ce n’est pas dans le but de m’inspirer. On peut dire que j’aime de plus en plus explorer et ça a pris de l’importance dans mon processus créatif. Mais une chose est certaine, s’inspirer c’est d’abord voyager et se confronter à d’autres cultures.
Pourquoi avoir décidé de lancer une collection de maroquinerie ?
Généralement je réponds: “pourquoi pas?” Voilà deux ans que nous avons lancé les sacs Byredo, mais on ne les vendait jusque là que dans notre boutique à New York principalement parce que je n’étais pas convaincu que nous étions prêts pour une telle expansion. Cette année est pour moi la première où la collection capture l’idée initiale d’intemporalité, d’archétype. Je voulais être à l’opposé de la mode, du rythme des collection, de l’idée de saisonnalité. Je voulais créer une silhouette que je pourrais modifier, ajuster, faire évoluer dans le temps.
Pourquoi le nom “Byredo” ?
Le nom provient du vieil anglais “by redolence” qui signifie “tiré de la mémoire” mais aussi un “doux parfum”. Byredo est donc l’abréviation de cette expression.
Interview : Maxime Der NahabédianPhotographie : Michaël Huard