Ari Marcopoulos
Beware* au the Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris
Ari Marcopoulos s’est fait connaître dans les années 1990 pour ses photographies assez brutes prenant pour sujet les contre-cultures telles que le skateboard. Sa passion pour le portrait l’a également amené à photographier de nombreux artistes et musiciens comme Jean-Michel Basquiat, Andy Warhol, Public Enemy et Jay-Z.
Le photographe d’origine néerlandaise basé à New York s’est vu accorder une carte blanche par le Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris pour une exposition du 5 avril au 21 août 2024.
Ayant acquis son film Brown Bag (1994/2020) auprès de la galerie Frank Elbaz, l’institution parisienne a invité Ari Marcopoulos à sélectionner des œuvres de sa collection pour les présenter aux côtés de son film et de ses photographies. Parmi les artistes choisis figurent Bruce Nauman, Daniel Turner, Isa Genzken, Annette Messager et Giorgio de Chirico.
« Méfiez-vous de ce que vous dites mais soyez également conscient de ce que vous entendez et voyez, soyez attentif visuellement et mentalement. »
Vous avez grandi aux Pays-Bas. Comment était votre enfance ?
Ari Marcopoulos :
Mon père était pilote de ligne. Il était grec, bien qu’il soit né en Égypte, et s’est installé aux Pays-Bas. Il a volé pour une compagnie aérienne persane, une autre syrienne, puis pour KLM. Il a rencontré ma mère, qui était mannequin, et est resté aux Pays-Bas. J’y ai grandi en tant qu’étranger. Je n’étais pas dans un foyer où on était censé devenir artiste.
Comment vous êtes-vous intéressé à l’art ?
Ari Marcopoulos :
Je pense à travers la musique et le cinéma. Puis j’ai commencé à me rendre au musée d’art moderne d’Amsterdam, le musée Stedelijk. La première exposition que j’y ai vue était celle de James Turrell ou peut-être celle de Nam June Paik – tous les deux des artistes assez déconcertants pour un jeune dont les premières impressions sur l’art venaient d’œuvres plus classiques. Ensuite, j’ai vu une exposition de Robert Rauschenberg, qui présentait de nombreuses fusées Saturne, le programme spatial avant l’alunissage. Je m’intéressais aussi à l’espace et aux astronautes, et c’est ainsi que je me suis tourné vers l’art.
Pourquoi vouliez-vous vous installer à New York en 1980 ? Quelle était votre ambition ?
Ari Marcopoulos :
Je ne pense pas avoir eu d’ambitions, je voulais simplement quitter les Pays-Bas [rires], aller ailleurs ! Mon oncle vivait à New York et je lui avais rendu visite tout seul quand j’avais 12 et 15 ans. J’adorais New York – les gratte-ciel, ces immeubles impressionnants – et j’adorais le basket-ball et le baseball. Aux Pays-Bas, à cette époque, il n’y avait que deux chaînes de télé qui ne diffusaient que de 19 heures à 23 heures. Alors qu’à New York, c’était comme s’il y avait une centaine de chaînes. Quand j’avais 22 ans, je pensais que je devrais aller à New York pendant trois à six mois et voir ce qui se passait là-bas. Et puis j’y suis resté.
Vous avez travaillé pour Andy Warhol sur ses sérigraphies et pour Irving Penn en tant que son assistant. Quels sont vos souvenirs les plus mémorables ? Et qu’est-ce que vous avez appris grâce à ces expériences ?
Ari Marcopoulos :
La chose que j’ai apprise de Warhol, qui prenait tant de photos de tout, c’est que tout mérite d’être documenté. J’ai rencontré beaucoup de gens dans ce milieu et des personnes travaillant pour lui sont devenues mes amis. Quant à Irving Penn, j’ai appris un tas de choses techniques sur la lumière et la composition et surtout que je ne voulais pas prendre de photos comme Irving Penn.
Quand avez-vous commencé à vous intéresser à la culture skate new-yorkaise ? Et pourquoi cela vous a-t-il fasciné ?
Ari Marcopoulos :
La première fascination pour le skateboard est venue lorsque j’ai déménagé avec ma famille à Rio de Janeiro, vers l’âge de 17 ans. Nous y sommes allés deux fois pendant trois mois. J’étais fasciné par la vie à la plage et par le surf, et les surfeurs faisaient tous du skateboard. Je me souviens y avoir acheté un skateboard – à l’époque, les skateboards étaient des planches épaisses en bois avec des roues toutes simples – avec lequel il était très difficile d’évoluer sur les pavés néerlandais. À New York, j’ai photographié pour la première fois un des premiers skateurs professionnels dans les années 80. Puis, en 1993, je faisais du vélo devant un endroit appelé Brooklyn Banks, sous le pont de Brooklyn, où les skateurs pouvaient s’en donner à cœur joie. J’ai toujours été intéressé par la manière dont les skateurs interprètent l’architecture contemporaine comme un outil leur permettant de jouer avec leur corps, et par la manière dont ils forment un groupe de personnes liées par un intérêt commun. Je les accompagnais et je voyais comment ils choisissaient les endroits à utiliser dans le cadre de leur pratique.
Votre exposition au Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris s’articule autour de votre court métrage Brown Bag. Qu’est-ce que vous pouvez nous en dire ?
Ari Marcopoulos :
Tout a été tourné entre 1993 et 1995. Lorsque j’ai déménagé mon studio en 2017 ou 2018, j’ai trouvé ce sac marron qui contenait toutes ces cassettes Super 8 qui avaient été exposées. Je ne me souvenais pas de ce qu’elles contenaient. Mais je savais qu’elles étaient vieilles parce que je n’avais plus mon appareil photo Super 8 depuis au moins 25 ans. J’ai pensé tout jeter, mais j’ai ensuite décidé de les traiter et de les scanner. J’ai vu qu’il s’agissait de toutes ces séquences de skate et j’ai pensé que c’était comme une bizarre découverte archéologique. Je fais un livre avec cette exposition qui contient certaines des images fixes de la vidéo.
Comment avez-vous réinterprété les séquences ?
Ari Marcopoulos :
J’ai été assez impressionné par sa qualité brute, pas dans un sens nostalgique, mais d’une manière interprétative et physique. C’est plutôt beau.
Quels étaient vos critères quant aux éléments à inclure ?
Ari Marcopoulos :
J’ai sélectionné les parties que je pensais utilisables et j’ai essayé de créer un rythme et de donner un aspect cinétique. Je travaille toujours de manière assez expérimentale lorsque je fais du montage. Il y a quelques plans du premier concert de Beck à New York auquel je me rappelle d’être allé mais que je ne me souviens pas avoir filmé. C’était une bonne surprise. Il y a un extrait de mon fils quand il était petit, bébé. Et il y a une tempête de neige avec ce camion de jus d’orange Tropicana de Floride que j’ai filmé depuis ma fenêtre ; une tout autre époque, mais j’ai aimé les images.
L’exposition se déroule pendant les Jeux Olympiques de Paris. Que pensez-vous de l’intégration du skateboard comme discipline olympique aux Jeux de Tokyo, en 2021 ?
Ari Marcopoulos :
Je n’aime pas particulièrement les Jeux Olympiques, même si je vais regarder l’athlétisme et les matchs de basket-ball. Je faisais de l’athlétisme auparavant. Je ne considère pas le skateboard comme un sport de compétition. Aux Jeux Olympiques, les gens le jugent et je pense que l’esprit du skateboard n’est pas là. Si vous participez à une séance du skateboard et voyez quelqu’un réussir un trick après être tombé dix ou vingt fois, l’excitation de tous ceux qui regardent est incroyable. Très souvent, quand quelqu’un essaie quelque chose, personne d’autre ne patine. Les gens s’assoient, regardent et attendent pour aider cette personne à canaliser toute son énergie. C’est là où se trouve toute sa beauté.
Pourquoi avez-vous intitulé votre exposition Beware* ?
Ari Marcopoulos :
Ça semble être un mot approprié pour cette époque : méfiez-vous de ce que vous dites mais soyez également conscient de ce que vous entendez et voyez, soyez attentif visuellement et mentalement. Pour moi, beware a définitivement un double sens : se méfier et être conscient.
Parlez-nous de certaines œuvres que vous avez sélectionnées dans la collection du Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris…
Ari Marcopoulos :
C’est fou, non ? Ils ont acquis mon film et m’ont donné carte blanche pour explorer leur collection de plus de 15 000 œuvres et en sélectionner quelques-unes à combiner avec les miennes. Choisir parmi 15 000 œuvres, c’est comme éditer un manuscrit de 80 000 mots jusqu’à 3 000 ! J’ai commencé à regarder la collection en ligne. La première œuvre qui m’a intéressé est une barre de Daniel Turner, un objet sur lequel je pensais qu’un skater aimerait s’entraîner. Il y a une œuvre, Life Fly Lifes Flies (1997), de Bruce Nauman qui est une de mes idoles. Ils ne l’avaient jamais montrée et il leur a fallu du temps pour la retrouver dans leur entrepôt. Ensuite, j’ai commencé à découvrir différents artistes dont je n’avais jamais entendu parler.
Apparemment, vous avez également créé une armature sur laquelle certaines de vos photographies sont accrochées…
Ari Marcopoulos :
J’ai voulu faire un geste qui interfère avec l’espace traditionnel de la galerie ; un matin, je me suis réveillé en voulant faire une armature et y accrocher cette série de portraits. J’ai rapidement esquissé le support, la façon dont il est soutenu et l’angle. L’idée, c’est qu’il y ait dix photographies d’amis, cinq de chaque côté, suspendues à un morceau de bois comme si elles flottaient dans l’espace.
Comment souhaiteriez-vous que votre exposition entre en résonance avec les skaters qui pratiquent sur l’esplanade du Musée d’Art Moderne et du Palais de Tokyo ?
Ari Marcopoulos :
Eh bien, j’espère que cela les interpellera et fera entrer l’extérieur à l’intérieur. J’ai déjà fait pas mal de photos là-bas et je photographierai cette fois-ci aussi certains de mes amis qui font du skateboard.
Interview par Anna Sansom
Photos : Michael Huard for Say Who
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