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08.04.2019 #art

Camille Morineau

Les femmes au cœur d’Art Paris

Il me semblait important aujourd’hui de porter la question de la visibilité des artistes femmes dans une foire

La 21ème édition de Art Paris, qui s’est tenue au Grand Palais du 4 au 7 avril, a donné un coup de projecteur aux femmes artistes. Une initiative du directeur de la foire, Guillaume Piens, qui a invité Camille Morineau, fondatrice de AWARE (Archive of Women Artists, Research and Exhibitions), à proposer un parcours constitué d’œuvres de 25 femmes artistes et galeries participantes.


Camille Morineau, qui est aussi directrice d’exposition et des collections de la Monnaie de Paris, est connue pour son soutien au femmes artistes. Elle a notamment été commissaire de l’exposition Elles@centrepompidou qui présentait des œuvres de 300 artistes femmes au Centre Pompidou entre 2009 et 2011, d’une exposition traitant des artistes africaines au Muséum d’Histoire naturelle du Havre en 2016, ou du group show Women House à la Monnaie de Paris en 2017-18.

 

En 2014, elle a créé AWARE, une organisation à but non lucratif qui s’est donné pour mission de mettre en avant les femmes artistes du XXème siècle. Trois ans plus tard, AWARE a créé un prix annuel soutenu par le Ministère de la Culture : le Prix AWARE pour une artiste émergente, ainsi que le Prix d’Honneur récompensant l’ensemble de la carrière d’une artiste.

 

Pour Art Paris, Camille Morineau a travaillé avec une équipe d’AWARE, dont Hanna Alkema (directrice de son programme de recherches) sur quatre thématiques relatives aux femmes artistes en France : l’abstraction, l’avant-garde féministe, l’image et la théâtralité. Des thèmes qui démontrent le rôle essentiel des femmes dans l’art contemporain.

 

Côté abstraction, ce sont les tableaux de Vera Molnár (galerie Oniris) et les compositions végétales complexes de Marinette Cueco (galerie Univer/Colette Colla) qui sortent du lot. Les portraits modifiés d’ORLAN (Galerie Ceysson & Bénétière) se font les représentants de l’avant-garde féministe. Les collages digitaux et tableaux travaillés de Malala Andrialavidrazana, qui prend les billets de banque comme point de départ d’une critique de l’héritage visuel de l’époque coloniale, sont de véritables découvertes picturales. Enfin, Ulla von Brandenburg présente une installation théâtrale derrière des rideaux noirs avec la Galerie Art: Concept.

 

Say Who s’est entretenu avec Camille Morineau au sujet de ce projet curatorial avec Art Paris, de ses aspirations pour l’égalité hommes / femmes dans l’art, et de la façon dont elle a encouragé le Ministre de la Culture Franck Riester à apporter son soutien au Prix AWARE.

Comment a commencé votre collaboration avec Art Paris ?

Il y a un an, Guillaume Piens est venu me trouver avec l’idée que je propose un parcours sur les artistes femmes pour Art Paris. J’ai accepté à la condition que ce projet ne provienne pas d’un choix personnel mais que l’association AWARE en soit à l’origine. Nous y avons réfléchi en groupe, particulièrement avec Hanna Alkema, la responsable scientifique et commissaire de ce parcours. J’ai accepté parce qu’il me semblait important aujourd’hui de porter la question de la visibilité des artistes femmes dans une foire. D’une part parce que c’est un lieu où il y a beaucoup de visiteurs, qui ne sont pas tout à fait les mêmes visiteurs que ceux qui fréquentent les musées. D’autre part parce que la question du marché est importante : les artistes femmes sont peu présentes dans les musées, et même si la situation est en train de changer rapidement, on se rend compte que la valeur des artistes femmes reste nettement inférieure à celle des hommes. Je pense que la raison est toujours la même : le manque d’information autour de ces artistes, le fait qu’elles ait été moins montrées, moins achetées, qu’il y ait moins de publications à leur propos. Là encore, une foire est un moyen de travailler sur ces artistes femmes, les galeries font un travail recherche, et c’est pour cela qu’elles sont des partenaires importants dans la re-découverte des artistes femmes.

Esther Ferre, Mains féministes #01, série Le livre des mains, 1977 Courtesy Lara Vincy

Quels ont été vos critères pour la sélection de ces 25 artistes ?

Nous avons dressé une liste “idéale”, puis Art Paris a contacté les différentes galeries de façon à respecter notre sélection – ce qui a été le cas dans les grandes lignes. Il y a eu un vrai travail de conviction à faire. Certaines galeries qui n’avaient pas pensé participer à la foire ont finalement accepté d’y être parce que leur artiste a été choisie. Cependant ce sont les galeries qui ont fait le choix des œuvres exposées. C’est une sorte d’exposition avec un caractère libre, et des surprises.

Pourquoi avoir choisi ces quatre thématiques : l’abstraction, l’avant-garde féministe, l’image et la théâtralité ?

Nous voulions accentuer la diversité du travail des artistes femmes, le fait qu’elles ont travaillé à toutes les époques et dans tous les styles. Chacun de ces thèmes est associé à une période, ce qui nous a permis de montrer l’étendue chronologique du travail. Pour l’abstraction, beaucoup d’artistes ont commencé à travailler au début du siècle. Jusqu’à récemment, on considérait que l’abstraction avait été inventée et portée par les hommes – Mondrian, Kandinsky puis Jackson Pollock. Mais les femmes y ont très largement contribué. Je pense notamment à Hilma Af Klint, qui l’a inventé bien avant les hommes, ou Sonia Delaunay, qui est longtemps restée dans l’ombre de son mari Robert.

L’histoire de l’abstraction reste à réécrire, c’est pourquoi nous avons consacré un grand chapitre à ces artistes – nous avons choisi 13 noms d’artistes qui y travaillent. Il y a beaucoup de découvertes dans ce chapitre de l’abstraction: leur travail est fort et radical, il fait bouger les cases et changer l’image que l’on se fait de l’abstraction au XXème siècle. Le travail de Bernadette Bour (galerie Françoise Livinec) est très proche de l’art minimal. Je l’ai découvert dans les réserves du Centre Pompidou pour l’exposition Elles il y a dix ans. Marinette Cueco crée des œuvres abstraites stupéfiantes avec des matériaux étonnants, notamment végétaux – elle aurait pu appartenir au Land Art ou à l’Arte Povera, mais elle n’est identifiée dans aucun de ces mouvements.

L’avant-garde féministe est un thème qui nous a paru évident tant il s’agit d’une étape importante de l’histoire de l’art, qui a parfois même occulté tous les autres. On a à un moment pensé qu’il n’y avait que l’art féministe. C’est un mouvement important parce que ce sont des artistes qui ont aussi porté un regard sur l’histoire de l’art et qui ont forcé les historiens de l’art, les directeurs de musées, à regarder les artistes femmes oubliées avec des œuvres radicales et politiques. Le chapitre de l’image déplace le curseur dans les années 1980-90 à un moment où l’histoire de l’art s’organise autour d’une photographie dite plasticienne. Le dernier chapitre fait la lumière sur une plus jeune génération d’artistes. Nous avons choisi le concept de théâtralité parce que beaucoup d’artistes que nous aimons ont en commun de travailler l’art comme une pièce de théâtre, de mettre le visiteur en scène. Elles portent un regard assez distancié sur l’art, qui fait rentrer la fiction. C’est une manière assez juste de parler de cette génération émergente très dynamique et très reconnue sur le plan international.

Ci-dessus: Vue d’installation, Ulla von Brandenburg à la Galerie Art: Concept, Art Paris
Droite: Ulla von Brandenburg, Garçon avec Hibou, 2019, courtesy de l’artiste, Art : Concept, Paris

Quelles sont les découvertes que vous retenez ?

Dans le chapitre de l’avant-garde féministe, Teresa Tyszkiewicz, une artiste polonaise installée en France qui crée des œuvres radicales, d’abord des vidéos et performances, puis en utilisant l’épingle comme matériau. Son œuvre a été redécouverte par la galerie Anne de Villepoix, qui a fait là le travail d’une véritable historienne de l’art !

Les galeries qui ne faisaient pas partie de notre sélection ont aussi choisi de mettre en avant des femmes artistes, la foire a donc un flair féministe, et c’est ce que nous souhaitions chez AWARE, que cette initiative aille plus loin que notre simple sélection et soulève des questionnements plus larges tout en encourageant d’autres galeries à participer à cette redécouverte.

Quel était votre objectif en créant AWARE en 2014 ?

Je pense qu’on manque toujours d’information sur les artistes femmes, et qu’aujourd’hui Internet est un outil extrêmement efficace pour à la fois construire et partager l’information. Il permet aux étudiants, aux chercheurs et au grand public de trouver l’histoire oubliée de ces artistes femmes – et en version bilingue. Nous allons atteindre les 500 biographies d’artistes femmes publiées sur notre site, et à terme je pense que nous pourrons en avoir plusieurs milliers. L’information est plus facile d’accès en Europe et en Amérique du Nord, mais il faut redoubler d’effort en Amérique latine, en Asie et en Afrique. Les enjeux sont internationaux. Je vais bientôt recruter quelqu’un qui sera responsable du développement international de façon à ce qu’on puisse établir un réseau de correspondants, s’informer et organiser des événements dans d’autres pays et sur d’autres continents. Nous désirons nouer des relations plus fortes avec les universités, les musées, les collectionneurs, les galeries et bien évidemment avec les artistes.

La précédente Ministre de la Culture Audrey Azoulay (sous François Hollande) a apporté son soutien à la première édition du Prix AWARE en 2017, et ce avec beaucoup d’enthousiasme. Comment Franck Riester soutient-il le prix ?

Cette année, le Ministère de la Culture, pour la première fois, a accepté de signer un contrat sur trois ans avec le Prix AWARE. Il nous permet à la fois de soutenir le Prix, de développer la publication d’entretiens pour les lauréates du Prix d’Honneur et aussi d’accompagner le Prix AWARE d’une aide à l’exposition proposée à tous les centre d’arts et fonds régionaux d’art contemporain en France, ainsi qu’une aide à l’acquisition. Il est important à la fois sur le plan financier que symbolique.

Ci-dessus : Malala ANDRIALAVIDRAZANA, Figures 1861, Natural History of Mankind, 2016 Courtesy Caroline Smulders
Droite : Martine Aballéa, Chambre n°6, 2018 Courtesy Dilecta

Quel impact a eu le mouvement #MeToo sur la scène artistique française ?

Je pense que #MeToo a donné un coup d’accélérateur radical à la prise de conscience de l’importance des femmes dans toutes les facettes de l’histoire. Le secteur de l’art a subi les mêmes bouleversements : des hommes ont été dénoncés et des mauvaises pratiques dévoilées au grand jour. Fort heureusement, notre Ministre de la Culture est très réactif – je sors d’ailleurs d’une réunion à propos de l’égalité. Des mesures ont été prises dans tous les domaines de la culture et de la création – l’art, la musique, les performances et l’architecture – et prennent en compte comment les femmes sont représentées par les institutions.

Comment voyez-vous la situation des femmes artistes évoluer sur les vingt prochaines années ?

J’espère que dans 20 ans, l’association AWARE n’aura plus d’utilité et que l’information à propos des femmes artistes sera égale à l’importance donnée aux hommes. Que la question de l’égalité ne se pose plus. J’espère que les femmes seront montrées de manière spontanée et régulière dans les collections permanentes des musées – à parité avec les hommes. C’est ce à quoi je travaille.

Interview : Anna Sansom

Portrait : Christophe Beauregard

http://www.artparis.com/en

https://awarewomenartists.com/en/

https://www.monnaiedeparis.fr

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