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16.09.2010 #art

Christine Macel

Femme de tête, Christine Macel est à la fois conservatrice au Musée National d’Art Moderne, au Centre Pompidou et critique d’art. Incontournable dans le milieu, elle est une amie de notre arty-san Michael Huard.

Il y a dix ans, lorsque nous nous sommes rencontrés, tu étais commissaire du Printemps de Cahors. Les deux expositions s’intitulaient Extra & Ordinaire et Sensitive. A la même période tu as co-réalisé l’exposition Micropolitique, à Grenoble, avec Paul Ardenne. J’aimerais savoir si ces trois expositions ont un caractère de manifeste personnel. Autrement dit, ont-elle donné un axe à ton travail de critique d’art ?

Oui, c’est un peu comme les trois volets de plusieurs centres d’intérêts : [Extra et Ordinaire], le rapport au familier et sa transfiguration ; [Sensitive)], la question de la perception de l’art et le lien que je fais avec l’étude des neurosciences et des sciences cognitives ; [Micropolitique], l’articulation de l’esthétique et du politique.

En 2008 tu as écrit Le Temps Pris, un livre sur 12 artistes que tu suis depuis le début de ta carrière, dont plusieurs ont fait l’objet d’expositions monographiques au Centre Pompidou ( Raymond Hains, Philippe Parreno, Koo Jeong A. et Gabriel Orozco) La plupart étaient déjà présentés à Cahors ou a Grenoble. Tu es fidèle. Est-ce que « ce temps pris » auprès de tous ces artistes a renforcé tes premières convictions de critique d’art ?

Je suis fidèle tant qu’il n’y a pas de raison d’être infidèle. Certaines amours durent, la fidélité est dans ma nature. D’ailleurs, j’ai horreur du zapping, et le temps a de l’importance pour moi. Les centres d’intérêts que j’ai eu par le passé, je les garde encore aujourd’hui. La question du temps liée à la Perception est pour moi une question essentielle depuis que je suis enfant, même avant de travailler dans l’art. Je me rends compte que ce qui m’intéresse, ce sont souvent des choses liées à une expérience personnelle, à un vécu très personnel. Mes convictions, je les ai approfondies. Je les ai complexifiées. J’ai toujours aimé penser les choses de manière complexe, je veux dire par là, les paradoxes, les impasses. C’est ce que j’ai essayé d’explorer un peu dans mon livre Le Temps pris. Il n’est évidemment pas fait pour être lu d’une seule traite. Il faut picorer.

Aujourd’hui nous sommes dans l’exposition de Gabriel Orozco pour qui justement la perception du temps, son attachement à révéler des micro événements et son extrême sensitivité, sont des clés pour comprendre l’œuvre. Il est impossible dans cette courte interview d’aborder les différents aspects de son travail. En revanche, j’aimerais que tu nous parles de la scénographie de l’exposition. En effet, c’est très surprenant, l’espace est immense, il n’y a pas de cimaises, tout est à l’horizontale, l’exposition est entièrement visible depuis la rue et les objets sont posés sur des étals de marché. Qu’est ce qui a guidé ces choix ?

Au lieu de s’adapter à un système muséographique, il a préféré demander à l’institution de s’adapter à ce qu’il est. Il a voulu opérer un geste assez simple et efficace par rapport à sa pratique dans cet espace. Il l’avait déjà fait par le passé, notamment au Mexique, avec un espace sans cimaise, avec une grande horizontalité, une ouverture. Il s’est senti dans le désir de continuer cette histoire. C’était peut-être moins le cas pour d’autres expositions. Au MOMA, par exemple, c’était beaucoup plus classique, avec des socles,… Mais ça n’était pas entièrement lui, il manquait quelque chose. On a eu un long dialogue pour arriver à cette simplicité apparente, difficile à adapter à la « maison Beaubourg », qui est parfois complexe. L’horizontalité est vraiment une constante chez Orozco. Selon moi c’est quelqu’un de très terrien, qui est dans la vie quotidienne, dans l’environnement immédiat. Toute son œuvre part de là. Elle n’est pas du tout transcendante, verticale. Elle est la transfiguration de cet environnement, de ces incidents dans l’espace public et urbain, dans la nature. L’accessibilité : toutes les œuvres sont reliées entre elles. Même si d’apparence elles peuvent sembler très différentes, elles sont reliées par une sorte d’harmonie cachée, comparable à celle des lois de la nature. Une sorte de cosmos, de l’atome à la grande dimension. Le fait qu’il n’y ait pas de mur permet de faire des liens entre les œuvres. Cette ouverture du regard permet de comprendre l’œuvre bien mieux que si elle était sectionnée. Orozco a un vocabulaire très minimal, retenu, un contrôle, une rigueur. Le vide est aussi très présent dans l’exposition, mais c’est un vide comme une matière minimum, avant sa mise en branle.

J’aimerais que tu nous présentes une pièce d’Orozco, celle à laquelle tu es la plus attachée.

Pour moi, la clé de l’œuvre est l’échiquier. C’est la pièce révélatrice, une table de jeu agrandie, avec un changement de règle et d’échelle. C’est une sorte de jeu devenu fou, une exploration fictionnalisée de tous les possibles. Tout marche comme ça avec Orozco. Il y a une sorte de méditation un peu zen avec le réel, le temps, le possible, la mort, la permanence et l’impermanence. Comme ses sculptures en argent, ses oiseaux en mousse polyuréthane…. Une méditation qui n’est mas mystique mais dans le réel. C’est cela qui donne cette énergie très harmonieuse à l’exposition, un calme travaillé.

Une dernière question – tu voyages beaucoup, tu es connectée avec des artistes du monde entier, le monde de l’art est vaste… Et, pourtant, tu sembles particulièrement attachée à Paris. Est-ce un choix délibéré ? Te vois-tu comme une vraie Parisienne ?

C’est dur de se voir comme « une vraie parisienne ». Ce sont les autres qui le disent. J’adore Paris, j’y ai grandi, habité : Pigalle, le 18ème, Montparnasse. Après Paris, il y a pour moi Berlin, Rome, et la nature.

Propos recueillis par Michaël Huard.
Photographie : Guillaume Benoît

Exposition Gabriel Orozco au Centre Pompidou, Du 15 septembre 2010 au 03 janvier 2011
Les photos du vernissage Orozco ici.

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