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03.09.2021 #musique

Claire Laffut

Ce rêve bleu

Comme le Petit Poucet, j’essaie de semer des petits galets blancs pour me souvenir de mes états d’âme.

Claire Laffut voit la vie en Bleu. La jeune artiste belge révélée en 2018 grâce à son EP Mojo ouvre aujourd’hui les pages de son journal intime avec ce premier album très personnel. Fruit de trois ans de travail, Bleu représente non pas une finalité mais bien le cheminement d’une artiste complète qui n’hésite pas à faire dialoguer les passions qui l’animent. Musique, peinture et danse se rencontrent dans cet opus où Claire Laffut dévoile toute sa sensibilité et une tension entre force et fragilité qui la caractérise. D’Hiroshima où elle se livre sur une blessure amoureuse à Tombée dans un rêve qui nous emporte jusque dans l’imaginaire de ses tableaux, Claire Laffut pose une nouvelle pierre à l’édifice de ce qui constituera bientôt le récit inspiré de sa vie telle qu’elle la peint.

Depuis combien de temps travailles-tu sur ce premier album ?

Depuis ma première chanson à aujourd’hui, ça va faire quatre ans. Bleu résume en quelque sorte mon état d’esprit et le fait que ce soit mon premier album. Il renferme toutes les histoires de ma jeunesse, mon premier amour, le fait que j’ai quitté la Belgique pour la France à 19 ans. En même temps, il me permet aussi d’assumer mon statut “junior” ; je propose une première œuvre qui ne prétend pas être l’apothéose de ma pratique musicale. Je suis très fière des morceaux de l’album, et je les considère vraiment comme les premières pierres à l’édifice. Bleu, c’est une manière d’assumer ma fragilité, ma jeunesse, et peut-être mon côté un peu maladroit, naïf.  Lorsque j’étais confinée en Corse, mon fiancé a voulu m’offrir un poisson. On s’est rendus dans une animalerie et j’ai choisi un poisson bleu. À partir de ce moment, j’ai commencé à être obnubilée par tout ce qui était bleu jusqu’à teindre mes cheveux ! En même temps, le titre de l’album fait référence à une expression belge, “je suis bleu de toi” qui signifie “je suis amoureuse de toi”.

Quelle évolution vois-tu entre ce premier album et ton EP sorti en 2018 ?

Mon parcours n’a pas du tout été linéaire. Que ce soit le mannequinat ou les tatouages éphémères, je suis convaincue que tous mes projets m’ont amenée à la musique et à la peinture. Aujourd’hui je me considère vraiment comme une musicienne plasticienne, et je dirais que mon évolution relève davantage du style. Quand j’ai commencé la musique, je ne savais pas où je mettais les pieds. J’ai rapidement été plongée dans la sphère professionnelle alors que ça m’aurait fait du bien de ne pas tout de suite nager dans le grand bain. Ma voix était un peu plus jeune. Je pense qu’en quatre ans à faire des concerts et à digérer mon projet musical, j’ose désormais beaucoup plus, et ma voix s’envole davantage. Aujourd’hui, j’assume de chanter, et c’est aussi ça l’évolution. Pour ce qui est de mes influences, elles sont toujours assez régulières : les percussions, les sons chauds inspirés de la soul. J’aime que ça groove, j’aime la fièvre dans les morceaux.

Claire Laffut, © Charlotte Abramow, 2017

Tu cultives aussi un réel goût pour l’écriture et la poésie.

J’adore ça, c’est quelque chose qui me permet de survivre. J’aime rechercher la beauté dans les mots, les actions et ce qui m’entoure. C’est une échappatoire.

Tu as fait beaucoup de danse étant plus jeune, un art avec lequel tu as renoué pour le clip d’Hiroshima, le premier single de l’album. Parallèlement, on te connaît aussi pour ton travail d’artiste plasticienne. Est-ce que la musique a toujours fait partie de tes projets ?

Quand j’étais enfant, je prenais des cours de piano et de solfège mais je n’ai jamais vraiment accroché. Je n’aimais pas l’enseignement classique, devoir apprendre des morceaux par cœur… Je ne viens pas d’une famille d’artistes mais mes parents aimaient sortir, ils écoutaient de la techno, de la house… J’ai baigné dans la musique grâce à mon père, un fou de vinyles. Il nous faisait aussi bien écouter du Fela Kuti que de la techno berlinoise. J’ai grandi avec ça. Du coup, lorsque j’ai commencé à faire de la musique, je savais déjà la couleur que je voulais donner à mes sons même si je n’avais pas de grandes notions de composition. Ensuite, ça a été beaucoup de travail.

Hiroshima est une chanson très personnelle. Pourquoi l’avoir choisie comme premier single de l’album ?

Hiroshima est une chanson ultra personnelle et j’ai même du mal à la chanter aujourd’hui. Elle parle d’une relation toxique et de toute la renaissance qui a lieu après une histoire désastreuse. On l’a choisie parce qu’on la trouvait forte, et à ce moment-là j’en avais besoin parce qu’elle représente quelque chose que j’avais enfoui en moi. Il fallait que ça sorte pour pouvoir passer à autre chose. Avec la pandémie, ça n’a pas été facile parce que je n’arrivais plus à voir les réactions des gens. On se voyait tous à travers nos téléphones, et avec la musique on a besoin des retours physiques et de chaleur humaine.

Comment s’est articulé ton retour à la danse que tu avais arrêté de pratiquer à cause d’une blessure ? Peux-tu aussi parler de ta collaboration avec le chorégraphe Nick Coutsier ?

J’ai toujours aimé danser mais je me suis blessée à l’école. C’est à ce moment que j’ai commencé à dessiner. Par le fruit des rencontres, j’ai fait la connaissance de Nick qui lui a continué la danse et a intégré des compagnies de danse contemporaine. On a commencé à danser dans des écoles de notre village en Belgique, entre jeunes. On ne s’est jamais vraiment lâchés. Mes musiques sont rythmées, surtout Hiroshima qui a une touche un peu plus militaire, donc je voulais qu’il y ait une chorégraphie un peu badass. Puis on a eu l’idée que chaque danseur représente une force extérieure aidant à la renaissance. Pour moi, c’était évident que Nick s’occupe de la chorégraphie parce qu’il est le seul chorégraphe qui connaisse vraiment mon univers. Et puis je trouve ça trop chouette de travailler avec quelqu’un avec qui tu as évolué.

C’était la première fois que tu travaillais sur une production aussi importante pour un clip ?

Oui, et j’ai trouvé ça fou ! J’ai tellement souffert dans cette relation que c’était presque comme une thérapie de faire ce tournage et sublimer quelque chose qui me rongeait. J’étais comme sur un nuage.

Est-ce que ta musique et ta peinture se rejoignent, et comment ?

Totalement. J’aime tout entremêler. Pour moi la peinture est une manière de créer l’imaginaire de mes chansons. Plus loin que le son, c’est comme si je créais un rêve autour de la chanson. Ce n’est pas juste le clip, mais vraiment un tableau onirique.

Donc tes chansons peuvent naître d’un tableau ?

Oui. La pochette de l’album, par exemple, représente la chanson Tombée dans un rêve. C’est une photographie de Charlotte Abramow.

Je crois d’ailleurs que cette chanson est née d’une expérience que tu as vécue à la Villa Noailles…

L’histoire est la suivante : la première fois que je suis allée à la Villa Noailles, j’ai joué pour Chanel. Je suis allergique au pollen, et parfois je ne peux pas chanter en plein été. Cette fois-ci j’avais pris de la cortisone. Le lendemain du concert, je suis rentrée à Paris et je suis allée boire un verre dans un bar. Je suis tombée raide. J’ai créé cette chanson comme ça – d’abord le tableau, puis la chanson – d’après cette sensation.

Tu as aussi créé ton studio d’artiste plasticienne. Peux-tu m’expliquer ta démarche artistique ?

Je m’inspire de mes chansons, de mon histoire. Comme le Petit Poucet, j’essaie de semer des petits galets blancs pour me souvenir de mes états d’âme, ça me permet de guérir et de voir que j’avance. En peinture, j’aime beaucoup les couleurs intenses, très flash. Je m’inspire du Douanier Rousseau, notamment pour les végétaux. J’aime aussi beaucoup Frida Kahlo parce qu’elle peignait sa vie. J’aime marquer mes états d’âme en les imprégnant de rêve.

Comment as-tu commencé la peinture ?

Je suis autodidacte, j’apprends au jour le jour. J’ai l’impression qu’à chaque tableau, je suis en recherche technique. Aujourd’hui j’aimerais apprendre la peinture à l’huile parce que je commence à voir les limites de l’acrylique. Ma peinture vient de visions que j’avais pour mes chansons. J’ai commencé à peindre dans ma chambre des petits tableaux, aujourd’hui j’ai besoin de faire des grandes fresques pour pouvoir me glisser dedans. Mon éveil à l’art a vraiment eu lieu quand je suis arrivée à Paris où j’ai travaillé pour la galerie Chenel. À 19 ans, quand tu viens de la campagne belge et que tu arrives quai Voltaire dans cette galerie où l’archéologie romaine et égyptienne se mêle avec des collaborations avec des artistes comme Ora-ïto, ça t’ouvre l’esprit !

Qu’est-ce qui t’as donné l’envie de quitter la Belgique ?

J’ai eu envie de partir parce que je voulais réaliser mes rêves. Je savais qu’il y avait un force qui m’attirait d’abord vers une première capitale comme Bruxelles, puis Paris. Je me suis laissée porter, je n’ai pas vraiment réfléchi. Je viens d’un village qui s’appelle Moustier-sur-Sambre, dans la région de Namur. C’est une zone industrielle où l’on produisait du charbon. J’habitais à côté des rails. Quand j’étais petite, je trouvais ça horrible, aujourd’hui je trouve que ça a un certain charme… J’ai habité cinq ans à Paris, et pendant le confinement je voulais absolument y trouver un atelier mais bien entendu c’était trop cher. Je l’ai finalement trouvé à Bruxelles – ce n’est qu’à 1h20 de train après tout.

Tu as commencé ta carrière à Paris par des contrats de mannequinat, et tu n’as jamais caché que c’est une expérience qui ne t’a pas du tout plu.

C’est vrai, parce que je trouve que cette industrie est un nœud à problèmes. Elle détermine qui représente la “beauté” aux yeux du grand public, et à partir du moment où il n’y a pas de diversité et qu’elle ne représente pas toutes les morphologies, la mode crée des souffrances. Ayant été plongée dans ce système très jeune, j’en ai énormément souffert. À 16 ans, je ne comprenais pas trop pourquoi on voulait me faire croire que je n’étais jamais assez. Dans ce métier, on finit par développer une forme de haine envers soi. Commencer à raisonner comme ça à 16 ans alors que c’est un âge où l’on doit encore être insouciant, c’est juste impensable. L’amour de soi ne dépend pas des autres, surtout pas des marques.

Quel est ton rapport à la mode ? Ton style est-il important pour toi et pour représenter ta musique ?

J’adore la sape ! Les vêtements, c’est une deuxième peau. J’aime entrer dans des personnages et changer de style. Ce qui est assez contradictoire, c’est que la mode est très chère donc c’est compliqué de pouvoir en jouir. Pourtant je trouve qu’il y a énormément de créativité, et c’est souvent dans la mode qu’on trouve des projets avant-gardistes. En musique, on recherche souvent l’authenticité mais la mode peut parfois paraître lointaine, inaccessible, donc il faut vraiment trouver l’harmonie entre les deux. Je suis en train de chercher…

Claire Laffut, Mirage de l’Amour Fini

On voit aujourd’hui une nouvelle génération d’artistes féminines, comme Yseult ou Angèle, qui portent des messages forts. Te sens-tu faire partie de cette nouvelle mouvance ?

À fond. On se connait et on échange régulièrement via des groupes WhatsApp. On y parle de soutien, de se défendre quand l’une d’entre nous est victime de harcèlement. Comme Hoshi qui avait été attaquée à la radio… En réaction, on a créé un groupe d’une soixantaine de filles, artistes ou pas, et on protège nos sœurs.

Un peu comme Piu Piu et Thaïs Klapisch qui ont créé leur initiative.

Oui, Safe Place ! Je trouve ça génial qu’elles interviennent dans des écoles, et j’espère que ce genre d’initiative va faire changer les choses. En tant que femme – et je pense que ma musique s’adresse à des jeunes femmes – j’ai l’impression que je parle à ma petite sœur. Je me dois de porter ces messages et d’aider les plus jeunes à reprendre le flambeau.

Dans la peinture aussi, on retrouve ces jeunes talents féminins, notamment Chloé Wise et Inès Longevial. Est-ce que tu prévois d’exposer tes œuvres bientôt ?

Oui, je sors mon album le 3 septembre et je pense présenter une exposition l’année suivante quand mes chansons auront un peu vécu.

Que va-t-on retrouver dans Bleu que l’on ne connaît pas de toi ?

Aussi bien des chansons de la période Mojo encore inconnues du public que des chansons dans la lignée d’Étrange Mélange. Notamment Vertige qui parle d’anxiété, MDMA qui évoque la fête, Sororité, et des titres qui parlent beaucoup d’amour et de messages contemporains. Pour ce qui est du son, j’ai travaillé avec Tristan Salvati, Gaspard Murphy et Pierre Juarez. Avec le recul, j’ai l’impression que c’est la première fois que je rentre vraiment dans mes tableaux, comme sur la pochette du disque, et c’est véritablement ce que j’ai envie de développer sur scène. Que les tableaux deviennent vivants autour de moi…

Tu mentionnais la fête. Est-ce quelque chose d’important pour toi ?

Quand je suis arrivée à Paris, c’était presque évident. J’ai grandi dans une famille où on faisait beaucoup la fête. J’explorais la ville par la fête, et ça m’a permis de créer des liens. Et c’est comme ça que j’ai connu Say Who !

Ta tournée a commencé en juillet et se terminera en novembre. Peux-tu en parler ?

J’ai dessiné toutes mes affiches de concert, et j’ai annoncé Le Trianon le 20 octobre ! On a repris tout doucement cet été avec des live acoustiques et des piano-voix. On a joué sur l’île du Frioul à Marseille, à Cannes… C’est aussi la première année où je vais jouer à l’étranger : à Madrid, Barcelone, en Turquie et bientôt au Canada ! Ça m’a fait tellement de bien de reprendre les concerts ! C’est comme s’il y avait un monstre endormi en moi et qu’il pouvait enfin sortir ! Aujourd’hui je sens que j’ai besoin de contact avec les gens et de partager de vraies émotions sur scène.

Claire Laffut, Bleu, disponible depuis le 3 septembre 2021
Interview : Maxime Der Nahabédian
Portraits : Valentin Le Cron
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