Nina Childress
Coup de baguette magique pour faire rayonner la peinture
« L’Académie des beaux-arts est la moins conventionnelle de l’Institut. Elle permet d’envisager l’épée autrement qu’une arme »
Ce jeudi 25 juin, la peintre franco-américaine Nina Childress faisait son entrée officielle dans l’Académie des beaux-arts de Paris. Son passé punk, son style inimitable et ses engagements se lisaient clairement dans cette installation, à la fois audacieuse et porteuse d’un message fort. Après la cérémonie, nous avons eu le plaisir d’échanger avec elle pour en savoir plus sur ses choix d’épée et de tenue, véritables manifestes annonçant un vent de renouveau pour l’Académie et la peinture.
Vous venez de rejoindre l’Académie des beaux-arts, félicitations ! Lors de la cérémonie, nous avons remarqué que votre épée d’académicienne était très particulière… Pouvez-vous nous en dire plus ?
Nina Childress :
L’Académie des beaux-arts est l’Académie la moins conventionnelle de l’Institut. Elle permet d’envisager l’épée autrement qu’une arme. J’ai eu l’idée de demander à Jean-Luc Verna de me dessiner une baguette magique à LED ultra-violets, pour recharger les broderies qui sont en fils phosphorescents.
Le choix de votre tenue académique est aussi très symbolique…
Nina Childress :
J’ai voulu en faire un manifeste féministe, en collaborant avec le studio de design participatif About a Worker, qui a fait appel à la Maison des femmes de Paris, une association d’aide aux femmes, pour concevoir les dessins des broderies. L’idée était d’ouvrir d’autres perspectives que celle de l’industrie du luxe.

Après Eva Jospin, Valérie Belin, Marjane Satrapi et Tania Mouraud l’année dernière, votre intégration témoigne-t-elle d’une vraie volonté de l’Académie vers la parité ?
Nina Childress :
Tania et moi avons été les deux premières femmes élues dans la section peinture, le dernier bastion de non-mixité. C’est aussi pour cela que je me suis présentée. Il y a de manière générale à l’Académie, comme dans beaucoup d’institutions en France, un travail d’inclusion à mener.
Pour ceux qui ne sont pas familiers avec le fonctionnement d’une telle institution. Qu’est-ce qu’être membre de l’Académie implique concrètement ? Et quels sont vos objectifs personnels dans ce nouveau rôle ?
Nina Childress :
Ce qu’il y a de particulier et d’excitant pour une hyperactive comme moi c’est que c’est une fonction « à vie ». Nous nous réunissons le mercredi pour parler des questions d’actualité relatives à l’art, pour attribuer des bourses, des prix, des places en résidence. Nous pouvons donner notre avis au chef de l’État. Par exemple, lui communiquer notre inquiétude sur les coupes budgétaires dans le secteur culturel. Personnellement, j’espère aider la peinture à rayonner de manière intelligente, avec des artistes pointus, inattendus.
Votre travail est actuellement exposé au Centre Pompidou-Metz dans le cadre de l’exposition “Copistes”. Comment avez-vous choisi les œuvres à copier ? Et comment avez-vous ajouté votre touche personnelle ?
Nina Childress :
J’ai fait deux propositions très différentes. La première : copier presque à l’identique un tableau du XIXe siècle, plutôt pompier, d’Horace Vernet, le portrait de sa fille. Elle m’a tout de suite fait penser à la regrettée Pascale Ogier, avec ses grands yeux globuleux. Je me suis contentée de modifier légèrement les traits du visage, juste ce qu’il fallait pour que Pascale surgisse.
La seconde toile est un agrandissement très poussé d’un petit tableau de François Clouet, représentant une dame du Moyen Âge, très sérieuse. J’ai gardé le dessin, précis comme une découpe au scalpel, mais j’ai utilisé des pigments qui changent de couleur selon l’angle de vue, et collé de multiples cabochons pour figurer les perles de son habit. Le résultat reste sombre et travaillé, mais avec des moyens contemporains.

L’exposition porte, en partie, sur cette tradition de la copie comme méthode d’apprentissage. Qu’avez-vous appris en préparant vos œuvres ?
Nina Childress :
Je copie souvent mon propre travail, en changeant de style ou de technique. Mais pour suivre la consigne (copier), je devais me soumettre à des paramètres que je n’avais pas choisis au départ : l’emploi de couleurs que j’ai abandonnées pour le Vernet, le dessin d’un style austère pour le Clouet.
Vous avez justement un rapport atypique à l’apprentissage. Malgré votre passage par une école d’art parisienne réputée, vous avez été chanteuse punk avant de vous consacrer entièrement à la peinture, et vous vous définissez plutôt comme autodidacte. En quoi cette trajectoire influence-t-elle encore votre pratique ?
Nina Childress :
J’ai toujours peint, même quand je chantais. J’étais trop impatiente pour suivre une école, et trop bornée pour accepter les conseils. Travailler seule m’a freinée au début : je n’ai pas percé rapidement, et j’ai dû me remettre en question en permanence. Mais avec le recul, c’était peut-être une chance — je n’ai pas été enfermée trop tôt dans une case. C’est ce que j’ai voulu montrer en publiant mon catalogue raisonné, 1081 peintures, accompagné d’une biographie écrite par Fabienne Radi.

Quels sont vos projets à venir ?
Nina Childress :
Un solo show à Paris de peintures inédites avec ces pigments caméléons. Ce sera ma deuxième expo personnelle à la galerie Art : Concept, elle ouvrira le 16 octobre. Je commence actuellement une grande toile qui portera le titre de l’expo : « Casting ».
Propos recueillis par Cristina López Caballer
Photos : Michaël Huard