fbpx
29.03.2023 PAD DESIGN, Jardin des Tuileries #design

Diane de Kergal

Diane de Kergal: ‘Above the Sun, only Sky’

« L’objectif de mon travail est d’émerveiller les gens pour qu’on puisse se sentir transporté par quelque chose.« 

À l’entrée de la 25ème édition du PAD, le salon des arts décoratifs et du design qui se déroule dans les Jardins des Tuileries jusqu’au 2 avril 2023, on découvre la sublime installation de Diane de Kergal. « Above the Sun, only Sky » est une composition poétique d’une forêt lumineuse avec des arbres, des nuages, des oiseaux bleus et blancs et un soleil orange.

Cette oeuvre a été créée spécialement pour le PAD et produite par la Galerie Gosserez à Paris. Ce qui est étonnant dans le projet, c’est que les pièces textiles sont en partie réalisées à partir de cocons de soie tissés par des vers à soie.

Diane de Kergal, également architecte d’intérieur, a commencé à réaliser ce genre d’oeuvres il y a trois ans après s’être intéressé au travail avec la lumière. L’année dernière, ses captivantes forêts ont été exposées chez Christie’s Paris. Une de ses sculptures, « Emergence II », a été acquise par le Mobilier national, la collection nationale de mobilier du gouvernement français.

 

Quel était le point de départ de votre installation « Above the Sun, only Sky » ?

Je suis partie en vacances au Sénégal où je suis tombée amoureuse d’un manguier gigantesque. Au-dessous se trouvait un troupeau de vaches affamées, avec un berger, qui mangeaient les mangues tombées par terre. Ce manguier, qui a accueilli ces vaches, était la base de mon inspiration. Pour moi, ce qui est important aujourd’hui, c’est de parler d’émerveillement. L’objectif de mon travail est d’émerveiller les gens pour qu’on puisse se sentir transporté par quelque chose. Avec cette forêt, je voulais traduire l’émerveillement qu’on peut avoir par rapport à un lever de soleil, un vol d’oiseaux ou devant un arbre.

Il y a un autre élément important : la liberté. J’ai travaillé sur un modelage, une tête en terre avec les mains qui cachent les yeux, et de la tête sort un oiseau – le symbole de la liberté. On lève les yeux pour avoir la possibilité d’imaginer un autre futur. C’est une vision optimiste avec un oiseau qui s’envole de l’arbre et va vers le soleil. Il y a toujours dans mon travail un lien à l’enfance. J’ai une fille qui a besoin de beaucoup d’espoir pour vivre et pour croire de pouvoir créer quelque chose de nouveau dans ce monde. Je ne suis pas engagée politiquement mais je suis une engagée poétique. C’est à travers la poésie qu’on peut véhiculer beaucoup de choses et redonner aux gens ce pouvoir de s’émerveiller.

 

Combien de temps avez-vous travaillé sur cette installation ?

Ça fait depuis deux mois que je travaille nuit et jour sur cette installation – je rêve cocons ; je dors cocons ; je mange cocons ! C’est un grand pari car il y a sept arbres, deux oiseaux et un soleil. C’est la première fois que j’aborde la couleur aussi. C’était un travail méticuleux, mais je suis extrêmement heureuse et soulagée d’avoir pu l’installer.

 

Quels artistes et designers ont inspiré votre vision ?

J’aime beaucoup Brancusi car je trouve très intéressant sa façon de trouver le sens des choses. Ce n’était pas facile pour moi de raconter un oiseau qui s’envole mais Brancusi est toujours un maître dans ce domaine. J’aime beaucoup Matisse aussi – il y a évidemment quelque chose de Matisse dans les oiseaux. Et [Isamu] Noguchi car j’ai tout de suite aimé la vibration de la lumière dans le papier washi dans son travail. 

J’ai été extrêmement touchée par la peinture et la couleur dans l’exposition de Sally Gabori [artiste australienne aborigène] à la Fondation Cartier l’année dernière et ses tableaux des “Morning Glories” – un phénomène des nuages énormes [sur l’île  Bentinck].

 

Avant de devenir architecte d’intérieur, vous aviez votre propre marque de prêt-à-porter féminin. Comment cette expérience a-t-elle influencé votre approche ?

Cela m’a permis de me familiariser avec les textiles, les formes et la couture. Tous les métiers que j’ai exercés – que ce soit la peinture décorative, le stylisme ou l’architecture intérieure – me donnent les instruments qui me permettent de créer toutes ces formes et tous ces outils. C’est toujours dans le domaine de la création mais sous des angles différents. Je suis complètement libre maintenant dans ce que je fais dans mon art. Pour moi, la liberté est quelque chose de très important. Je remercie la Galerie Gosserez de m’avoir soutenue car Marie-Bérangère Gosserez a juste misé sur le dessin [de l’installation] et a ensuite financé le projet.

 

Vous collaborez avec l’entreprise Sericyne dans les Cévennes qui a breveté une technique innovante pour fabriquer la soie naturelle qui peut être mise en forme directement à plat ou en volume par les vers à soie qui la produisent. Quelle est l’origine de cette collaboration ?

En tant qu’architecte intérieur, j’étais très minimaliste dans mon travail. À force d’aller vers l’essentiel, ce qui restait était l’espace et la lumière. Donc je dessinais les formes organiques dans lesquelles j’apportais la lumière et je voulais une matière naturelle. Mon ébéniste s’est souvenu qu’il y avait une jeune femme qui avait étudié à l’École Boulle [une école de design et d’arts appliqués à Paris] et qui travaillait avec des vers à soie. J’ai eu la chance de la rencontrer. Il y a eu une sorte de coup de foudre et une synchronicité car elle a vu que mes dessins étaient des cocons et elle, de son côté, faisait des cocons. Elle a environ 35 ans et fabrique une matière unique au monde pour laquelle elle a déposé un brevet. Au début, elle avait un petit atelier perdu dans la forêt ; il n’y avait pas de courant. Il fallait trouver un moyen pour que les vers à soie fassent leurs cocons autour d’une forme et qu’on puisse enlever les formes. C’était compliqué, mais petit à petit on a trouvé une solution et son entreprise a évolué.

 

Pouvez-vous nous raconter les étapes de votre processus créatif ?

Ça part toujours d’abord d’un dessin. À partir de ce dessin, je fais les formes en grillage pour maintenir le plâtre, ensuite j’applique le plâtre. Je mets les moules autour en silicone et je les amène dans les Cévennes où les vers de soie tissent leurs cocons autour de ces moules. Ces cocons reviennent dans mon atelier où j’ajoute des couches de soie pour obtenir la forme que je veux. 

Ensuite toutes les pièces vont vers l’ébéniste ARCA– créé par Steven Leprizé – qui travaille avec moi sur mes projets dans l’architecture intérieure. C’est chez son père, à St Malo, que je vais chercher les branches de plusieurs bois différents – du hêtre, du chêne, du frêne… dans la forêt. Parfois je trouve une branche qui correspond à un dessin, parfois c’est une branche qui m’inspire. 

Par exemple, pour mon installation « Above the Sun, only Sky », la branche où il y a des oiseaux, j’ai eu la branche d’abord et j’ai mis les oiseaux après. En revanche, j’ai dessiné les branches des manguiers et j’ai dû trouver les branches qui correspondaient à mon imagination. C’est un va-et-vient entre la nature et moi. Ce qui est très important aussi dans mon travail, c’est l’aspect collectif et humain. Aujourd’hui, toutes les frontières entre les personnes travaillant dans la nature et l’agriculture sont poreuses. Je veux travailler avec des gens que j’aime car je considère que si on a une bonne équipe, la lumière à la fin sera belle.

 

Vos forêts précédentes, qui ont été exposées chez Christie’s et à la Galerie Gosserez, étaient entièrement blanches. Pourquoi avez-vous introduit la couleur dans « Above the Sun, only Sky » ?

C’est la première fois que je mets la couleur. J’ai attendu jusqu’à la dernière minute avant de le faire. C’était compliqué pour moi de me donner cette mission car les forêts sont tellement belles quand elles sont blanches. Mais je suis ravie. Cet oiseau bleu porte le ciel, et le soleil est le soleil du matin, en or, qui se lève. C’est quelque chose de nouveau aussi de faire une installation d’envergure qui raconte une histoire. Donc j’aimerais bien pouvoir continuer à faire une forêt imaginaire où il y a beaucoup de choses qui se passent et dans laquelle on pourrait déambuler et se promener. Je n’ai pas très envie que mes objets ne soient considérés que comme des lampes.

Ce que j’aimerais, c’est que cette installation, « Above the Sun, only Sky », soit respectée comme telle dans un lieu. Est-ce qu’un collectionneur va être touché par cette pièce pour l’intégrer dans l’ensemble que constitue sa collection ? Je serais triste si je devais me séparer des arbres les uns après les autres. J’aimerais arriver à ce que mes histoires restent entières dans l’avenir, ça se suppose des lieux qui pourraient accueillir ces forêts, comme des hôtels. J’aimerais aussi planter mes forêts dehors pour pouvoir vraiment dialoguer avec l’extérieur. On est en train d’étudier une façon de travailler [sur des matériaux imperméables] pour qu’on puisse les mettre à l’extérieur. Je fais partie d’une génération qui veut s’inscrire dans l’écologie. C’est très important pour tout ce qui se passe dans l’écologie ;  notre manière de manifester est d’avoir une matière durable.

Propos recueillis par Anna Sansom

Photos: Ayka Lux

https://www.padesignart.com/

https://www.galeriegosserez.com/gosserez/artistes/de-kergal-diane.html

More Interviews
Tout voir