Emilia Genuardi
Emilia Genuardi présente la 8é edition de la foire a ppr oc he
Emilia Genuardi est la fondatrice d’a ppr oc he, une foire intimiste mettant en avant des artistes qui expérimentent avec la création d’images. Organisée dans un hôtel particulier, rue de Richelieu, dans le premier arrondissement, la huitième édition réunit 15 artistes explorant le médium photographique, souvent au-delà du cadre.
«Je voulais créer un vrai projet curatorial avec le principe de montrer les artistes qui expérimentent avec des images»
Vous avez travaillé comme agent de photographe, rédactrice et aussi directrice artistique pour une galerie. Pouvez-vous nous parler un peu de votre parcours ?
Emilia Genuardi:
J’ai fait mes études en histoire de l’art et d’architecture à l’université de Manchester en Angleterre. À l’époque, j’habitais au Luxembourg et je voulais partir ailleurs, dans un autre pays. L’histoire de l’art me passionne depuis longtemps grâce à mes parents qui ont un profil d’antiquaires et de collectionneurs ; je suis d’origine italienne par mon père et française par ma mère. Dans le département d’architecture de l’université, il y avait une chambre noire et j’ai découvert comment faire des tirages photos. Après mes études, je me suis installée en France et mon premier métier a été coursier dans une agence de presse, on vendait des photographies de people. Grâce à cela, je suis entrée dans le monde de la photographie et j’ai travaillé pour une agence créée par un groupe de photographes avant de bosser pour une galerie. J’ai très vite compris que, pour une galerie, participer à une foire était absolument essentiel pour provoquer des rencontres. Mais le modèle des foires m’a fatiguée ; on est dans de très grands espaces avec une certaine froideur envers les visiteurs et on doit mettre le plus d’œuvres que possible sur les murs pour rentabiliser le coût de participation très élevé.
Pourquoi avez-vous décidé de lancer a ppr oc he?
Emilia Genuardi:
Exactement pour cette raison-là. À l’époque, je voulais aussi commencer à collectionner et, avec mes différentes casquettes, soutenir la création contemporaine et fonder une foire à mon image. a ppr oc he est un projet assez égoïste. J’avais envie d’une foire à taille humaine, où on pourrait se souvenir de ce qu’on a vu en sortant, avec des prises de risque et des solo shows pour vraiment approfondir le travail de l’artiste. Surtout, je voulais créer un vrai projet curatorial avec le principe de montrer les artistes qui expérimentent avec des images.
Quelle identité vouliez-vous donner à ce salon ?
Emilia Genuardi:
Je souhaitais, vraiment par le lieu – cet hôtel particulier dans le premier arrondissement –, donner un ton très privé, casser la froideur d’une foire et avoir un environnement qui s’ouvre à l’échange et qui permet les rencontres. C’est très important que les photographes soient comme chez eux, comme s’ils invitaient des visiteurs.
Quels sont vos critères quant à la sélection des galeries et les artistes exposés ?
Emilia Genuardi:
Le premier critère, c’est que je ne sélectionne pas de galeries ; je sélectionne des artistes. Chaque fois, mon but est de réunir un maximum de 16 propositions complémentaires et singulières. Par la suite, je vais solliciter les galeries qui les représentent afin de les faire participer.
Antoine De Winter – Série Followers, 2024 © Antoine De Winter / Courtesy Hangar Gallery
Pouvez-vous développer sur la manière dont les artistes expérimentent avec les images, que ce soit en revisitant d’anciennes techniques avec une approche innovante ou en utilisant de nouvelles technologies ?
Emilia Genuardi:
Nous pourrions en discuter pendant des mois car la photographie est née de l’expérimentation. Ce qui est incroyable, c’est la manière dont les artistes contemporains trouvent des façons nouvelles et singulières d’expérimenter avec d’anciens procédés tout en les combinant avec de nouvelles technologies comme l’intelligence artificielle. Ainsi, nous découvrirons toujours de nouveaux artistes avec des projets fantastiques, même s’ils utilisent des techniques qui existent depuis très longtemps. Aujourd’hui, les photographes expérimentent de plus en plus avec le papier et les façons de cadrer, parfois de manière sculpturale, allant au-delà du cadre. C’est une tendance qui croît depuis plusieurs années et qui montre à quel point la photographie est un médium très, très riche.
Parlez-nous des découvertes de cette édition?
Emilia Genuardi:
En termes d’expérimentation innovante, on a le magnifique travail d’Antoine De Winter qui, justement, grâce à l’intelligence artificielle, fait des portraits très troublants et presque hypnotisants [des faux followers]. Il combine des techniques de cyanotype sur tissu à la feuille d’or et des procédés anciennes. On a aussi le magnifique travail de Jesse Wallace qui fait de la photographie documentaire, principalement en numérique. De ces images documentaires, il va créer de nouvelles histoires, des objets très structuraux, qui laissent beaucoup place à l’imagination. Il y a Susanne Wellm qui tisse ses propres photographies et on a également le magnifique travail d’Isabelle Chapuis se rapprochant de l’anthropologie en collectant la terre d’un territoire qu’elle mélange avec une émulsion photographique. En techniques anciennes, on a les formidables héliotypes d’Alessandra Calò.
Jesse Wallace – Hotel Hollywood Roosevelt 1, 2023 © Jesse Wallace / Courtesy Galerie Echo 119
Susanne Wellm – Humble eyes, 2024 série Humble eyes © Susanne Wellm / Courtesy Galerie XII
Cette huitième édition se focalise sur des œuvres liées à la mémoire et à l’identité. Pouvez-vous nous raconter comment certains artistes ont traité cette thématique ?
Emilia Genuardi:
Toutes les propositions sont liées, d’une manière ou d’une autre, à la mémoire et à l’identité, qu’elles partent d’un concept ou d’une recherche basée sur l’environnement, l’architecture ou l’écologie, comme par exemple les œuvres de Daniel Bourgais, ou des récits très personnels et théâtraux, comme les magnifiques réalisations de Sara Imloul. On peut parler aussi de Jackie Mulder qui, à travers les œuvres sur lesquelles elle va dessiner, peindre, coudre et découper, revisite la mémoire et en propose une nouvelle interprétation.
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Daniel Bourgais – La Ceinture, paysages invisibles I, 2024 © Daniel Bourgais / Courtesy Galerie Data
Sara Imloul – Le masque, série Passages – de l’Ombre aux Images, 2019 © Sara Imloul / Courtesy Hopstreet Gallery
Quelles tendances artistiques et photographiques avez-vous observé depuis la première édition d’ a ppr oc he en 2017?
Emilia Genuardi:
En 2017, quand j’ai créé ce salon, quelque chose m’avait vraiment surpris : on pouvait découvrir le médium photographique dans deux milieux qui ne se connaissaient et ne se côtoyaient pas : les galeries d’art contemporain et les galeries photo. Si nous rassemblions ces deux environnements, nous obtenions une scène qui n’avait jamais été montrée auparavant, avec des artistes visuels qui utilisent la photographie dans leurs pratiques et des photographes représentés par des galeries de photographie. Aujourd’hui, nous voyons de plus en plus de photographies dans les foires d’art contemporain et de plus en plus de galeries d’art contemporain présentant des plasticiens lors de foires photos. J’espère qu’a ppr oc he reflète cela.
La semaine prochaine, vous lancez Extended, une prolongation de la foire en ligne curatée par Dominique Moulon, en collaboration avec Ikigai Labs, une plateforme d’intelligence artificielle. Que pouvez-vous nous en dire ?
Emilia Genuardi:
Comme d’autres événements, je suis beaucoup sollicitée par les plateformes de vente en ligne pour mettre la foire sur le web. Je n’ai jamais accepté une telle collaboration parce que je n’achèterais jamais moi-même en ligne à travers ces plateformes. Il y a quelque temps, Florence Moll, qui est agent d’artistes [FMA Le Bureau], m’a présenté ce projet avec Dimitri Daniloff, un artiste et collectionneur. J’ai trouvé une manière de faire un mini a ppr oc he en ligne, dans un espace virtuel, en gardant cette envie d’avoir un salon marchand conçu comme une exposition, et surtout avec un format intimiste et privé. En vous connectant, vous aurez un avatar et je pourrai venir vous voir sous la forme d’un avatar également pour vous présenter les artistes qui pourront vous parler des travaux qu’ils ont réalisé spécialement pour le salon et qui sont exposés sur les murs. Ça débute le vendredi 15 novembre à 14 heures et ça court jusqu’au dimanche 17 novembre à minuit.
Quelles ambitions avez-vous pour a ppr oc he?
Emilia Genuardi:
Je n’ai aucune envie de m’agrandir. En revanche, j’ai l’ambition de développer des partenariats avec d’autres acteurs qui soutiennent la création contemporaine ou d’autres salons. Il y a deux ans, j’ai créé un deuxième rendez-vous, unRepresented, qui a lieu au printemps et est dédié aux artistes non représentés par une galerie et proposés par un collectionneur. L’ambiance qu’on crée ici chaque année à a ppr oc he est un peu comme une famille. J’adore présenter des artistes à des institutions qui pourraient les exposer un an plus tard ou à des éditeurs qui pourraient publier un livre sur leur travail. Ce sont ces mises en contact qui m’intéressent.
Interview par Anna Sansom
Photos Cover : Laurent Villeret
Antoine De Winter – Série Followers, 2024 © Antoine De Winter / Courtesy Hangar Gallery
Jesse Wallace – Hotel Hollywood Roosevelt 1, 2023 © Jesse Wallace / Courtesy Galerie Echo 119
Susanne Wellm – Humble eyes, 2024 série Humble eyes © Susanne Wellm / Courtesy Galerie XII
Daniel Bourgais – La Ceinture, paysages invisibles I, 2024 © Daniel Bourgais / Courtesy Galerie Data
Sara Imloul – Le masque, série Passages – de l’Ombre aux Images, 2019 © Sara Imloul / Courtesy Hopstreet Gallery