Florence Bourgeois
Au cœur de Paris Photo
« On se rend compte, avec le recul, que rien ne remplace le rapport avec le public, le contact avec les visiteurs et les collectionneurs. »
Première foire mondiale dédiée à la photographie, Paris Photo dévoilait du 11 au 14 novembre dernier les trésors de sa 24ème édition. Au Grand Palais Éphémère, 177 exposants venant de 25 pays était représentés et répartis en trois secteurs, le secteur principal, Éditions et Curiosa, dédié à la création émergeante. En tout, 148 galeries françaises et internationales sous la direction de Florence Bourgeois, directrice de la foire depuis 2015. Say Who l’a rencontrée pour parler de sa vision, de la place de la photographie aujourd’hui et du champ infini des possibilités qu’offre ce médium qu’elle n’a pas fini d’explorer…
Pouvez-vous nous parler de votre parcours avant votre nomination en tant que directrice de Paris Photo en 2015 ?
J’ai travaillé trois ans en tant que contrôleuse de gestion pour la marque Ines de la Fressange. Après ça, je suis arrivée chez LVMH où j’ai également dirigé le contrôle de gestion puis la finance et enfin le marketing opérationnel. À la naissance de mon quatrième enfant, j’ai fait une pause pour reprendre des études en histoire de l’art. J’ai passé le diplôme de l’École du Louvre et j’ai obtenu une licence en histoire de l’art à la Sorbonne pour me réorienter professionnellement dans le milieu culturel. Après cela, j’ai pris la direction de la PAD pendant deux ans puis la direction de Paris Photo.
Quelle était votre stratégie en intégrant Paris Photo ?
Mon premier objectif était de faire en sorte que Paris Photo reste la première foire photographique, augmenter sa visibilité et sa réputation qui ne cesse de prendre de l’ampleur. À l’époque, nous avions deux éditions – à Paris au Grand Palais et à Los Angeles – et il fallait tout mettre en œuvre pour faire rayonner la marque Paris Photo afin que les meilleures galeries et les meilleurs éditeurs continuent de venir présenter leurs projets dans le cadre de la foire.
Comment les galeries ont-elles survécu pendant la pandémie ?
Elles ont dû s’adapter au digital. Pendant un an et demi, la plateforme numérique de Paris Photo a pris le dessus sur la foire physique. Les galeries ont pu continuer à avoir une activité, même réduite, et ont pu développer une activité sur des plateformes digitales qu’elles n’avaient pas forcément adoptées au préalable. On se rend compte, avec le recul, que rien ne remplace le rapport avec le public, le contact avec les visiteurs et les collectionneurs. Mais j’ai quand même l’impression qu’elles ont pu survivre, d’abord en partie en France grâce aux aides du gouvernement et, parce que malgré la baisse de leur chiffre d’affaires, les dépenses ont elles aussi été moindres. Cela reste très compliqué pour les petites galeries mais j’ai la sensation qu’elles ont réussi à subsister.
Plusieurs galeries d’art contemporain, comme Hauser & Wirth et Templon, étaient absentes cette année. Danziger, une galerie américaine, l’était aussi. Quelle a été votre réaction ?
Une galerie d’art contemporain peut, ou non, avoir un projet à montrer d’une année sur l’autre. La Galerie Georges-Philippe & Nathalie Valois était présente cette année mais ne l’était pas les années précédentes. Il y a une grosse rotation de galeries même s’il y a toujours en moyenne une trentaine de galeries nouvelles et/ou qui reviennent d’une année sur l’autre. Mon travail consiste à identifier les projets qui correspondent à Paris Photo, et c’est la galerie qui décide si elle souhaite de participer ou non. L’autre critère à prendre en compte est que le Grand Palais Ephémère est plus petit que le Grand Palais, on doit donc exposer une trentaine de galerie en moins. Quand nous avons commencé à commercialiser la foire au printemps, quelques galeries américaines jouaient encore la prudence. James Danziger m’a expliqué que son activité avait été relativement réduite, la situation en avril n’était pas encore claire. Il préférait passer son tour cette année et revenir l’année prochaine.
L’art contemporain accorde beaucoup d’importance à la peinture figurative en ce moment. Selon vous, quelle place tient la photographie dans le panorama artistique aujourd’hui ?
Paris Photo offre un éventail de prix extrêmement large, de 800 € à 300 000 €. Je n’ai pas du tout l’impression que les prix s’effondrent. Un des phénomènes très intéressants avec la photographie contemporaine, c’est que beaucoup d’œuvres deviennent uniques du fait du travail singulier des artistes. La photographie est aussi un point d’entrée dans les collections. On voit beaucoup de jeunes collectionneurs s’intéresser à Paris Photo parce qu’ils peuvent s’offrir des œuvres pour quelques milliers d’euros, et beaucoup commencent leur collection avec ce média qui est facile d’accès.
Quelles sont les tendances que vous avez pu observer cette année à Paris Photo ?
Je trouve que la majorité des œuvres très contemporaines et récentes sont vues comme un objet. À la Galerie Ceysson & Bénétière, on peut voir les œuvres d’Aurélie comme un objet, car elles sortent du mur, elles ont un relief. De même pour Iris Hutegger chez Esther Woerdehoff avec les œuvres brodées en relief également. Ou encore Christophe Gaillard qui présente des œuvres presque architecturales de Letha Wilson. Suzanne Tarasieve a un stand très intéressant [avec les assiettes sur lesquelles sont imprimées les photos de Juergen Teller]. On réfléchit également à la notion d’image. On sort parfois du concept pur de la photographie pour se diriger vers une image. Le medium qu’est la photographie offre aujourd’hui un éventail de possibilités de plus en plus large. Tous ces anciens procédés utilisés par les jeunes artistes – les cyanotypes, les daguerréotypes – sont très intéressants. Lucas Leffler, chez Intervalle dans le secteur Curiosa, récupère les sels d’argent dans les rivières où sont dispersés des déchets industriels et les retravaille pour faire les œuvres. C’est vraiment intéressant de voir à quel point on peur s’approprier le médium photographique.
Depuis quelques années, Paris Photo met en lumière les femmes avec le parcours Elles X Paris Photo. Quelle visibilité voulez-vous donner aux femmes photographes ?
Les femmes sont de mieux en mieux représentées. Quand nous avons commencé ce parcours il y a quatre ans avec le Ministère de la Culture, le taux d’artistes femmes était de 20% à la foire, cette année elles sont 34%. On a incité les galeries à présenter les artistes femmes en leur parlant de ce parcours avec un commissaire dédié et une journée de conversations. Ça a incité les galeries à présenter plus d’artistes femmes, d’Anna Watkins jusqu’à nos jours comme Mame-Diarra Niang par Dora Maar. L’idée n’est pas d’arriver à 50%, ce n’est pas un diktat, mais on va poursuivre notre engagement pour que les choses évoluent graduellement.
Que pensez-vous du phénomène des NFT ? Pouvez-vous envisager des NFT à Paris Photo l’année prochaine ?
Pour l’instant, aucune galerie n’a proposé de projet incluant les NFT. Cela reste un phénomène assez récent. On verra l’année prochaine si la situation évolue. Le secteur Curiosa montrera peut-être des projets de ce type, en tout cas il s’agit de laisser les portes ouvertes à la nouveauté.
Interview : Anna Sansom
Photos : © Florent Drillon