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20.12.2022 #Mode

Alice Vaillant

Fondatrice du label d’avant-garde Vaillant

 « Je veux créer des vêtements pour toutes les féminités »

2022 aura été une année décisive pour Vaillant. Le jeune label parisien fondé par Alice Vaillant défilait cette année pour la toute première fois à l’occasion de la semaine de la mode SS23 à Paris et célébrait en même temps ses 3 ans. Un cap important pour cette ancienne danseuse de l’Opéra de Paris, récemment devenue styliste. Après avoir fait ses armes chez Jean Paul Gaultier, la jeune femme enchaine chez Nina Ricci, époque Botter. Deux temps forts extrêmement formateurs qui lui auront permis d’acquérir les connaissances nécessaires au lancement de sa marque éponyme. Le concept ? Rendre toutes les femmes belles. Simple et efficace. Mais ne vous y trompez pas, Alice Vaillant est une fine connaisseuse des techniques de couture et une chef d’entreprise avisée. La preuve ? Sa maîtrise des matières et des coupes, et notamment d’un tissu pas si simple à manier, la dentelle. Rencontre. 

 

Ressens-tu le besoin d’incarner ta marque au quotidien ?

J’y suis un peu obligée depuis le premier défilé en septembre dernier. Nous avons reçu l’attention de la presse avec notamment la visite de Loïc Prigent, de Vogue, et la question de l’utilisation ou non de mon image personnelle s’est posée. Je pense que porter mes créations et les incarner, permet aux gens de mieux identifier la marque et de la rendre ainsi plus humaine. 

De la danse à la mode, il y a un pas. Comment devient-on styliste après avoir été danseuse étoile ?

J’ai commencé la danse à l’âge de sept ans en intégrant une école de quartier spécialisée dans le 18ème arrondissement. À l’époque, je passais des concours dans toute la France, un peu à la Little Miss Sunshine, et j’étais plutôt bonne. Rapidement, on m’a conseillé d’intégrer l’Opéra de Paris, ce que j’ai fait à l’âge de onze ans. Je prenais des cours de danse intensifs tous les après-midis de 13 heures à 18 heures 30. C’était extrêmement formateur et je pense que cette expérience m’inspire énormément dans la manière dont je construis le vêtement, en lien avec le mouvement du corps. J’étais toujours en tenue de danse, en survêtement ou en chauffe, avec beaucoup de superposition et de transparence. Mes inspirations viennent de ce mélange entre le vêtement technique, le tutu et le corset. J’aime ce contraste entre la souplesse et le maintien très caractéristique de la tenue de danse. Une autre signature importante est le mélange des matières: tulle, de la dentelle.. et un jogging ! Des opposés qui s’accordent et se retrouvent aujourd’hui dans mon travail avec Vaillant. 

L’univers de la danse croise des vêtements qui doivent être à la fois techniques et esthétiques…

Quand on est danseuse ou danseur, on se balade constamment en juste au corps, que l’on couvre avec des pantalons légers pour ne pas être tout le temps en petite tunique. On est aussi souvent par terre à attendre que ce soit notre tour, ou bien en train de danser ou de s’étirer. Quand j’ai arrêté la danse, j’ai eu du mal à me rhabiller normalement car le confort passait avant tout. J’ai arrêté la danse quelques mois après être partie pour Montréal et revenir à un jean rigide n’a pas été simple. 

Pourquoi s’arrêter en si bon chemin ?

J’ai arrêté la danse il y a maintenant presque 10 ans, car je n’avais plus la même « niaque ». La danse est un métier très difficile, et quand la passion ne brûle plus aussi fortement, on a plus la même motivation. J’avais pensé qu’en changeant de pays, ce serait mieux, mais pas du tout. À l’Opéra de Paris, nous avons les meilleures conditions de danse possibles, et j’ai dû me rendre à l’évidence qu’il n’y avait pas de raisons externes à mon envie d’arrêter. Je suis donc restée à Montréal où j’ai commencé à me former en mode. J’ai rencontré des gens différents et je partais régulièrement à New York en bus. Ces expériences ont fortement influencé mon approche du design textile . En rentrant en France, j’ai intégré l’école Chardon Savard, puis enchaîné avec un stage chez Jean Paul Gaultier, avec qui j’ai travaillé sur le Fashion Freak Show. J’y ai découvert les techniques propres à la Haute-Couture. Je suis ensuite partie chez Nina Ricci à l’époque Botter. 

Quel a été le déclic pour monter ta marque ?

Je voulais construire une collection à ajouter à mon porfolio. Mais quand j’ai commencé à travailler, il m’a semblé évident qu’il ne s’agissait pas d’une simple collection mais bien un début de marque. J’ai toujours eu du mal à trouver certaines pièces pour moi-même, et je me suis dit que j’avais réellement quelque chose d’intéressant à proposer pour la femme.  J’ai alors fait appel à une modéliste, Renata, ce qui m’a permis de déléguer la partie technique de couture et de pouvoir me focaliser uniquement sur la créativité et la construction de la marque…

 

 

Comment aborde-t-on l’approvisionnement en matières premières en montant une marque? L’aspect créativité est une chose, mais il faut ensuite comprendre les enjeux techniques de l’industrie textile.  

J’ai rapidement compris qu’il fallait créer des liens avec les fournisseurs et développer de vrais procédés de production.  Au départ, j’ai négocié, car nous n’avions pas forcément besoin de grandes quantités. Il fallait des minimums et travailler main dans la main avec eux pour passer à côté de certaines contraintes. Aujourd’hui, j’ai un beau carnet d’adresse d’une cinquantaine de fournisseurs, fidèles depuis le début. Nous augmentons chaque saison les quantités: la dernière collection avait plus de 1400 références. 

Ton but est de faire grandir la marque rapidement ?

Oui et je n’ai pas vraiment le choix si je veux pouvoir garder mon équipe. Il y a encore beaucoup d’aspects à renforcer. Quand on a une entreprise, beaucoup de choses entrent en jeu, notamment la communication, mais il y aussi un aspect production très concret que l’on oublie souvent. Derrière la technique, il y a de vrais rapports de loyauté avec les fournisseurs, et quand les quantités augmentent, ils sont contents d’avoir cru en moi. 

Tu as défilé pour la première fois cette année, qu’est-ce que l’on ressent en passant cette étape symbolique? 

C’est évidemment un rêve. Financièrement, nous n’aurions pas pu le faire plus tôt c’est donc arrivé au bon moment. Ce qui est incroyable, c’est d’avoir enfin une vision globale de la marque et voir les mannequins défiler avec les vêtements m’a procuré une grande émotion. La préparation est très intense, et lors de la dernière visite du lieu – l’hôtel d’Heidelbach dans le 16ème arrondissement- nous étions plus d’une quinzaine de personnes, entre les équipes presse et musique.  J’ai regardé tous ces gens en me disant que c’était dingue qu’ils croient tous en moi !

Comment construit-on des pièces qui conviennent à toutes les femmes, tout en devant travailler avec des usines habituées aux patrons standards ?

Il y a de nombreuses étapes dans la production d’un vêtement et les processus créatifs sont aussi nombreux qu’il existe de designers. De mon côté, je commence par la couleur pour laquelle j’ai une sorte d’obsession. Je change les tons à chaque collection, même si certains reviennent, et je passe ensuite au choix des tissus. C’est une démarche au départ très visuelle, j’essaie de comprendre ce qui peut ou non marcher. Je fonctionne aux ressentis, aux émotions et aux souvenirs, c’est un mélange de plusieurs éléments qui aboutit ensuite à la construction du vêtement, avec un drapé qui commence sur le stockman. Je fais de nombreux essais, des manipulations et le tout se transforme petit-à-petit en vêtement. J’aime aussi l’idée d’améliorer des pièces à chaque collection, c’est pourquoi certaines reviennent de saison en saison. On écoute beaucoup les retours de celles qui portent du Vaillant. C’est ainsi que l’on améliore les collections, en tentant ainsi de proposer un vestiaire qui convienne à toutes les morphologies. 

 

Même chez l’homme, les difficultés techniques sont grandes, ce qui limite les possibilités en termes d’image et de diversité des corps…

Il est très important de pouvoir essayer les vêtements. Je propose souvent aux personnes intéressées par la marque de passer voir l’atelier, et il y a toujours des surprises. Rien ne me rend plus heureuse que de voir une femme se trouver belle. C’est pour cette raison que nous sommes aussi dépendants des retours clients, pour pouvoir améliorer la marque. Il y a évidemment toute la partie création de l’univers, des couleurs et des formes, de la symétrie et de la construction des modèles, mais sans technique, le vêtement ne peut pas correspondre et plaire. Les femmes doivent se sentir belles, bien et à l’aise.

 

 

Tu travailles la dentelle qui nécessite elle-aussi une technique particulière, peux-tu nous en parler ?

En 2019, j’ai commencé à travailler avec un stock de 50 ou 100 nuisettes. À l’époque, personne ne voulait de dentelle, c’était vraiment passé de mode, mais je trouvais qu’il y avait vraiment quelque chose à faire avec ce tissu. J’ai donc appelé des entrepôts pour essayer d’en acheter en masse, et je me suis finalement rapprochée de Calais. Les usines de dentelle du nord de la France sont historiques et travaillent encore de vieilles techniques de tissage uniques au monde. Nous avons donc développé un circuit avec les fournisseurs du nord. Chaque modèle de top utilise une dentelle différente, et il a donc fallu que nous développions un procédé qui permette de s’adapter à toutes les dentelles.

La dentelle est difficile à assembler ?

Chaque dentelle est édentée différemment et il est donc complexe de créer un patron qui s’adapte à une forme à chaque fois différente. Ce nouveau procédé nous permet de travailler avec tout type de dentelle sans changer à chaque fois le patron.  L’idée, par contre, n’est pas de faire de Vaillant une marque uniquement définie par son utilisation de la dentelle. Nous voulons créer une vraie silhouette Vaillant. Pour la prochaine collection, nous allons donc travailler de nouvelles choses, comme la maille ou le denim français certifié. 

Guerre en Ukraine, inflation, conséquences de la crise du Covid, comment ces crises se sont-elles fait ressentir sur votre sourcing matière ?

Le prix des matières premières a explosé, et en tant que marque, il faut composer avec. Je remercie ces années passées à avoir contacté et tissé des liens solides avec mes fournisseurs, car cela m’a permis de trouver facilement des solutions. Nous avons réussi à avancer en travaillant main dans la main pour rebondir ou contourner les problèmes et continuer à nous amuser, tout en gardant toujours cet impératif de qualité luxe.

Que souhaites-tu pour le futur ?

Que l’aventure continue.. À chaque collection, nous avons doublé le chiffre d’affaire, nous travaillons avec des plus en plus de magasins, de commandes et de projets. Je travaille beaucoup donc ce n’est pas vraiment de la chance. Mais en tous cas, ce que l’on peut souhaiter en tant que designer, c’est que les pièces continuent de plaire et que des humains prennent plaisir à les porter. 

Propos recueillis par Pauline Marie Malier

Photos: Jean Picon et Ludovica Arcero

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