Francesca Piccolboni
L’initiative de l’Association Matignon repose sur une belle énergie collective
« Il ne s’agit pas simplement d’attirer un public plus large, mais de créer une véritable synergie entre galeries »
À quelques jours du coup d’envoi de la semaine de l’art, nous rencontrons la directrice de la galerie Tornabuoni, Francesca Piccolboni, au sein de leur espace parisien. Installée au 16 avenue Matignon depuis 2009, la galerie d’origine florentine s’est solidement ancrée dans le paysage artistique de la capitale, et est un membre actif de l’association Matignon Saint-Honoré (MaSH). Aux côtés des 37 galeries réunies sur cette institution fédératrice, Tornabuoni participe à la dynamique collective qui anime le pôle d’art contemporain du quartier, notamment avec sa participation au vernissage commun organisé par l’association ce 20 octobre. Lors de notre rencontre, Francesca Piccolboni nous en dit plus sur l’importance de ces initiatives fédératrices telles que le MaSH, mais aussi sur son parcours, la vision de Tornabuoni et la place de Paris dans le monde de l’art.
La galerie Tornabuoni s’apprête à fêter son 45e anniversaire : racontez-nous sa longue histoire.
FRANCESCA PICCOLBONI :
La galerie Tornabuoni a été fondée en 1981 à Florence par Roberto Casamonti, grand passionné d’art moderne et contemporain, et s’est rapidement imposée comme une référence sur la scène artistique italienne. Spécialisée dans les avant-gardes italiennes du XXe siècle – de Fontana à Burri, en passant par Castellani, Boetti ou Manzoni – la galerie s’attache à valoriser et promouvoir le panorama artistique de cette période. Dès les années 2000, Tornabuoni amorce une expansion internationale avec l’ouverture d’espaces à Milan, Forte dei Marmi, Crans-Montana, Paris, Londres et plus récemment Rome. Aujourd’hui, la galerie est reconnue pour la qualité muséale de ses expositions, la rigueur de son travail de recherche autour de l’art italien, et son expertise inégalée en la matière.
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Quel a été le parcours qui vous a conduit à en prendre la direction ?
FRANCESCA PICCOLBONI :
J’ai toujours envisagé mon parcours dans le domaine culturel. Originaire de Vérone, ma passion pour l’opéra m’a amenée très jeune à collaborer avec la Fondation des Arènes, où j’assistais la direction artistique. Après des études en management de l’art à Venise et Paris, j’ai rejoint le service de recherche de financements du Gran Teatro La Fenice à Venise, mais c’est à partir de 2008, grâce à une expérience dans le département de marketing et communication à la Biennale de Venise, que mon parcours s’est orienté vers les arts visuels. Arrivée à Paris en 2009, j’ai intégré la galerie Tornabuoni dès son ouverture, avant d’en prendre la direction en 2013. Diriger la galerie à Paris, c’est poursuivre ce parcours d’exigence curatoriale et d’ouverture culturelle, en faisant résonner la voix des grands artistes italiens sur la scène internationale.
Vous faites partie de l’association Matignon. Qu’attendez-vous de ce nouveau type de manifestation ?
FRANCESCA PICCOLBONI :
L’initiative de l’Association Matignon repose sur une belle énergie collective. Il ne s’agit pas simplement de mutualiser nos forces pour attirer un public plus large, mais surtout de créer une véritable synergie entre galeries avec un parcours de visite autour d’un événement très attendu: un vernissage collectif le 20 octobre! Ce type de manifestation permet de fédérer les amateurs d’art autour d’un parcours diversifié – on y trouve de l’art ancien, moderne, contemporain et du design – mais aussi de renforcer le rayonnement culturel du 8ème arrondissement, destination désormais incontournable sur la scène parisienne.
L’exposition “Au-Delà” de Giorgio Morandi et Lucio Fontana ouvre ses portes chez vous le 20 octobre. Pouvez-vous nous parler de ces deux grands artistes italiens qui ont traversé le XXe siècle ?
FRANCESCA PICCOLBONI :
Morandi et Fontana sont deux piliers de l’art italien du XXe siècle. Le titre de l’exposition fait référence à leur recherche commune qui tend vers ce qui se situe au-delà du visible. Morandi, avec ses natures mortes infiniment méditatives, a exploré les variations subtiles de la lumière et de la forme, dans une quête à la fois poétique et spirituelle du Réel. Fontana, de son côté, a transgressé les limites traditionnelles de la toile avec ses fameuses « Attese » (fentes) et ses Concetti spaziali, ouvrant littéralement une brèche vers une autre dimension au-delà de la surface plate de la toile. L’un dans l’intimité de la figuration, l’autre tourné vers l’infini et l’abstraction ultime – leur confrontation crée un dialogue aussi inattendu que saisissant.
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Quel dialogue établissez-vous entre ces deux visions, figuratives et abstraites, qui ont révolutionné la manière d’appréhender la matière et l’espace ?
FRANCESCA PICCOLBONI :
C’est précisément ce contraste, et cette complémentarité, que nous souhaitons montrer. Morandi travaille dans le silence, dans une temporalité lente, presque suspendue. Fontana fracture l’espace, le projette dans une dimension cosmique. Mais tous deux interrogent la matérialité de la peinture : chez Morandi, chaque objet est prétexte à un exercice de perception ; chez Fontana, la toile cesse d’être une surface pour devenir un volume. Leur dialogue n’est pas en opposition, mais en résonance.
Comment jugez-vous la place de Paris dans le marché actuel de l’Art, notamment au regard de votre présence dans d’autres grandes métropoles ?
FRANCESCA PICCOLBONI :
Paris vit une belle renaissance. Longtemps perçue comme en retrait par rapport à Londres ou New York, elle a retrouvé aujourd’hui un rôle central grâce à la richesse de ses institutions, à la vitalité de ses galeries et à l’arrivée d’événements majeurs comme Art Basel Paris. Sur le plan culturel, l’offre à Paris est inépuisable: aucune autre ville ne peut réellement rivaliser.
Ces dernières années, et plus encore depuis la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne, Paris n’a cessé de consolider sa position de premier plan sur le marché de l’art : plusieurs galeries internationales de renom ont d’ailleurs récemment choisi la capitale française pour y établir leur siège européen. La capitale français peut en effet s’appuyer sur un écosystème artistique sans équivalent en Europe, entre ses musées emblématiques comme le Louvre, le Centre Pompidou, le Musée d’Orsay ou le Musée d’Art Moderne de Paris, et ses fondations privées telles que la Fondation Louis Vuitton ou la Bourse de Commerce – Pinault Collection.
Le calibre des institutions et la qualité des expositions présentées en France, et particulièrement à Paris, sont uniques au monde, alimentées par des collections nationales exceptionnelles et de puissantes fondations privées. Je crois profondément en Paris comme nouvelle capitale du marché de l’art en Europe, dont l’influence ne cessera de croître.
Notre présence ici est donc stratégique, mais aussi affective, car Paris a toujours été un carrefour entre l’art italien et le reste du monde.
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Qu’attendez-vous de cette édition d’Art Basel Paris ?
FRANCESCA PICCOLBONI :
Nous attendons une édition forte et de qualité, à la hauteur de l’exigence de la scène parisienne. Cette année, nous espérons une fréquentation internationale encore plus marquée que l’année, avec des collectionneurs venus des États-Unis et d’Asie, qui étaient moins nombreux cette année à Bâle, sûrement en raison de l’édition parisienne de la foire.
Parmi les membres de l’association Matignon, quelles autres galeries recommanderiez-vous d’aller voir ?
FRANCESCA PICCOLBONI :
Il serait difficile de n’en citer que quelques-unes, tant la diversité fait la richesse du parcours. Chacune a une voix singulière, et ensemble, nous formons une scène dynamique. Je me réjouis particulièrement de l’arrivée récente de galeries comme celles de Félix Marcilhac et Oscar Graf, qui viennent de rejoindre l’association et enrichissent encore davantage le projet !
Propos recueillis par Say Who
Portraits : Jean Picon

