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14.10.2024 Petit Palais #art

Pierre-Alexandre Mateos et Charles Teyssou

Rencontre avec les commissaires du programme « Conversations » d’Art Basel Paris

A quelques jours du lancement d’Art Basel Paris 2024, qui inaugure sa toute première édition au Grand Palais cette semaine, rencontre avec les commissaires d’exposition et écrivains Pierre-Alexandre Mateos et Charles Teyssou. Commissaires du programme « Conversations » du salon pour la troisième année, le duo nous parle de la genèse de l’initiative, de l’importance du dialogue entre les différents agents de la sphère artistique et de la démocratisation du milieu à travers les programmes publics. Organisé pour la première fois au Petit Palais, ce cycle de conférences comprendra onze tables rondes, en anglais et en français, accompagnées de deux performances.

« Les programmes publics des foires sont devenus des fondamentaux, car les foires ont eu besoin de créer du pouvoir symbolique et d’apporter du contenu. Elles sont aussi une place de transaction des savoirs. »

Comment ce programme de conversations, dont vous vous occupez depuis trois ans, est-il né ?

Nous avons répondu à un appel à candidatures et, dès le départ, nous voulions faire le lien entre trois registres de cultures : les cultures populaires dans le sens le plus noble du terme, les avant-gardes artistiques et les contre-cultures. Notre panel rêvé est celui capable de mêler ces trois registres. Comme nous souhaitions, par ailleurs, faire dialoguer l’industrie culturelle française avec la foire, nous avons regardé du côté du cinéma, de la mode, déjà très liés à l’art contemporain depuis les années 2010, mais aussi de la littérature, de la musique et du théâtre. Un autre point important était de créer le lien avec des territoires qui étaient liés au passé colonial français. Donc la première année nous avions parlé des avant-gardes africaines, puis des Caraïbes, sous la figure tutélaire d’Edouard Glissant, et cette année, nous nous concentrons sur Dakar.

En quoi, est-ce si important pour les foires de développer des programmes culturels qui ne sont pas directement liés au marché ?

Les programmes publics des foires sont devenus des fondamentaux, car les foires ont eu besoin de créer du pouvoir symbolique et d’apporter du contenu. Elles sont aussi une place de transaction des savoirs. « Conversations » est lié au marché, tout en étant autonome. Nous n’avons aucun diktat, mais nous permettons de prendre une certaine distance et d’adopter une perspective qui va un peu à l’encontre du bouillonnement perpétuel de l’art contemporain. Ces conversations sont toujours enregistrées et notre but est qu’elles soient comme des archives du monde de l’art. On y voit les acteurs clefs du marché et sommes au plus près de ses transformations. C’est un instant T que l’on peut ensuite remettre en perspective par rapport aux conversations précédentes et, cette année, nous insistons plus particulièrement sur les galeries qui se muent quasiment en institutions.

Travaillez-vous d’ailleurs étroitement avec le programme des galeries exposantes ?

En partie car programme de sélection s’élabore en même temps que notre programme curatorial, mais nous cherchons toujours les liens. Ce qui est spécifique à Art Basel est que ce programme est complètement accessible et gratuit, donc nous sommes en contact avec des nombreuses universités et recevons des néophytes. L’idée est d’être ouverts au plus grand nombre et de créer un trait d’union entre différents mondes et c’est aussi pour cela que nous avons développé un programme de performances, qui peuvent se dérouler dans d’autres lieux que la foire. C’est aussi une possibilité « d’incarner » en quelque sorte les conversations.

Ces conversations sont donc loin de s’adresser uniquement aux collectionneurs ?

Totalement, même si on y traite, pour certaines, plus directement de marché de l’art, à l’exemple de celle où nous invitons Sylvie Patry, directrice artistique à la galerie Mennour et anciennement au musée d’Orsay, et Dame Julia Peyton-Jones, anciennement à la Serpentine de Londres et qui travaille depuis plusieurs années chez Thaddaeus Ropac. L’idée est de montrer comment certaines galeries vont travailler avec des curateurs pour développer tout un pan de recherches et de résidences, loin des aspects directement commerciaux. Ce qui est aussi une évolution du marché et peut-être la plus marquante depuis qu’on a pu observer la professionnalision du monde de l’art dans les années 1990. Mais nous traitons aussi de tous autres sujets, comme l’art et la mode, les queers, le laid ou le grotesque… Chacun peut s’y retrouver et y être un bousculé…

Ainsi, l’on retrouve bien votre style, qui est de traiter de sujets, toujours de manière sérieuse, mais aussi un peu décalée, rigolote, voire punk…

Notamment avec cette conversation sur le moche et le grotesque, pour laquelle nous invitons les artistes Jamian Juliano-Villani et Diego Marcon, néo-pops ou néo-surréalistes contemporains, mais aussi avec la figure de Jean Genet. Car nous consacrons une conversation à l’écrivain, connu pour son rapport aux valeurs qu’il invertissait et en même temps pour son militantisme forcené, en faveur des blacks panthers ou pour les opprimés dans le monde de manière générale. Nous essayons de développer une exploration des marges et un certain goût pour l’effronterie ou la transgression, qui étymologiquement veut dire dévier de la route. C’est toujours ce que nous essayons de faire et quand, par exemple, nous parlons de dandysme, nous explorons des formes plus marginales, comme la figure de la mère-dandy, du noir-dandy, de la dandy-lesbienne… éloignées des perspectives habituelles.

Est-ce important pour vous d’être dans des questionnements thématiques d’aujourd’hui ?

Sans vouloir faire de leçons, nous sommes traversés par les dynamiques de notre temps et essayons d’y répondre de biais. Une des conversations traite ainsi des salons de l’amitié de Natalie Clifford Barney, sous le titre « Paris queer, des salons aux interzones », qui est d’ailleurs un terme provenant de William Burroughs désignant les espaces alternatifs où il se crée du lien social. Nous essayons ainsi d’explorer des nouvelles dynamiques et travaillons aussi beaucoup sur des antagonismes, tels que les galeries versus les institutions ou les musées versus la transgression. Nous interrogeons des questions toujours aussi fascinantes, comme la réception d’une phrase écrite par Arthur Rimbaud, au milieu du 19ème siècle, qui retentit encore dans l’art contemporain…

Depuis la première année, vos conversations ont-elles évolué ?

Elles ont migré géographiquement et nous sommes très heureux d’être accueillis cette année au Petit Palais. Puis, nous avons développé les collaborations, notamment avec agnès b., Le Bicolore – Maison du Danemark pour la performance de Christian Falsnaes et enfin le magazine System, dans l’idée d’étendre les perspectives mais encore les acteurs impliqués. Nous organisons également une performance de Children of Noise, une œuvre collaborative qui réunit Aho Ssan, musicien de musique électronique et acousmatique, et Asia Jiménez à la Maison Ducasse-Baccarat, toujours dans cette volonté de confronter les ors du palais à des choses plus urbaines et plus sauvages. Nous aimons l’idée d’intégrer le vocabulaire et parfois les stéréotypes de la foire dans l’espace de liberté de nos conversations.

Vous donnez l’impression de vous y amuser aussi beaucoup dans ces conversations…

Ce programme nous apporte énormément, notamment dans les rencontres d’artistes ou de commissaires internationaux que nous pouvons faire. Nous venons d’une culture plutôt alternative et sommes toujours fascinés par cette forme d’institution en majesté. Le format d’Art Basel permet des collisions de subjectivités. Il est toujours intéressant d’observer des personnes de géographies et d’horizons différents débattre d’un sujet brulant en attendant ce qui va arriver. Car nous mettons tout en scène : le décor, la thématique, les acteurs… mais on ne sait jamais ce qu’il va en résulter.  C’est ce qui est sublime !

 

Propos recueillis par Marie Maertens

Photos : Jean Picon

 

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