Maurizio Cattelan
J’ai été intrigué par la façon dont le temps modifie la perception des choses
“Bien qu’aucune de mes œuvres ne soit explicitement inspirée par le présent, elles finissent toujours par en parler.”
Les œuvres de Maurizio Cattelan dégagent toujours une aura particulière. Un subtil je-ne-sais-quoi qui passe inaperçu au premier abord, mais qui ne manque jamais de nous surprendre. « Seasons », l’exposition à grande échelle organisée par le GAMeC de Bergame dans le cadre du projet « Thinking Like a Mountain », ne fait pas exception à cette règle. Le format est le suivant : un artiste, quatre lieux et cinq œuvres qui invitent à réfléchir sur le passage du temps. De la sculpture en marbre « Novembre 2023 », exposée dans la solennité gothique du Palazzo della Ragione, à la provocation innocente mais troublante de « One » à la Rotonda dei Mille, chaque œuvre incarne une phase de la vie de l’artiste, transformant son parcours autobiographique en une série de sculptures. Chez Cattelan, le sacré et le profane vont toujours de pair. Ainsi, entre le visage d’un ami disparu et un enfant jouant avec la figure de Garibaldi, « Seasons » se révèle pour ce qu’il est : un requiem tendre et impitoyable sur la fin – et le début – de toute chose.
L’œuvre exposée au GAMeC rappelle beaucoup « Him », une statue controversée d’Hitler à genoux, représenté avec le corps d’un enfant, le regard poignant et les mains jointes en signe de prière. Cependant, ses yeux sont ici dissimulés derrière un sac en papier…
Maurizio Cattelan :
En effet. Dans le cadre d’une exposition en Chine, j’avais initialement prévu de présenter « Him », mais on m’a demandé de lui couvrir le visage pour des raisons de censure. J’ai donc décidé de placer un sac en papier sur la tête. Ce geste a donné naissance à une nouvelle œuvre, que j’ai intitulée « No ». Il s’agit d’une pièce distincte, indépendante de la précédente.
Vient ensuite « Novembre 2023 », une sculpture particulièrement percutante en marbre de Carrare et exposée au Palazzo della Ragione. À qui appartient le visage que vous avez choisi de sculpter et comment est-il lié à la figure du sans-abri ?
Maurizio Cattelan :
Cette œuvre parle de la solitude et de ceux dont on ne remarque pas l’existence. Quant au visage du sans-abri, il appartient à Lucio, l’artisan et ami qui a travaillé sur presque toutes mes œuvres. Lorsqu’il est décédé en novembre 2023, ses deux fils ont repris le flambeau. Lucio aimait passer du temps dans les expositions et c’est ce que je lui offre avec cette œuvre. « Novembre 2023 » est ma façon de lui rendre hommage.
Dans « One », installée à la Rotonda dei Mille à quelques pas du centre de Bergame, on voit un enfant assis à califourchon sur la statue de Garibaldi. Est-ce une provocation, ou bien une hommage ? Comment est née cette réflexion sur la figure du héros et sa signification actuelle ?
Maurizio Cattelan :
Je la laisse ouverte à l’interprétation. Giuseppe Garibaldi, aujourd’hui considéré comme un héros national, était autrefois une figure redoutée, quelqu’un qui inspirait un sentiment de crainte. J’ai été intrigué par la façon dont le temps modifie la perception des choses.
Et qu’en est-il de l’enfant au tee-shirt rouge assis sur ses épaules ?
Maurizio Cattelan :
Ici encore, l’interprétation est libre. D’un côté, l’enfant semble s’appuyer sur les épaules de Garibaldi, comme en quête de protection et d’unité. Mais d’autre part, il semble aussi se moquer de Garibaldi avec son geste de la main. Laquelle de ces deux significations est la vraie ?
Vous dites souvent que vos œuvres n’évoquent pas directement le présent…
Maurizio Cattelan :
Absolument. Bien qu’aucune de mes œuvres ne soit explicitement inspirée par le présent, elles finissent toujours par en parler, c’est inévitable.
Photos: Ludovica Arcero
Propos recueillis par Germano D’Acquisto