Nicolas Ouchenir
L’art au bout des doigts
J’aime quand Madame Prada m’appelle pour me demander une signature unique.
Nicolas Ouchenir est calligraphe, et quand il n’invente pas des identités visuelles pour des maisons de couture, il dessine les portraits de ses muses – Carine Roitfeld, Marie-Agnès Gillot, Jeanne Damas… et les accroche sur les cimaises de Colette. C’est donc pour parler de son exposition, mais pas seulement, que Saywho est parti à la rencontre de l’artisan mondain. Présentation.
Racontez-nous votre parcours en quelques dates clés.
Après des études en école de commerce, je me suis retrouvé en stage au département «fusions acquisitions» chez BNP Paribas. J’ai très vite vu que ce n’était pas mon univers. C’est alors que j’ai ouvert une galerie, située juste derrière l’Académie Française, avec César Pape, un grand collectionneur. Suite à ça, j’ai rencontré Jean-Gabriel Mitterrand, et je suis devenu assistant dans sa galerie. Là-bas, je me suis lié d’amitié avec les «Nouveaux Réalistes», dont Niki de Saint Phalle. À un moment, j’en ai eu marre de Paris, et je suis parti vivre au Brésil pendant un an et demi… Jusqu’à ce que mon amie Pia de Brantes me rappelle, en me disant que j’avais une belle écriture. À la galerie, j’avais développé des invitations à la main, un peu sans y faire attention. Je ne savais pas que c’était un métier, ça s’est fait naturellement.
Diriez-vous que la calligraphie est un métier d’art?
C’est même plus qu’un métier d’art. La calligraphie, c’est de l’art et aussi de la perspective économique. C’est une signature. Une signature, c’est une atmosphère, une identité visuelle. La calligraphie c’est la plus grande des signatures, puisque l’écriture définit la personnalité.
Vous arrive-t-il de faire le pont avec d’autres domaines?
La calligraphie, c’est un peu comme la réalisation, elle utilise tous les domaines. Un réalisateur va utiliser un monteur, un cadreur, un chef opérateur, etc. La calligraphie, c’est pareil. Dès qu’on prend un stylo, c’est pour quelque chose d’important.
Vous travaillez beaucoup avec de grandes maisons de couture, notamment pour leurs invitations aux défilés. Qu’est ce qui vous différencie de vos concurrents?
J’aime beaucoup les calligraphes d’aujourd’hui. Mais ils se limitent souvent à trois ou quatre styles d’écriture, maximum. Moi ce que j’adore, c’est quand Madame Prada m’appelle pour me demander une signature unique. J’invente, pour elle et pour d’autres, des signatures personnalisées. C’est ce qui fait la différence avec mes concurrents, j’aime me faire peur pour créer un univers. Le résultat, c’est que rien qu’avec l’écriture de l’invitation, on sait si ça vient de Miu Miu, Margiela, ou Saint Laurent.
Nicolas Ouchenir a-t-il des muses?
J’en ai une depuis très longtemps, qui m’a mis le pied à l’étrier. C’est la soeur d’Emmanuel de Brantes, Pia de Brantes. Je ne sais pas si elle est une muse, mais elle m’a fait confiance alors que je ne savais même pas que la calligraphie pouvait être un métier et que ça pouvait avoir une valeur ajoutée. Sinon, Jeanne Damas, bien sûr, m’inspire beaucoup, parce qu’elle est loyale et instinctive. Ce sont des qualités communes à tous mes amis, d’ailleurs.
Vous exposez actuellement une série de portraits chez Colette. Pouvez-vous nous en dire plus?
C’est Thomas Erber qui voulait que j’appartienne au Cabinet de Curiosités de Colette. A ce moment précis, j’étais en train de lire «Vendredi» de Michel Tournier, et j’y ai vu la phrase «Fous de désirs, les corps enlacés». Elle correspond totalement à Thomas Erber, qui danse tout le temps et qui aime tout le monde. J’ai barré toutes les phrases qui ne m’intéressaient pas et j’ai fait son portrait comme ça, par rapport à cette phrase. Suite à cette commande pour le Cabinet de Curiosités, Thomas a eu l’idée de faire une collection de portraits. J’en ai donc fait cent, dont les vingt premiers sont exposés chez Colette. Le reste suivra à New York, à Londres et en Afrique Noire.
Votre commande la plus insolite?
On m’a déjà demandé de la calligraphie au sang, ou de tatouer les gens directement! Ou encore de faire des contrats, des lettres d’amour, de divorce… C’est assez varié.
Surveillez-vous votre e-réputation?
Non, je m’en fiche totalement! Je ne surveille qu’une seule chose: de me retrouver dans une situation qui me rende malheureux. Je ne supporte pas de subir. Je me fiche de l’image que j’ai sur Internet, je ne veux juste pas qu’on m’aime trop ou qu’on me déteste trop.
Quelle est votre devise?
C’est une phrase de Pierre Gicquel, qui est très importante pour moi : « Ce n’est pas le feu qui incendie ton corps, c’est l’air, le vent dans l’inconnu qui triomphent ».
Propos receuillis par Sabina Socol.