Laura Gonzalez
Laura Gonzalez : une reine du maximalisme
« L’architecte intérieur aujourd’hui a besoin de courage et de liberté, il doit oser. Et oser c’est mélanger les couleurs, les motifs, les époques, les styles et les influences culturelles. Donc place au maximalisme !«
L’architecte d’intérieur et décoratrice Laura Gonzalez, 39 ans, est connue pour ses projets audacieux. Elle laisse exploser une certaine exubérance à travers des palettes époustouflantes, des métissages, des motifs décoratifs, des textures diverses et des formes arrondies.
Parmi ses commandes impressionnantes figurent des boutiques pour la maison Cartier, le restaurant Dar Mima – Ziryab sur la terrasse de l’Institut du Monde Arabe et le château-hôtel Saint James Paris dans le XVIe arrondissement. L’année dernière, elle a inauguré sa propre galerie sur la Rive Gauche qui met en valeur son amour pour les touches orientales et qui fait preuve de sa défense du design maximaliste.
Son dernier projet est le restaurant libanais, Noura, sur l’avenue Marceau. Avec des arcs brisés ainsi que des carreaux et des textiles produits en collaboration avec le studio de design Bokja basé à Beyrouth, Noura est richement évocateur de l’architecture et de la culture libanaises. Le souci du détail est renforcé par un jeu de couleurs joyeuses comme le pistache, le cumin, le bleu et le jaune.
Vous avez monté votre agence, Pravda Arkitect, à l’âge de 22 ans alors que vous étiez étudiante. Pourquoi avez-vous choisi ce métier ?
Ayant grandi à Paris et [à Cannes] dans le sud de la France, j’ai été constamment entourée de lieux magnifiques, empreints d’histoire et de charme. L’influence culturelle et artistique des monuments, des musées et des paysages sur moi était inévitable. Même les murs de ma chambre, ornés de motifs de Pierre Frey et recouverts de diverses affiches, ont peu à peu éveillé en moi cette attirance pour les choses empreintes de richesse visuelle. Selon moi, cette évolution s’est opérée progressivement, car la créativité finit par devenir instinctive. C’est ainsi que j’ai décidé de suivre des études d’architecture et de fonder ma propre agence dès l’obtention de mon diplôme en 2008. Ce métier représentait et représente toujours pour moi une source de liberté : une liberté de découvrir de nouvelles choses, de puiser dans différentes cultures, d’être constamment ouverte et curieuse pour créer et laisser s’exprimer mon esprit.
Quels architectes d’intérieur et artistes vous ont inspirés ?
Un designer qui m’a inspiré depuis longtemps est Renzo Mongiardino. Le parcours de Mongiardino en tant que scénographe pour le théâtre et le cinéma confère à son travail une impression de grandeur. J’adore ses intérieurs luxuriants avec leurs finitions en trompe-l’œil, leurs antiquités de qualité muséale, leurs tissus somptueux et leur théâtralité captivante. Par ailleurs, j’ai toujours admiré la célèbre designer d’intérieur française Madeleine Castaing. C’était une femme forte qui n’avait pas peur d’être éclectique dans ses choix artistiques et qui sélectionnait avec soin les objets qu’elle utilisait pour décorer les maisons. Elle aimait dire qu’elle construisait des maisons comme d’autres écrivent des poèmes, et j’adore cette philosophie lorsqu’il s’agit de design. Il y a aussi la décoratrice américaine Dorothy Draper ou l’architecte italien Carlo Scarpa et plein d’artistes, comme Hilma af Klimt, la peintre suédoise, et Jean Cocteau.
Votre premier grand projet était la rénovation de la boîte de nuit, le Bus Palladium, en 2010. Par la suite, l’agence a commencé de changer l’échelle. Pouvez-vous nous parler un peu de cette évolution ?
Justement, le Bus Palladium était la première fois où j’ai pu montrer mon style bohème et mon amour pour le mélange des motifs et des textures. J’y ai installé des meubles chinés et des papiers peints que j’ai apporté de Londres. J’adore utiliser des pièces chinées donc c’est quelque chose que je souhaite garder dans mon travail quand je peux me le permettre. Mais en effet, après le Bus Palladium j’ai commencé à avoir des projets plus importants, notamment les boutiques Cartier à travers le monde ou des hôtels comme le Relais Christine, le Saint James Paris et des restaurants comme le Dar Mima et récemment Noura.
Quelle nouvelle identité visuelle cherchiez-vous à donner à Noura ?
L’idée était de créer une combinaison harmonieuse entre l’authenticité de la cuisine libanaise et une esthétique contemporaine. Dans l’ensemble, j’ai voulu mettre en évidence ce que je ressentais déjà à chaque fois que j’allais chez Noura : un endroit accueillant, exotique et essentiellement oriental. Il fallait que tous ces sentiments ressortent visuellement, la raison pour laquelle j’ai choisi une palette de couleurs significative. J’ai travaillé sur la mise en valeur des matériaux traditionnels tels que le bois, la pierre et les carreaux de céramique en les combinant avec des lignes épurées et des détails raffinés. Le but était de refléter la chaleur et la convivialité de la culture libanaise, tout en apportant une touche de modernité et de sophistication. Le point de départ était de capturer l’essence de l’architecture orientale avec les éléments distinctifs tels que les niches en arc brisé et les corniches mauresques. Chaque zone a été pensée pour raconter un genre narratif différent, contribuant ainsi à créer une atmosphère riche et captivante.
Vous avez découvert des clichés sépia de vieux cafés d’un Beyrouth de l’avant-guerre civile. Pouvez-vous élaborer sur ce que vous vouliez transmettre de la culture libanaise dans cette période ?
Cette période emblématique est un moment nostalgique doux-amer pour le peuple libanais et les habitants du Moyen Orient en général. J’ai alors voulu donner le sentiment d’un voyage dans le temps pour les visiteurs de cette brasserie, une manière de s’échapper quelques heures et de se retrouver dans une bulle réconfortante hors du temps.
Connaissez-vous bien le Liban ?
Je ne connais pas le Liban aussi bien que je l’aurais souhaité. J’y suis allée avant l’explosion au port de Beyrouth en 2020 et quand j’étais jeune avec mes parents. J’adore la culture libanaise et Beyrouth qui a été pour moi le Paris du Moyen-Orient. L’explosion m’a profondément touchée. J’ai beaucoup d’amis Libanais, dont Paul le patron de Noura, et je voulais rendre hommage à ce pays à travers mon travail.
Comment définiriez-vous votre style esthétique ?
Mon style esthétique je le définis surtout comme éclectique et audacieux. J’aime m’approprier chaque projet pour y mettre ma touche personnelle; c’est-à-dire le mélange de motifs et de couleurs. Pour Dar Mima comme pour Noura, le côté méditerranéen de mon style et mes inspirations ressortent évidemment. Mon héritage oriental [ayant un père qui est un Pied-Noir] me guide plus ou moins selon les projets. J’adore les couleurs chaleureuses, jouer avec la lumière, les motifs géométriques et surtout faire ressentir une ambiance accueillante et chaleureuse.
L’architecture intérieure a besoin de quoi aujourd’hui, à vos yeux ? Pourquoi le retour au maximalisme ?
L’architecte intérieur aujourd’hui a besoin de courage et de liberté, il doit oser. Et oser c’est mélanger les couleurs, les motifs, les époques, les styles et les influences culturelles. Donc place au maximalisme ! On a besoin d’un équilibre entre éclectisme, esthétique et expression émotionnelle. Les espaces intérieurs doivent être conçus pour répondre aux besoins d’environnements visuellement stimulants et inspirants.
Le retour au maximalisme s’explique par le besoin de créer des intérieurs qui se démarquent et qui suscitent des émotions fortes. Le minimalisme offrait la simplicité, la fonctionnalité et la sobriété, là où le maximalisme offre une approche plus audacieuse, où les textures riches, les couleurs vibrantes et les motifs exubérants prennent place. Cela permet de s’exprimer de manière créative et de jouer avec les éléments décoratifs, en apportant sa personnalité aux espaces intérieurs.
La pandémie de Covid-19, a-t-elle changé votre philosophie ?
Je dirais qu’elle m’a surtout libérée. Je me suis justement lancée dans la conception de l’Hôtel Saint-James pendant le confinement. Quelle expérience ! Les gens avaient besoin de couleurs, de joie de vivre après cette période. Et mon travail maximaliste rempli de couleurs et de motifs différents m’a permis de redonner de la gaieté dans le quotidien de certains Français.
Sur quels autres projets travaillez-vous actuellement ?
Je travaille actuellement sur plus de 40 projets, notamment le décor d’un nouvel hôtel dans la rue du 4 Septembre à Paris qui sera inspiré de la culture japonaise. Le projet le plus fou que je suis en train de réaliser est un énorme concept store dans Le Printemps à New York. De nombreux projets aussi avec Cartier à Miami, Hawaï, Tokyo et Paris. Les projets Cartier sont un terrain de jeu incroyable, où je peux laisser libre cours à mon imagination tout en respectant l’ADN de la maison.
Vous avez dit que votre rêve serait de faire un musée.
C’est un projet que j’ai toujours eu en tête et j’adorerais le faire avant mes 50 ans.
Quelles sont vos autres ambitions ?
Mes ambitions sont toujours les mêmes : créer et inspirer et rester toujours en phase avec moi-même et mon style, tout en étant intemporelle. Je suis toujours occupée puisque j’aime travailler sur plein de projets en même temps, cuisiner et m’occuper de mes enfants.
Vos conseils pour un jeune architecte d’intérieur ?
Le savoir-faire du dessin est essentiel. J’encourage toujours mes collaborateurs à dessiner abondamment et d’ouvrir grand les yeux et contempler tout ce qui les entoure. Je considère que c’est véritablement l’aspect le plus essentiel de l’architecture : cela permet de former l’œil, de trouver l’inspiration et de communiquer dans le cadre du travail. Sinon, il faut utiliser de la couleur et surtout pas en avoir peur. Beaucoup de gens craignent de mélanger les couleurs et de commettre une faute de goût mais il faut suivre son intuition car elle est souvent juste.
Propos recueillis par Anna Sansom
Photos : Matthieu Salvaing, Philippe Garcia, Romain Ricard et Fabrice Fouillet