Jean Gaumy
Le photographe qui convoque le sublime et l’ordinaire
« C’est chez ce maître de la couleur qu’était Monet que j’ai voulu exposer ma vision en noir et blanc de son jardin »
Le photographe, académicien, légende du photojournalisme, pilier de l’agence Magnum, a posé son appareil à Giverny où il sillonne parmi les parterres, en semi résidence. A l’endroit où Monet a mis la couleur à l’honneur, il photographie ce jardin éblouissant de beauté, exclusivement en noir et blanc. Nous l’avons rencontré à l’occasion de la sortie de son livre.
Qui êtes-vous, Jean Gaumy ?
Jean Gaumy :
Parler de moi, c’est pas ce que je préfère ! Ma timidité d’adolescent ne m’a jamais complètement quitté ! Je suis né en 1948 et je m’initie en parallèle de mes études de lettres au photojournalisme. En 1973, à l’invitation de Raymond Depardon, je rejoins l’agence Gamma, puis j’intègre Magnum 4 ans plus tard. Aujourd’hui encore associé, je continue de contribuer au fond photo de l’agence. A la même époque, je décide de me pencher sur des huis clos à peine documentés, tels que les hôpitaux ou les prisons. Puis mes travaux vont me conduire en mer, ma grande passion. J’embarque sur les chalutiers de mer du Nord pour témoigner de la rigueur et de la beauté des pêcheurs. Mon ouvrage “Le Livre des tempêtes” me vaudra un premier prix Nadar en 2001, puis un autre ouvrage, “D’après nature” un second en 2010. Je suis nommé à l’académie des Beaux Arts en 2016 mais je continue inlassablement de photographier. Avec une particularité, je refuse de retoucher mes photos. Au mieux je corrige l’exposition, ou je recadre, mais je ne veux pas travestir le réel. Encore moins avec l’IA…

Quelle fascination avez vous pour l’eau ?
Jean Gaumy :
C’est la mer qui m’a prise. Une matière vivante et vibrante qui n’a jamais cessé de m’intriguer, à sa surface comme en profondeur. A force de la documenter je suis devenu POM ! Ce titre de Peintre Officiel de la Marine m’a été décerné par le ministre français de la Défense, il vise des artistes ayant consacré leur talent à la mer, à la Marine nationale et aux gens de mer. Il peut être attribué non seulement à des peintres mais également à des photographes, des cinéastes, des illustrateurs, des graveurs et des sculpteurs. L’eau ne se tait jamais. Même ici à Giverny, sous la paisible surface de cet étang, il se passe mille choses qui me fascinent. J’ai toujours aimé le mauvais temps. Rien de plus beau qu’une tempête. Les nuages noirs forment toujours la promesse d’une photo réussie selon moi. Lorsqu’il pleut fort, si je m’abrite, c’est près d’une vitre pour assister au ruissellement. Je fais volontiers des photos à moitié immergé. Un entre-deux qui laisse place à l’imprévu.
C’est pour cela qu’on croise toujours de l’eau dans vos photographies ?
Jean Gaumy :
L’eau est un formidable agitateur. Dans la quiétude d’un jardin aussi flamboyant que celui-ci, où des milliers de touristes photographient chaque jour les fleurs sous un ciel bleu de carte postale, il n’y a que les jours où le ciel menace que je sors mon appareil. Avec parcimonie. J’ai grandi à une époque où la photo était précieuse. La prise de vue et le développement faisaient que vous n’aviez le résultat qu’à la toute fin. Lorsque je photographie, y compris aujourd’hui avec mon iPhone, je ne mitraille pas. J’attends que quelque chose se produise devant moi. Il faut que ça fermente. J’observe alors quelque chose qui m’intrigue, des heures durant, jusqu’à ce que mon cerveau fasse la construction de cette photo à venir. Une fois que j’en suis convaincu, alors je sors mon appareil, choisis le cadre. Je fais la photo en couleur et je la passe en noir et blanc. J’attends un peu, je la regarde à nouveau. Puis je reviens dessus le jour suivant, je conjecture. Si je reste convaincu, alors je la conserve.

N’est ce pas paradoxal de choisir le plus coloré des jardins pour exposer des noirs et blancs ?
Jean Gaumy :
Je n’allais tout de même pas traiter la couleur dans le jardin du peintre qui a révélé la couleur. Dans sa maison, même les murs sont multicolores. Monet habitait, respirait la couleur. Devant ce parangon chromatique, il me semblait plus intéressant de travailler sans. Ou plutôt, de laisser à chacun le soin d’imaginer ce qui se cache derrière ces 50 nuances de gris. D’instinct, j’ai vite compris l’intérêt de ce fouillis végétal. Mais j’avais besoin de temps pour me l’approprier. J’avance comme un funambule. Tout au long de ma carrière, je me suis laissé surprendre par la vie. Et lorsque ce que je voyais me séduisait, m’intriguait, en un instant, je me décidais à prendre la photo. Mais je reste hanté par toutes celles que je n’ai pas prise. Sur les théâtres de guerre ou durant les tempêtes comme seules les mers du Nord savent les fomenter, aux antipodes de ce jardin paisible, tout se faisait sur l’instant. Et lorsque je n’ai pas su me décider assez vite, je manquais un cliché. Et rien ne pouvait me faire revenir en arrière. Le photographe, c’est ce type qui toute sa vie va s’interroger aussi sur ces photos qu’il n’a pas faites.
Parlez vous d’Une Certaine Nature ?
Jean Gaumy :
C’est le livre qui résume sept années de prises de vues dans les jardins de Giverny, et entièrement réalisé à l’iPhone. Je voulais montrer que chacun a la possibilité de réaliser de belles photos, publiable, dès lors qu’il apprend non seulement à maîtriser son outil mais qu’en plus, il prend le temps de choisir son cadre pour alimenter un récit. Je n’aime pas les photos gratuites. Il faut qu’elles disent quelque chose de vous, qu’elle révèle ce qui bruit au fond de nous . Dans ce livre produit par la petite maison d’édition parisienne EXB, je voulais montrer que la beauté est ailleurs quand dans la béatitude d’un colorama. Or en arrivant de ce jardin, c’est la première chose qui saute au regard. Il fallait passer de l’autre côté. C’est ce que j’ai fait, il me semble.
Propos recueillis par Nicolas Salomon
Photo : courtesy of Jean Gaumy




