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15.11.2023 #art

Rachid Ouramdane

Le regard de Rachid Ouramdane sur le patrimoine et l’avenir de Chaillot – Théâtre national de la Danse

« Les « Chaillot Expérience » sont un précipité de tout ce que peut offrir Chaillot »

Né en 1971 à Nîmes, il rencontre la danse à 12 ans sous forme de hip hop. De cette culture urbaine, il retiendra la notion d’engagement d’un art dans les lieux publics donnant un autre visage aux barres HLM dans lesquelles il grandit. Se construisant artistiquement entre l’école de la vie et l’école de l’art, Rachid Ouramdane maintient une articulation et une tension constantes entre la dimension autobiographique, les réflexions esthétiques et les sujets de société. 

En 2021, il est nommé directeur de Chaillot. Alors que les Chaillots expériences rencontrent un franc succès et à l’aune du huitième opus, nous l’avons rencontré pour qu’il nous parle non seulement de ce projet ambitieux, mais aussi de Chaillot, ce monument de l’histoire contemporaine parfois méconnu.

L’histoire du théâtre de Chaillot est méconnue et pourtant s’y sont déroulés d’incroyables évènements. Parlez-nous de ce lieu mythique.

Le théâtre de Chaillot a été construit à l’occasion d’une exposition universelle qui tentait de faire la démonstration que l’art et la technique peuvent converger et faire en sorte que le beau et l’utile soient intimement liés.L’exposition de 1937 avait aussi pour vocation de promouvoir la paix dans un moment de forte tension géopolitique. Des symboles de paix et de rassemblement des nations, il y en a eu d’autres dans l’histoire de ce lieu où fut adoptée après-guerre la Déclaration universelle des droits de l’homme.Cette place iconique de Paris accueille des millions de touristes du monde entier qui viennent contempler la tour Eiffel et qui ne savent pas toujours qu’ils se trouvent sur le parvis des droits de l’homme. Cette place est le toit du théâtre, la place d’où Nelson Mandela voulut prendre la parole lors de sa visite à Paris ainsi que bien d’autres personnalités incarnant la défense des droits. C’est un théâtre qui tout au long de son histoire, a inventé comment faire plus de place à la création et à plus de justice sociale, un lieu qui a vu la naissance du théâtre populaire. Firmin Gémier et Jean Vilar sont les pères fondateurs du théâtre populaire, grande et magnifique idée démocratique.Nous sommes toujours dans l’héritage de démocratisation culturelle que ces pionniers ont structuré et dont tous les lieux d’art vivant se prévalent.

Les plus grands artistes internationaux du théâtre et de la danse se sont produits à Chaillot : Jean Vilar, Antoine Vitez, Bob Wilson, Maurice Béjart, Tadeusz Kantor, Claude Régy, Patrice Chéreau, Ivo Van Hove, William Forsythe, Trisha Brown, José Montalvo-Dominique Hervieu, Alonzo King, Découflé, Rocio Molina, Ohad Naharin, Angelin Preljocaj, Crystal Pite, (LA)Horde. Un lieu remarquable où ont défilé les plus grands créateurs : Chloé, Armani Privé, Agnès B, Balmain…

Si son histoire est riche, le théâtre n’en reste pas moins tourné vers l’avenir, notamment au travers de ces fameuses Chaillot expérience, et de ce qu’elles induisent. De quoi s’agit-il ? 

Les Chaillot Expérience sont un précipité de tout ce que peut offrir Chaillot. On connaît ce théâtre pour ses salles, sa programmation mais j’ai toujours pensé que l’éloquence de son architecture intérieure et extérieure propose un formidable écrin pour les artistes. Une fois par mois Chaillot-Théâtre national de la Danse propose un concentré de l’univers d’un créateur qui vient partager ses spectacles mais aussi faire des propositions à d’autres artistes qui constituent sa constellation artistique, des références, des gens auxquels il souhaite rendre hommage. C’est aussi l’occasion de faire découvrir la scène de tout un territoire, un écosystème artistique comme nous le ferons dans les prochaines éditions autour de la création algérienne, autant locale que diasporique. Un prochain Chaillot Expérience sera consacré à des artistes « transatlantique » et inspiré de la culture américaine, son héritage postmoderne, ses mouvements de contre-culture, ses paysages. Suivra un Chaillot Expérience dédié à la scène australienne, puis les Caraïbes, le Rwanda…

À chaque fois, c’est une immersion dans ces environnements de création dont nous partageons des spectacles, des concerts, des films, des ateliers pour le public. À titre d’exemple « Algérie, ici et maintenant » co-programmé avec Nacera Belaza et présenté à Chaillot jusqu’au 19 novembre, offre aux publics une programmation foisonnante : Acid Arab en musique électro, la chorégraphe Nacera Belaza, Nime dessinateur de presse, la réalisatrice Sofia Djama, les autrices Samira Negrouche et Lina Soualem, l’auteur Kamel Daoud, la designer Hania Zazoua, les rappeurs TIF et Danyl…

Le lieu connaît d’importants travaux de rénovations. Que nous promet demain ?

C’est toujours une expérience particulière de déambuler dans l’architecture Art Déco du théâtre avec ses fresques et l’époustouflante vue sur la tour Eiffel depuis le Foyer de la danse. Aujourd’hui nous pouvons profiter de la salle Gémier, la salle Béjart et des différentes espaces de Chaillot. À la fin des travaux de rénovation de la grande salle, nous disposerons de l’un des plus grands plateaux de danse sur de la place parisienne doté des techniques de la scène les plus récentes. Le théâtre disposera de 5 studios de répétition dont un aux mêmes dimensions que le plateau de la grande salle. Ces espaces, orchestrés par les équipes de Chaillot, feront de ce lieu une fabrique de la danse comme il en existe peu. Un voisinage d’artistes en recherche, en création, qui donnent des ateliers, à qui transmettent à de plus jeunes artistes, et qui présentent leurs spectacles.

Je suis convaincu qu’il nous faut créer les conditions de rassemblement de la scène chorégraphique car c’est dans ces échanges, ces rencontres, que la danse s’invente et s’élargit. Ce nouveau lieu sera l’espace rêver pour rassembler des créateurs de danse et concevoir des spectacles à vivre in-situ, en numérique ou en phygital. Un lieu de convergence de tous ces mondes de la danse pouvant s’adresser au public dans toute sa diversité. Cette saison déjà nous accueillons des œuvres classées au patrimoine immatériel de l’Unesco, autant que des artistes queers, des danses urbaines, des artistes néoclassiques, des grands ballets internationaux autant que des artistes émergents. Je crois en la diversité de cette communauté de la danse pour nous ouvrir à un monde en perpétuelle évolution et pour nous offrir des voies afin d’en appréhender la complexité. Cette nouvelle salle permettra de prolonger cette approche à très grande échelle.

 

 

Propos recueillis par Nicolas Salomon

Photos : Michael Huard

 

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