28.02.2025 Paris #cinéma

Raya Martigny

Mannequin, actrice et militante

« Personne ne peut deviner ce dont vous avez besoin, alors n’hésitez pas à le manifester, avec respect et générosité. »

Depuis plusieurs années déjà, Raya Martigny bouscule les codes de la mode et de la représentation. Originaire de La Réunion, elle s’est imposée sur les podiums parisiens et du monde entier, et apparaît dans les campagnes des plus grandes marques. Le temps d’un entretien, elle nous a parlé de son parcours et de ses projets.

Mannequin, actrice, figure queer et militante, et source d’inspiration pour beaucoup : comment parviens-tu à jongler entre toutes ces différentes casquettes ?

RAYA MARTIGNY :

Je suis très fidèle à mes idées et à mes rêves. Tout évolue en permanence, mais rien ne change de façon radicale. Avec le temps, j’ai appris à gérer ces différentes facettes de ma vie. Certaines sont des passions, d’autres se sont imposées à moi. Il y a tellement de choses essentielles à apprendre et à transmettre. Quand je ressens que c’est le moment de partager, de créer, de donner et de recevoir, il y quelque chose en moi qui s’éveille —et alors, je fonce.

Queen Size, le court métrage d’Avril Besson dans lequel tu incarnes Marina, une femme sur le point de rentrer à La Réunion, est nommé aux César dans la catégorie Meilleur Film de Court Métrage de Fiction. Peux-tu nous parler un peu plus de cette aventure ?

RAYA MARTIGNY :

Avril est une réalisatrice incroyable, elle est très drôle et à une sensibilité qui transparaît totalement dans son film. Queen Size lui ressemble beaucoup. Avec India (Hair), on ne se connaissait presque pas avant le tournage, on ne s’était rencontrées qu’une seule fois. Mais on était toutes les deux super enthousiastes à l’idée d’apprendre à se découvrir à travers cette expérience.

 

Le tournage était fou ! Porter un matelas dans les rues de Paris avec une quasi-inconnue, c’est complètement le genre de défi absurde que j’aurais pu relever dans la vraie vie. J’adore les challenges inattendus. Le fait d’avoir une contrainte physique à gérer a aussi facilité le jeu : on galérait ensemble, et ça a créé un vrai lien, des moments de complicité sincères et des souvenirs inoubliables.

Charlie et Marina semblent être deux personnes que tout oppose, et pourtant, ce duo improbable finit par fonctionner. Qu’est-ce qui t’a plu ou marqué dans leur relation ?

RAYA MARTIGNY :

Je ne pense pas que tout les oppose. Au contraire, ce qui les unit, c’est qu’elles traversent toutes les deux une épreuve. Marina fait le deuil de sa vie à Paris, tandis que Charlie vient de perdre sa grand-mère. Elles ont ce besoin commun de partager leurs émotions, d’être accompagnées, de ne pas se sentir seules dans ce moment de transition. Elles n’attendent pas la même chose de la vie, mais peut-être simplement parce qu’elles n’imaginent pas qu’elle puisse être vécue autrement. Leur rencontre leur permet, d’une certaine manière, d’élargir leurs horizons.

On ne peut s’empêcher de remarquer un très fort parallèle entre Marina et Raya. À quel point êtes-vous similaires ou différentes ?

RAYA MARTIGNY :

Il y a plein d’autres facettes du personnage de Marina qui pourront être développées dans le long-métrage. Mais déjà dans le court, je me retrouve beaucoup en elle. Avril s’est inspirée d’une amie pour écrire ce rôle, et j’ai hâte de la rencontrer. Comme Marina, je suis ultra-sensible et extrêmement empathique. J’aime rendre service, j’ai un côté sauvage et farouche, j’adore l’aventure. Je suis une battante, et surtout, j’aime profondément la vie. Ah, et un autre point commun : si tu m’invites chez toi, j’arrive avec toutes mes affaires… et je reste trois jours !

Ton île natale, La Réunion, est un espace où la visibilité LGBTQIA+ est encore en construction, et pour laquelle tu agis en tant que marraine au sein de l’association Requeer. Peux-tu nous parler du travail de l’association et de ton rôle ?

RAYA MARTIGNY :

Le travail de l’association Requeer est essentiel. Grâce à elle, l’océan Indien a aujourd’hui son tout premier centre LGBTQIA+, situé à Saint-Denis de La Réunion. Depuis quatre ans, des événements comme la Marche des Visibilités, des balls de voguing, des espaces de rassemblement, des talks et des expositions ont été mis en place pour permettre à toute la communauté de s’épanouir sur l’île. J’y vais chaque année pour développer des projets avec eux et réfléchir à la manière dont nous pouvons continuer d’amplifier nos existences. Avec mon amoureux, nous travaillons depuis plus de quatre ans sur « Kwir Nou Éxist », un projet d’archivage photographique et de recherche sur l’histoire des personnes queer et créoles à La Réunion. C’est la première initiative du genre sur l’île, et nous espérons qu’elle inspirera d’autres territoires insulaires à faire de même. Cette année, l’exposition voyagera entre La Réunion, Paris, Rio de Janeiro et São Paulo, et on en est très fiers !

Ton parcours est sans aucun doute devenu une source d’inspiration. À toutes ces personnes queer, réunionnaises ou d’ailleurs, quels sont tes conseils ?

RAYA MARTIGNY :

Faites les choses en grand, même avec peu de moyens. Travaillez ensemble, échangez, demandez des conseils. Personne ne peut deviner ce dont vous avez besoin, alors n’hésitez pas à le manifester, avec respect et générosité. La recette est différente pour chaque personne. Ne pas se sentir comme tout le monde est une force. Apprenez à vous ressentir, à vous connecter à vous-même, et à créer un monde imaginaire dans lequel les autres pourront venir se nourrir.

Tu as défilé lors de la cérémonie d’ouverture des JO de Paris 2024, dans une combinaison imaginée par Gilles Asquin. Être sur cette scène, en tant que femme trans et aux côtés de tant d’autres figures queer, a forcément une résonance forte. Qu’as-tu ressenti en représentant cette visibilité sur une scène aussi mondiale ?

RAYA MARTIGNY :

Enfant, je n’ai jamais vraiment regardé la cérémonie d’ouverture des JO. C’était comme un dimanche ma valise était prête pour la Grèce, mon avion m’attendait à 2h du matin, et la cérémonie se terminait autour de minuit.  J’avais qu’une chose en tête : finir ma mission en beauté et partir en vacances. J’étais dans un état d’esprit serein. On avait soigneusement préparé le look avec Gilles et mon équipe de chez GO-SEE. C’était un moment fort, mais sur l’instant, je ne réalisais pas totalement son importance. 

 

Ce n’est qu’après que j’ai mesuré son impact. Un ami à moi n’avait jamais osé parler de son homosexualité à ses parents. Son père, déjà âgé, ne l’aurait probablement jamais su si la joie de me voir à la télévision ne l’avait pas bouleversé. Il a ressenti le bonheur de son fils si intensément qu’ils ont enfin pu en parler. Depuis, il vit sans mystère, sans honte, sans rien à cacher. Et rien que pour ça, ça en valait la peine.

On a tous des modèles qui nous portent, parfois célèbres, parfois discrets mais essentiels. Qui sont les personnes, proches ou icônes, qui t’ont inspirée et aidée à te construire ?

RAYA MARTIGNY :

Ma maman, c’est la plus belle femme du monde. Mon amoureux, qui me soutient chaque jour. Et puis il y a ceux qui m’ont touchée, inspirée, guidée, dont je suis amoureuse d’une certaine façon : Honey Dijon, Stefano Pilati, Sophie, Mathias Garcia, Hans Bellmer, et bien d’autres encore. Je porte un petit bout d’eux avec moi, chaque jour.

Après avoir conquis le monde de la mode, tu te diriges vers une carrière dans le cinéma qui s’annonce pleine de succès. Où te vois-tu dans quelques années ? As-tu des projets futurs ou collaborations prochaines dont tu aimerais nous parler ?

RAYA MARTIGNY :

J’ai envie d’apprendre, de voyager, d’écrire, de faire des films. Beaucoup de projets se dessinent pour les prochaines années, mais vous en parler maintenant, ce serait vous gâcher la surprise…

À quelques jours de la Fashion Week Fall-Winter 25-26, si tu devais revivre un défilé ou un instant précis d’une précédente saison, lequel serait-ce et pourquoi ?

RAYA MARTIGNY :

Je parle toujours du même souvenir, mais c’était un moment si marquant : le dernier show de Jean Paul Gaultier avant sa retraite. C’était le défilé dont j’avais rêvé depuis mes 10 ans, une célébration de la mode, de la liberté, du spectacle.

 

Mais il y a aussi ces rencontres qui restent gravées… Comme celle avec Debra Shaw. Elle était assise, elle m’a regardé de haut en bas et m’a lancé : « I can’t believe they found someone with legs longer than mine. » (Je n’arrive pas à croire qu’ils aient trouvé quelqu’un avec des jambes plus longues que les miennes.) Depuis, on est amies, et c’est une femme d’une gentillesse infinie. Ou encore quand Naomi Campbell m’a demandé d’ouvrir son défilé à New York parce que, selon elle, j’étais la seule avec un walk assez puissant pour une ouverture. Désolée pour vous, les filles, c’est ce qu’elle a dit…

Tu entretiens un lien fort avec la maison Courrèges, dont tu portes souvent les créations, et avec son directeur artistique, Nicolas Di Felice. Qu’est-ce qui te touche particulièrement dans sa vision et son travail ?

RAYA MARTIGNY :

Je suis touchée par son talent, sa loyauté, sa générosité. Il ne fait pas les choses comme les autres. Il fait travailler ses amis, il fait danser celles et ceux qu’il aime, il est cool ! Il est resté fidèle à ses valeurs, et c’est un élément central de son travail. Tout est très organique. Pour moi, c’est l’un des succès les plus agréables à observer dans toute l’industrie de la mode.

 

 

 

 

 

Propos recueillis par Say Who

Photos : Alex Black, Erik Cesla, Jacqueline Landvik

 

 

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