Marc-Olivier Wahler
Marc-O, comme l’appelle ses intimes, prouve qu’on peut être Suisse et rock à la fois, directeur d’un des musées d’art contemporain les plus pop tout en étant d’une exigence extrême, être débordé et accorder un temps de cerveau disponible illimité à ceux qui l’approchent. L’art du grand écart, en somme.
Pour vous la vie et l’art semblent tellement confondus, vous donnez l’impression d’avoir un tel attachement à la culture populaire, où se situe la frontière ?
La frontière est dans la tête. Visuellement, rien ne distingue un objet ordinaire d’une œuvre d’art. Le « readymade » de Duchamp l’a démontré une fois pour toutes. Ou Rachel dans Blade Runner, rien ne distingue l’être humain du replicant. La différence, c’est la transfiguration, c’est-à-dire le mode d’interprétation. L’art est une hygiène de l’esprit, pour moi. Il permet de voir le quotidien de manière plus aiguë.
Qu’est-ce qui fait qu’on entre au Palais de Tokyo ?
Le Palais de Tokyo est un monde parallèle. Comme le Canada Dry, ça ressemble au monde, cela en a le goût, etc, mais il y a un plus. Soit, la faculté d’aborder les choses avec un angle nouveau, que nous créons et découvrons à chaque fois, au travers des expositions et du reste du dispositif.
Quand Jérôme Sans et Nicolas Bourriaud sont partis, ils ont dit, dans leur discours d’adieux, « avoir l’impression de quitter un avion en plein vol ». On a l’impression que vous avez transformé cet avion en navette spatiale. Quel est votre sentiment à cet égard ?
L’avion, avec le décollage et l’atterrissage dépend de la gravité, alors que la navette lévite. A cet égard, « Fresh Hell » montre comment les artistes ont créé des objets qui flottent. L’œuvre d’art a son propre centre de gravité, sa propre densité. J’aime l’idée de cette navette car la vitesse de la lumière est aussi celle de connexion des neurones, soit celle de la création d’une œuvre d’art.
Avez-vous une ligne directrice, un scénario… Un plan quinquennal ?
Je n’ai pas de plan pour le futur. Une exposition en amène une autre, et je ne vois le sens qu’avec le recul. 5 Milliards d’Années a montré qu’il n’y avait pas de poitn fixe dans l’espace, l’exposition de Loris Gréaud les limites du visible et Chasing Napoléon a fait sortir du spectre lumineux. Comme dans Le Prestige, il y a trois niveaux dans tout acte, magique ou non : the pledge, the turn et the prestige. C’est ce que je souhaite pour 2011. L’important pour moi, c’est de passer par les marges. J’applique à l’art le conseil d’Umberto Eco : « pour parler de sémiologie, parlons de tout sauf de sémiologie ».
Vous faites un peu penser à David Lynch, à la fois de par votre univers et votre rapport à la fragmentation. Quel est votre rapport à lui ? Au cinéma en général ?
J’aimais le David Lynch de Blue Velvet, mais depuis 15 ans, il a perdu de l’intérêt à mes yeux. C’est un très mauvais peintre ! Mais, j’ai beaucoup d’admiration pour lui d’avoir réussi à donner forme à ses obsessions dans le système hollywoodien. Ce que j’aime surtout, c’est qu’il ne cherche pas à expliquer. En cela, il est génial. Sinon pour moi, le réalisateur indépassable, c’est Terence Malik. Mais, pour moi, l’art et le cinéma n’ont pas grand-chose à voir, finalement. Un film a un début et une fin, on s’assoit, on est passif, et l’économie de moyens est absurde. L’exposition est le seul medium qui se traverse et qui n’a pas de temporalité. C’est elle qui la crée, et dans un mode circulaire.
Plus qu’un commissaire d’exposition, un directeur, vous avez un vrai talent de metteur en scène. Comment travaillez-vous cet aspect ? En jouez-vous vraiment en conscience ?
L’idée est de ne surtout pas faire de mise en scène ! Le lieu crée l’exposition, dicte ses conditions. Ce qui compte, c’est comment le visiteur fait physiquement l’expérience de l’espace. Un même espace peut procurer plusieurs expériences physiques, dans la même exposition ou de l’une à l’autre.
Parlez-nous de la nouvelle exposition « Carte Blanche à Adam Mc Ewen, Fresh Hell ». Quel est le propos ?
Quand on donne carte blanche, on laisse trois mois à l’artiste pour faire ce qu’il veut. L’idée est presque de scanner son cerveau. Jamais aucun curateur ne pourrait inventer ces expositions. C’est l’exposition que l’artiste a dans la tête, sa manière de créer, de réagir au quotidien.
Pourquoi Mc Ewen ? Existe-t-il un lien entre Jeremy Deller, Ugo Rondinone et lui ?
Il n’y a pas de système, je ne savais pas qu’Adam et Ugo se connaissaient ! En fait, ils sont liés tous les trois, mais entre eux.
Vous avez un vrai attachement à la culture rock. Quelle est votre vision de la fête au Palais de Tokyo ? A Paris ?
Je trouve qu’il n’y a pas assez d’endroits à Paris, alors qu’à New-York, ça pullule. Ici, à 23h30, la police arrive. On essaie de trouver des solutions, mais ce n’est pas évident. Paris, pour moi, meurt de son embourgeoisement. Heureusement, il y a une nouvelle génération d’artistes avec une énergie énorme… Mais ils vont faire la fête à Berlin. Ici, la culture du DJ est très référentielle, cela laisse moins place au dérapage, c’est dommage.
Quelle implication avez-vous dans la friche du – 1 ? Que va-t-il en advenir, en définitive ?
En mars 2012, on va ouvrir 12000 m2, c’est une démultiplication de l’espace conséquente. Il y aura aussi des expositions, des boutiques, et même un spa ! Sans compter un photomaton japonais et un espace pour faire la fête, où l’on pourra enfin mettre la musique à fond. Tout est pensé/repensé avec les artistes.
Comment envisagez-vous votre avenir artistique ?
Le Palais de Tokyo est un outil formidable. Le challenge est de s’agrandir tout en conservant son identité. Je souhaite mettre en place le « châlet de Tokyo », soit des programmations hors-les-murs. L’idée est de mettre en contact des artistes éloignés des grands hubs. Le châlet doit agir comme un élastique pour relier les artistes. A titre personnel, je n’ai pas de plan pour le futur. Je souhaite juste être en prise avec le présent, tout en réussissant à mettre en perspective pour analyser et tirer profit de mon expérience.
Personne n’a jamais vraiment compris ce que représentait le grand compteur à l’entrée… Vous nous éclairez ?
C’est une œuvre de Gianni Motti, installée dès l’ouverture, pour l’exposition 5 Milliards d’années. Elle représente la bombe ultime. C’est un « count-down » sur 5 milliards d’années, car à ce moment-là le soleil explosera. Ce qui est intéressant au plus haut point c’est que ce compte à rebours fonctionne à l’énergie solaire, soit sa propre énergie destructrice, et ne connaît jamais de point fixe. C’est fascinant.
Propos recueillis par Florence Valencourt
Photo crédit : Francis Vernhet
Palais de Tokyo site de création contemporaine
13, avenue du Président Wilson à PARIS
En ce moment : Fresh Hell Carte blanche à Adam McEwen. Jusqu’au 16 janvier 2011