Nicolas Bourriaud
Distance Intime
L’idée pour le MO.CO est de créer une institution en centre ville, proche des gens
Le premier espace dédié aux collections publiques et privées en France a été inauguré à Montpellier le 29 juin 2019. MO.CO Hôtel des Collections se trouve à l’Hôtel Montcalm, un hôtel particulier du XIXe siècle. Rénové par l’agence d’architecture parisienne PCA-Stream, c’est le troisième lieu du MO.CO (Montpellier Contemporain), une nouvelle institution créée et dirigée par le commissaire d’exposition et critique d’art, Nicolas Bourriaud.
Le MO.CO réunit aussi l’École Supérieure des Beaux-Arts (ESBA) et la Panacée, un centre d’art contemporain pour les artistes émergents. Les trois lieux constituent un “écosystème”, selon Bourriaud, qui vise à valoriser l’identité culturelle Montpelliéraine.
La vision de Bourriaud pour le MO.CO Hôtel des Collections a été réalisée grâce à la décision du maire Philippe Saurel, élu en 2014, d’avorter la planification d’un musée sur l’histoire de la France en Algérie. Le musée était prévu pour l’Hôtel Montcalm mais Saurel, qui voulait plutôt avoir un centre d’art contemporain, était séduit par la proposition de Bourriaud d’exposer les perspectives sur les collections.
L’Hôtel des Collections, avec un jardin imaginé par l’artiste Bertrand Lavier, est le deuxième centre d’art indépendant en France depuis l’inauguration du Palais de Tokyo – co-fondé par Bourriaud et Jérôme Sans en 2002.
L’exposition inaugurale, Distance Intime. Chefs-d’oeuvre de la collection Ishikawa, a été organisée par le commissaire japonais Yuko Hasegawa. Les œuvres exposées par les artistes tels que Pierre Huyghe, Haroon Mirza, Rachel Rose, On Kawara, Simon Fujiwara et Motoyuki Shitamichi viennent de la collection de Yasuharu Ishikawa à Okayama au Japon.
Comment avez-vous conçu votre projet pour le MO.CO englobant trois lieux ?
J’ai été nommé directeur artistique de la Panacée à la fin de l’année 2015 et je suis arrivée à Montpellier en 2016. J’étais chargé de faire une proposition [pour un nouveau lieu d’exposition] à l’Hôtel Montcalm. C’est petit à petit que l’idée de créer une institution qui rassemblerait les trois lieux est venue. C’était évident qu’il fallait considérer la Panacée et l’Hôtel Montcalm ensemble. Ensuite, j’ai pensé à l’École Supérieure des Beaux-Arts pour compléter ce dispositif. Ma première mission a été de changer le concept de la Panacée, qui était un centre d’art numérique. Je pensais que ça n’avait pas de sens dans une ville où il n’y avait pas de centre d’art généraliste. L’idée pour le MO.CO était d’avoir une structure horizontale qui correspond au contexte Montpelliérain et de créer une institution en centre ville, proche des gens. Au même temps, il me semble qu’aujourd’hui il est nécessaire de créer des institutions qui ne soient pas mono-fonctionnelles. Exposer l’art, ça ne suffit pas. Il faut travailler sur l’éducation, la transmission des savoirs et la proximité.
MIKE KELLEY, Arena #11 (Book Bunny), 1990, Livre, animal en peluche, bombes aérosols sur couverture, Courtesy Galerie Skarrstedt, New York, Fondation Ishikawa, Okayama, © Adagp, Paris, 2019 – Photo : Marc Domage
Vous avez décrit le MO.CO comme un “écosystème”. Est-ce que vous pouvez élaborer sur les rapports entre les trois espaces ?
La réunion de ces trois fonctions dans un même et unique établissement public produit littéralement un écosystème en soi. C’est une chaîne artistique qui va de la formation des étudiants et la transmission des savoirs jusqu’à la collection en passant par la production, la médiatisation et diffusion des œuvres. Il ne s’agit pas d’une monoculture mais d’une institution qui pratique la polyculture. Ces plusieurs fonctions peuvent générer des collaborations avec des entités extrêmement diverses. C’est un instrument de dynamisation de la scène artistique Montpelliéraine. La Panacée est le seul centre d’art en France qui a une résidence d’étudiants. Il y a 59 étudiants qui habitent ici, dont 26/27 sont issus de l’École des Beaux-Arts. L’objectif n’est pas d’avoir plus d’étudiants mais les meilleurs étudiants. Depuis l’année dernière, les étudiants de la deuxième à la cinquième année interviennent à la Panacée pour des périodes et des fonctions déterminées : le montage, la médiation, la communication, la participation aux projets… D’autre part, des artistes invités à la Panacée et à l’Hôtel des Collections interviennent à l’ESBA sous la forme qu’ils souhaitent – un workshop, une visite d’atelier, une conférence, etc.
Pourquoi avez-vous imaginé le MO.CO Hôtel des Collections comme un lieu dédié aux collections ?
J’ai fait le constat qu’il y a tellement de nouveau collectionneurs aujourd’hui. La plupart des œuvres chez des collectionneurs privés ne sont pas exposées. L’idée était de créer une plateforme qui permette au public d’accéder à des œuvres qui ne sont d’habitude pas montées. Et en même temps, il y avait déjà un musée à Montpellier, le Musée Fabre – un musée d’art historique qui a aussi une collection contemporaine. Donc, ça semblait stupide de créer une double instance de collection, sachant qu’on aurait besoin de moyens considérables pour constituer une collection qui soit intéressante.
Exposer des collections privées, ce n’est pas prendre le risque d’être considéré comme élitiste ?
Non, au contraire. L’Hôtel Montcalm va montrer que collectionner est un acte citoyen. C’est aussi le déploiement d’une obsession, une passion, une vision du monde, un point de vue sur l’art. Si il y a une valeur que l’Hôtel des Collections va essayer de promouvoir, c’est la question du choix, des critères et des responsabilités par rapport à la création artistique. Un choix passé au filtre d’une vision curatoriale. Ce n’est pas uniquement la présentation d’une collection ; c’est une collection vue par un curateur qui va donner une ligne de force. Nous nous intéressons à des collections qui ont déjà un point de vue singulier sur l’art, auquel vient s’ajouter celui du commissaire d’exposition. L’idée de ces deux niveaux de lecture sera la formule systématique de l’Hôtel des Collections.
Gauche : HAROON MIRZA, Backfade_5, (Dancing Queen), 2011, Techniques mixtes, Fondation Ishikawa, Okayama, Courtesy Galerie Lisson, Londres, © Haroon Mirza – Photo : Marc Domage
Droite : PIERRE HUYGHE, Zoodram 4, 2011, Écosystème marin vivant, aquarium en verre, système de filtration, coquille en résine d’après La muse endormie de Constantin Brancusi (1910), Fondation Ishikawa, Okayama, Courtesy de l’artiste, Esther Schipper, Berlin, et Anna Lena Films, Paris, © Pierre Huyghe – Photo : Marc Domage
Pourquoi avez-vous décidé de présenter la collection de Yasuharu Ishikawa, un entrepreneur Japonais de 49 ans, comme exposition inaugurale avec Yuko Hasegawa comme commissaire d’exposition ?
J’ai découvert l’existence de cette collection quand j’étais au Japon fin 2017, grâce à Yuko. J’ai vu la liste des œuvres qu’elle m’a envoyée. Il y avait des artistes qui je connaissais déjà et même des oeuvres que je connaissais très bien. Par exemple, j’ai exposé Rehearsal for a Reunion (2011) de Simon Fujiwara dans l’exposition L’ange de l’histoire au Palais des Beaux-Arts à Paris en 2013. La collection était proche de mon histoire et de mes propres sensibilités. C’est peut-être aussi pour cela que je l’ai choisi pour la première exposition.
Qu’est-ce que vous pouvez nous raconter sur la prochaine exposition sur la collection d’art Russe d’Andreï Erofeev ?
C’est la plus grande collection soviétique d’art russe des années 1980s. Elle a été constituée à partir de dons réunis par Andreï Erofeev, un historien d’art et commissaire d’exposition qui était intime de tous ces artistes, dans la perspective d’un musée contemporain à Moscou. C’est ça qui est original ; ce n’est pas la collection d’un oligarque ! Il y a toute l’histoire de la scène artistique russe de cette époque avec les pièces exceptionnelles d’Alexander Melamid, Sots Art, Alexander Bolotov, et Ilya et Emilia Kabakov. Ces œuvres se sont retrouvées dans des réserves de la Galerie Tretyakov. [La collection a rejoint la Galerie Tretyakov, un musée d’art Russe, en 2002 ; Erofeev est alors devenu le conservateur en charge de cette collection.] Les œuvres n’ont jamais été exposées depuis. J’ai demandé à Andreï Erofeev d’avoir un regard sur la collection qu’il avait lui-même réunie.
“Distance Intime. Chefs-d’oeuvre de la collection Ishikawa” est à MO.CO Hôtel des Collections, Montpellier, jusqu’au 29 septembre 2019.
www.moco.art/fr
Interview : Anna Sansom
Portrait : Jean Picon