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22.11.2024 Perrotin Paris #art

Nikki Maloof

Around The Clock : l’heure de la peinture

« Je suis tout autant attirée par la beauté de la vie quotidienne que par la profonde étrangeté de l’être humain et la difficulté de trouver un équilibre entre tous les aspects de sa vie.« 

Tout juste annoncée comme la nouvelle recrue de Perrotin, l’artiste plasticienne américaine Nikki Maloof nous dévoile en avant-première sa dernière exposition, le matin même du vernissage officiel. “Around the Clock” est sa première exposition personnelle dans les locaux parisiens de la galerie, qui tisse une histoire à tiroirs en explorant les défis de la maternité et de la vie en général. Ses peintures fascinent par leur texture riche et leur gamme de couleurs chatoyantes, symbolisant le caractère éphémère du temps au travers d’une certaine tension et d’une pincée d’humour noir rafraîchissante.

Cette exposition a un caractère à la fois personnel et universel, puisqu’elle représente ta propre maison. Comment l’idée t’est-elle venue ?

NIKKI MALOOF:

Après avoir longtemps vécu à New York, j’ai décidé de revenir à une vie plus calme, plus familiale, alors ma famille et moi avons déménagé dans l’ouest du Massachusetts, à quelques heures de New York. J’y ai construit un studio derrière ma maison, et mon travail s’est naturellement ancré dans cet univers domestique que je ne quitte presque jamais.

 

Dans cette exposition, j’ai disposé chaque peinture comme s’il s’agissait d’une pièce d’une maison. C’était une manière de mettre de l’ordre dans mes pensées, de visualiser la façon dont j’envisageais l’ensemble des peintures, et de savoir par où commencer. Les pièces d’une maison constituent une métaphore de la peinture elle-même. C’est le lieu dans lequel je rassemble toutes les choses qui composent ma vie, toutes mes pensées et mes angoisses, mais aussi les choses et les gens que j’aime, mes habitudes… En les disposant de cette manière, je crée une sorte d’espace psychologique.

Dans cette série, on voit apparaître de plus en plus de silhouettes humaines. Cela marque-t-il une évolution vers la figuration ?

NIKKI MALOOF:

Je ne m’y attendais pas, mais c’est arrivé. Ces dernières années, je suis retournée à reculons vers la figuration, j’essayais de trouver un moyen d’inclure des personnages sans vraiment les peindre en entier. Que se passerait-il si j’ajoutais simplement un détail ? Peut-être juste une main ? Cela suffirait-il à raconter une histoire ? C’est ce que j’ai fait dans le tout premier tableau de cette série. C’était la première fois que je peignais une main depuis plus de dix ans…

 

J’ai été particulièrement inspirée par une visite au MET, où l’on venait de construire une toute nouvelle aile consacrée à la peinture européenne, qui présentait d’étonnantes peintures de la Renaissance. J’ai remarqué l’expressivité des mains représentées et leur place à part entière dans le tableau. Je m’en suis inspirée et j’ai essayé de les réarranger à ma façon.

Certaines silhouettes te ressemblent, et les pièces s’inspirent de ta propre maison : peut-on parler d’autoportrait ?

NIKKI MALOOF:

Mes œuvres ressemblent beaucoup à des autoportraits, mais elles ne le sont pas nécessairement.

Peut-être que certains détails s’y glissent naturellement ? L’une des femmes représentées porte une paire de chaussures qui ressemblent beaucoup aux tiennes. Était-ce un choix délibéré ?

NIKKI MALOOF:

Oui, c’était absolument un choix réfléchi, parce que ces chaussures se sont avérées terriblement inconfortables, alors je voulais en avoir pour mon argent (rires). Je les ai achetées parce que je les trouvais belles. C’est un autre exemple qui montre que l’on peint un monde dans lequel on aimerait vivre, et qui est souvent composé d’éléments de la vie réelle et de choses qu’on aime. On peut aussi dire que la peinture est une façon de collectionner des choses, comme cette assiette, qui est une réplique d’une assiette que j’ai vu au MET. Tous les éléments n’ont pas la même fonction, cependant, certains sont là pour ajouter du drame ou de la tension, ils amplifient le caractère de la peinture.

Ici, la tension se cache dans les détails. Toutes les peintures deviennent quelque peu inquiétantes dès que l’on commence à repérer des détails tels qu’une main bizarre qui sort de la table, une porte à moitié fermée à l’arrière-plan…

NIKKI MALOOF:

La tension est un sujet très important pour moi. Je suis tout autant attirée par la beauté de la vie quotidienne que par la profonde étrangeté de l’être humain et la difficulté de trouver un équilibre entre tous les aspects de sa vie. Je veux que mes peintures invitent à observer, qu’elles interpellent, mais qu’elles se révèlent différentes de ce à quoi vous vous attendiez.

 

Parce que leurs couleurs sont très vives, mes œuvres paraissent très gaies, mais lorsqu’on s’y penche un peu plus, cette impression vacille. C’est ce que j’aime dans l’art en général. Je n’ai pas nécessairement envie d’admirer une œuvre qui n’exprime qu’une seule chose : d’une certaine manière, je veux qu’elle représente l’ensemble de ce que nous ressentons.

Le temps semble jouer un rôle central dans cette série, ce qui fait écho au titre de l’exposition, « Around the Clock » (24 heures sur 24). Pourrais-tu nous expliquer comment ce thème a influencé ton travail ?

NIKKI MALOOF:

Je pensais à ce poème de Sylvia Plath, “Chant du matin”, qu’elle a écrit après avoir eu un enfant. Le premier vers est le suivant : “Amour, l’amour a réglé le rythme de ton cœur comme une grosse montre d’or.” Ce poème m’a beaucoup marqué parce qu’il exprime ce que l’on ressent lorsqu’on donne naissance à un enfant, à un petit être dont la vie vient tout juste de commencer. C’est déstabilisant, car on se rend compte qu’ils sont eux-mêmes des horloges mystérieuses, ce qui est un peu terrifiant (rires), intéressant, et étrange.

 

En outre, en tant qu’artiste et parent, le temps est l’une des choses qui changent le plus lorsqu’on a un enfant. Il était important pour moi d’inclure des éléments qui nous rappellent le temps qui passe, d’où le titre de l’exposition. C’est un clin d’œil à notre rôle de parent, qui est un travail à plein temps, mais aussi à notre rapport au temps et la façon dont nous préservons ces moments, comme pour lutter contre leur caractère éphémère.

Cela explique la présence de nombreuses montres dans tes peintures…

NIKKI MALOOF:

Oui, les montres sont une référence directe au temps, mais d’autres éléments y font aussi allusion. Par exemple, la composition circulaire du tableau “The First Supper” fait penser à une horloge, et les objets et les mains ressemblent à s’y méprendre à des aiguilles.

 

Je trouve ce tableau assez drôle, car il s’agit de mon interprétation de “La Cène”, sauf que je l’ai inversée. Il montre la première fois qu’on sort avec ses amis après avoir eu un enfant. On s’imagine que ce sera très sympa, mais en réalité, c’est assez chaotique. En fin de compte, cette peinture parle des attentes et des réalités de la maternité. Il y a donc une femme dans une position christique, mais il y a aussi des enfants qui pleurent, du vin renversé, des chiens qui aboient…

Cela fait penser à un heureux désastre, comme une caricature empreinte d’humour noir.

NIKKI MALOOF:

Il faut que l’image soit drôle pour qu’elle fasse l’effet escompté. Je ne veux pas qu’elle soit trop sombre, lugubre ou effrayante. C’est ça que j’aime dans l’art, cette touche d’humour un peu grinçant.

Comment cette tension se manifeste-t-elle dans la façon dont tu structures ta vie quotidienne et ton approche de la peinture ?

NIKKI MALOOF:

Mon organisation est presque militaire. Je sais que je dois travailler sur des heures bien précises, et j’organise le reste en fonction. Il faut trouver cet équilibre entre artiste et parent, et c’est l’un des thèmes de l’exposition. On est constamment tiré dans toutes les directions, et ça peut être un peu stressant, ce que je constate également chez mes amis qui sont dans des situations similaires. On en attend toujours beaucoup d’une mère, et la perfection n’est qu’un idéal inatteignable.

Dans la troisième salle, il y a une série de portraits, “Weeping Woman” et “Tired Mother”, qui sont effectivement assez poignants.

NIKKI MALOOF:

Ces œuvres sont les dernières que j’ai réalisées, après que les pièces les plus importantes aient été terminées. Je pense que ces deux portraits ont fait écho à mon ressenti face à la situation politique aux Etats-Unis. J’ai pensé à “La femme qui pleure” de Picasso, que j’ai remanié en m’autorisant à peindre ces portraits saisissants.

Est-il important pour toi d’ajouter une dimension politique à ton travail ?

NIKKI MALOOF:

Bien que la politique ne soit pas essentielle à mon art, ça s’est fait naturellement cette fois-ci. Je trouvais important d’apporter le point de vue d’une femme, surtout lorsqu’il s’agit de sujets qui touchent à la maternité. Je n’aurai jamais imaginé peindre sur le sujet, parce que ça me semblait un peu tabou, et simplement pas très intéressant, alors c’était vraiment génial ! Prenez « Tired Mother » par exemple, elle a l’air monstrueux et pourtant, elle est assez tendre, et épuisée, n’ayant sûrement pas dormi de la nuit… Mais elle fait de son mieux ! Je pense qu’on a besoin de ce genre de représentations dans l’art, alors peindre ce tableau a été pour le moins cathartique.

En face de ces portraits percutants, il y a une magnifique rose. Les fleurs sont également présentes dans un grand nombre de vos tableaux, qu’il s’agisse de paysages de jardin ou de bouquets élaborés.

NIKKI MALOOF:

J’avais très envie de peindre des bouquets, comme un clin d’œil à la tradition des natures mortes mais également aux bouquets de la tradition hollandaise que j’aime tant, mais qui ne sont absolument pas réalistes puisque les plantes qui les composent ne fleurissent pas du tout au même moment. C’était très tentant d’essayer de peindre ces fleurs extravagantes, et en ajoutant ce visage caché parmi elles, je l’ai fait à ma façon.

 

Les fleurs sont elles aussi victimes du temps qui passe, puisque les bouquets ne durent que quelques jours. Une nouvelle fois, ce tableau est un rappel de ces moments éphémères. On dirait que la petite fille cachée dans le bouquet s’en rend compte ici pour la première fois : elle est en quelque sorte prise au piège dans ce bouquet, dans le temps.

Quelle est ta pièce préférée ?

NIKKI MALOOF:

J’aime beaucoup la chambre à coucher, “Cosleep at Dawn”, car elle reflète mon état d’esprit lorsque je préparais l’exposition. Les couleurs et les motifs sont très mal assortis, et j’adore ça. Ma chambre ne ressemblera jamais à ça dans la vraie vie, mais curieusement, dans cet autre univers, c’est possible. Dans ce monde que je façonne avec mes peintures, ça me paraît logique.

 

Presque toutes les pièces sont représentées dans ce tableau, car d’autres parties de la maison y figurent. Il y a un couple au milieu de la toile, mais on peut aussi m’apercevoir peindre à l’arrière-plan et on peut admirer le jardin par la fenêtre. J’ai également placé ce dessin d’une chenille, en référence à un célèbre livre pour enfants sur la transformation d’une chenille en papillon, qui évoque le cycle de la vie.

Chaque tableau est un microcosme à part entière. Peux-tu nous parler de ton processus créatif pour chacun d’eux ?

NIKKI MALOOF:

Je commence généralement par quelque chose de très simple, une table par exemple, et je réfléchis ensuite à la composition générale. C’est d’ailleurs comme ça qu’est né le premier tableau de la série “Dinner Discussion”. Sinon, je peins aussi en réaction à l’œuvre d’un autre artiste ou à quelque chose qui m’a particulièrement motivé. Je dessine un premier élément, qui mène à l’élément suivant, et ainsi de suite, en ne travaillant que sur une seule pièce à la fois. De cette façon, une fois le tableau terminé, j’en ai tiré quelque chose qui va influencer le suivant. Chaque tableau fait référence au précédent.

 

Mais la peinture est un médium important qui me donne à elle seule bien assez d’enthousiasme. Souvent, un coup de pinceau ou une couleur sont suffisants pour me pousser à commencer une œuvre. Je suis mon intuition, qui me guide toujours, d’une certaine manière, car je ne pars jamais avec une idée précise en tête. Ce n’est qu’après avoir couché mes pensées sur la toile que je commence à y voir plus clair.

Chaque tableau contient son lot de détails et de références, et on pourrait passer des heures à tous les examiner. A quel moment sais-tu qu’il est temps de t’arrêter ?

NIKKI MALOOF:

C’est génial, je veux que les gens y prêtent attention. C’est toujours amusant d’attirer le regard des gens, de rendre le tableau intéressant à admirer. Chaque peinture a sa manière de me dire qu’elle est terminée, à tel point que parfois, je dois me retenir d’ajouter encore plus de détails : je peindrai à l’infini si je pouvais, mais je ne veux pas non plus surcharger mes œuvres. Souvent, je demande simplement à mes amis peintres s’il manque quelque chose, ils sont un peu comme mes relecteurs. Les peintres, à l’instar des écrivains, ont aussi besoin d’éditeurs.

Au travers de cette exposition, tu nous as accueilli dans ton jardin et dans ta maison. Mais qu’en est-il de ton studio ?

NIKKI MALOOF:

C’est vrai ! Ce sera sans doute le sujet de ma prochaine exposition.

 

 

L’exposition de Nikki Maloof “Around the Clock” est à découvrir à Perrotin Paris, 76 Rue de Turenne, du 23 novembre au 25 janvier 2025.

 

 

Propos recueillis par Cristina López Caballer

Photos : Cléa Beuret et Michaël Huard

 

 

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