Oki Sato
Transmettre la joie
Un bon design n’est pas une question de formes ou de couleurs, mais de l’histoire derrière l’objet.
Studio nendo, fondé par Oki Sato à Tokyo, est le premier studio de design à recevoir carte blanche de la part du Bon Marché Rive Gauche. À voir jusqu’au 16 février 2020, l’installation dans l’atrium du grand magasin parisien est la dernière en date d’une série d’expositions par les artistes Ai Weiwei, Chiharu Shiota, Leandro Erlich et Joana Vasconcelos. La proposition d’Oki Sato, Ame Nochi Hana, se compose de 120 gouttes de pluie de tailles variées qui se transforment progressivement en fleurs blanches. L’installation est programmée pour se mouvoir de haut en bas toutes les demi-heures. Une scénographie animée qui s’apparente à un ballet, passant d’un ciel de gouttes d’eau à un champ fleuri. Le deuxième étage présente l’installation multimédia “Uncovered Skied”. Les visiteurs sont invités à pénétrer sur une plateforme illuminée en tenant un parapluie noir pour faire l’expérience de paysages projetés dans l’ombre du parapluie. Inspirée par la peinture japonaise sur rouleau, l’installation a été montrée pour la première fois au Suntory Museum of Art de Tokyo l’année dernière. Elle a été adaptée exclusivement pour Le Bon Marché. Une partie de la “Rain Bottle” du Studio nendo est également exposée. Conçue pour Maison & Objet 2014, elle s’inspire des nombreux termes désignant la pluie dans le vocabulaire japonais. Né à Toronto en 1977, Oki Sato a obtenu un master en architecture de l’université Waseda à Tokyo et a fondé le Studio nendo en 2002. Travaillant sur des projets de design industriel, d’intérieur et d’objets de collection, Studio nendo s’est fait connaître pour sa signature élégante, légère et une simplicité trompeuse évoquant la nature.
Quel a été le point de départ de Ame Nochi Hana ?
Je n’ai pas reçu de critères particuliers excepté que je devais utiliser le blanc parce que nous sommes en plein “White Month” (jusqu’au 4 février) au Bon Marché. Il s’agit d’un mois un peu spécial où le magasin vend des produits exclusivement blancs qui aideraient à “repartir de zéro” pour la nouvelle année, après les excès des fêtes. Du coup, je me suis demandé comment je pouvais moi aussi permettre aux gens de “repartir de zéro”, de leur purifier l’esprit, et j’ai eu l’idée des gouttes de pluie et des fleurs. Les gouttes représentent les larmes, la pluie, le tristesse, alors que les fleurs incarnent l’inverse : la joie, la vie. Pour moi, ces émotions positives et négatives sont comme les deux faces d’une pièce, comme la lumière et l’ombre. J’ai voulu montrer le cheminement d’une émotion à l’autre, dans les deux sens, et retranscrire les façons de voir le bon côté de la vie.
Avez-vous été inspiré par un ou des paysages en particulier ?
Cette œuvre s’inspire de la nature et du design japonais influencé par un profond respect pour la nature, mais pas par lieu en particulier. J’ai tendance à considérer la nature comme un outil, comme un symbole, un langage visuel. Une manière de créer des connexions entre le public et mon design. Les fleurs, les gouttes de pluie, les nuages et les arbres sont des choses que l’on voit différemment suivant son bagage culturel.
Comment avez-vous conçu l’aspect transformatif de la fleur en goutte de pluie ?
Nous avons tenté de créer une structure basée sur l’équilibre puisqu’elle évolue en surélévation. Presque comme une marionnette tenue par trois fils. Lorsqu’on tire le fil du milieu, les gouttes de pluie apparaissent. Lorsqu’on tire les fils sur les côtés, place aux fleurs. Et lorsqu’on les tire tous les trois en même temps, toute l’installation descend ou remonte. Les mouvements des 120 gouttes de pluie devaient paraître aléatoires lorsqu’elles tombent sur le sol et deviennent un champs de fleurs. Après avoir procédé à plusieurs simulations sur ordinateur au Japon, nous avons réalisé une maquette à échelle réelle dans un site d’exposition à Milan, juste avant Noël. C’était très technique, mais je voulais que le tout ait l’air naturel et qu’il transmette une émotion. Tous nos projets ont l’air très simples, presque faciles à réaliser, c’est d’ailleurs les commentaires que l’on reçoit de nos clients lorsqu’on les leur présente pour la première fois. Mais lorsqu’ils veulent faire des prototypes, c’est là qu’ils remarquent que les idées les plus simples sont les plus difficiles à réaliser.
“Uncovered Skies” invite les visiteurs à tenir un parapluie noir couvert d’un film polarisant qui permet à des images de paysages d’être projetées dans son ombre. Comment cette idée est-elle née ?
Nous avons démonté un projecteur dans notre studio pour voir son fonctionnement de l’intérieur. Lorsqu’on a enlevé le film polarisant, le film disparaissait et se transformait en spot de lumière. Mais lorsqu’on plaçait le film polarisant entre la surface et la lentille, le film réapparaissait. Ça m’a donné l’idée de marcher sous un projecteur avec un parapluie qui projetterait la vidéo dans son ombre. Nous avons complètement remplacé la vidéo par rapport à la première fois que l’œuvre a été montrée et avons travaillé sur les pavés de la ville de Paris en ajoutant plus d’éléments liés à la pluie et aux fleurs.
En 2008, vous avez conçu la “Cabbage Chair” à partir de pliages de papier pour l’exposition “XXIst Century Man” dirigée par Issey Miyake à Tokyo. Vous avez depuis réalisé deux concepts de boutiques pour lui à Tokyo également. Qu’avez-vous appris de lui à propos du rôle d’un designer ?
Monsieur Miyake m’a dit il y a dix ans que la grande différence entre un artiste et un designer est qu’un artiste peut librement transmettre toutes sortes d’émotions, comme la tristesse, la colère ou la peur. Alors que le rôle d’un designer est de transmettre la joie. Pour moi, autant le designer que l’artiste ont cette mission de transmettre la joie aux gens. Il s’agit de montrer aux autres comment voir les choses différemment, enrichir leur vie et leur permettre de profiter de chaque jour. En tant que designer, il est important de ne pas éviter les problèmes, mais bien d’essayer de les défier. Je prends autant de plaisir face aux succès qu’aux situations problématiques parce qu’elles font toutes partie de moi.
Comment définiriez-vous votre philosophie, et qu’est-ce qu’un bon design selon vous ?
La légèreté et la simplicité me sont très chères, mais ma philosophie première est la fonction. J’aime le terme “fonctionnel” parce qu’il contient le mot “fun” (en anglais “functional”). En plus d’être doté d’une certaine fonction, un objet doit avoir un élément émotionnel qui lie les gens, les espaces et les objets entre eux. C’est particulièrement vrai pour le design japonais qui peut parfois paraître minimaliste et froid. Les gens peuvent donc avoir peur de l’objet. Un peu d’humour et un élément de surprise sont comme une épice dans un plat: c’est un liant. Je veux créer quelque chose qui soit facile à comprendre pour tous, même pour des enfants ou pour des personnes n’ayant pas particulièrement de culture du design. Un bon design est celui qui peut s’expliquer à votre mère ou à un enfant au téléphone, et qui capte leur attention. Il ne s’agit pas de formes ou de couleurs, mais de l’histoire derrière l’objet.
Qu’allez-vous montrer pendant le Salone del Mobile en avril ?
Je pense que nous allons montrer une petite exposition dans le showroom de Cappellini avec qui nous travaillons depuis 2003. Ce sera comme une rétrospective de toutes les pièces que nous avons créées pour eux au cours des 18 dernières années. Quelque chose d’interactif, comme “Uncovered Skies”, qui jouera avec la lumière et les ombres pour mettre en avant notre collaboration.
Interview : Anna Sansom
Photos : Valentin Le Cron & Pierre Mouton