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16.10.2024 PARIS INTERNATIONALE #art

Silvia Ammon

Paris Internationale, une foire d’art contemporain à échelle humaine.

Silvia Ammon est la directrice de Paris Internationale, qui fête sa dixième édition.

Depuis sa création en 2015, la foire soutient avec ardeur les galeries émergentes. Au cours de la dernière décennie durant laquelle certaines de ces galeries sont devenues incontournables, son rôle en tant qu’actrice de la scène artistique parisienne s’est fortement consolidé.

Silvia Ammon nous partage ses réflexions sur l’évolution de la foire juste avant son ouverture.

 

Comment êtes-vous venue à l’art contemporain ?

SILVIA AMMON :

J’ai grandi en Allemagne, à Nuremberg, dans une famille férue d’histoire et de culture, quoique très éloignée du marché de l’art. Je me suis installée à Paris en 2007 pour suivre des études d’histoire de l’art à la Sorbonne, puis j’ai travaillé dans des galeries pendant une dizaine d’années, principalement chez Praz-Delavallade. Connaître les galeries de l’intérieur est une condition préalable indispensable pour diriger un projet comme Paris Internationale.

 

Quel était votre objectif quand vous avez travaillé avec les cinq galeries fondatrices pour lancer Paris Internationale en 2015 ?

SILVIA AMMON :

Les objectifs étaient multiples : créer une plateforme pour notre génération, bousculer le paysage des foires d’art, faire venir nos confrères et nos consœurs internationaux à Paris et remettre Paris sur la carte comme centre artistique fort. Nous faisons partie d’une génération d’acteurs qui a œuvré à la transformation de la ville, qui avait besoin d’être réveillée et dynamisée. Cet amour pour Paris, nous l’exprimons aussi très directement par le nomadisme, la nature itinérante de la foire.

 

Justement, la première édition s’était déroulée dans deux hôtels particuliers délabrés et désaffectés près de l’Arc de Triomphe où certaines galeries ont exposé les œuvres dans les cuisines et les salles de bains. Par la suite, la foire a eu lieu, entre autres, dans l’ancien parking de Libération. ​Comment choisissez-vous ces lieux ?

SILVIA AMMON :

Ce sont toujours des bâtiments authentiquement parisiens, qui ont une âme et une histoire, et qui permettent aux visiteurs de découvrir le riche patrimoine architectural parisien. Mais ce qui compte vraiment pour nous, c’est de trouver des bâtiments qui soient excitants pour les artistes, qui les inspirent pour créer des projets sur mesure et qui attisent la curiosité des visiteurs.

 

Cette année, vous êtes de retour au Central Bergère, dans le IXe arrondissement. Vous semblez particulièrement apprécier cet espace…

SILVIA AMMON :

C’est un endroit que l’on adore pour sa position centrale dans la ville, et qu’on voulait absolument faire découvrir au public. Les volumes intérieurs sont généreux et laissent entrer beaucoup de lumière. La brique rendue apparente par le récent curage sous une couche de plâtre dégage une douceur atypique. Il s’agit d’un ancien central téléphonique qui a été construit à la fin du​ XIXe siècle et qui n’avait jamais été accessible au public. C’est ici que « les demoiselles du téléphone » connectaient les appels durant la première partie du XXe siècle ; ça m’évoque les films de la Nouvelles Vague, les forces de travail féminines durant les années de guerre. Et c’est amusant de se dire que nous en faisons à nouveau un lieu de rencontre et de connexion.

 

C’est la dixième édition de Paris Internationale. Une telle longévité est un défi et une belle réussite…

SILVIA AMMON :

Pour n’importe quel projet culturel, c’est une fierté que de tenir dix ans. Survivre aussi longtemps avec un modèle économique non-profit comme le nôtre requiert de vraies convictions. Et un peu de romantisme. Pour autant, Paris Internationale est aujourd’hui très ancré dans le paysage international de l’art contemporain.

 

Quel est l’ADN de Paris Internationale ?

SILVIA AMMON :

C’est une foire pensée par les galeries pour les galeries et qui met l’artiste au centre. Une foire dans laquelle on a envie de décélérer et de passer du temps. Un événement commercial, mais aussi un lieu de rencontres et d’échanges. Paris Internationale porte un message fort, celui de rappeler qu’une bonne collection ça se construit avec le cœur, beaucoup de temps et de passion, que collectionner ce n’est pas qu’investir ou décorer, qu’il s’agit aussi de soutenir les artistes, une scène et tout un écosystème créatif.

 

Cette année, Art Basel Paris a lieu au Grand Palais. Son directeur, Clément Delépine, était codirecteur de Paris Internationale avant de rejoindre la foire. Qu’est-ce que l’implantation d’Art Basel Paris représente pour vous ?

 SILVIA AMMON : 

On a toujours travaillé main dans la main avec Art Basel. En 2015, pour notre première édition, Marc Spiegler [l’ancien directeur d’Art Basel] était parmi nos tout premiers visiteurs. Clément a dirigé la foire avec moi pendant cinq éditions [2016 – 2020] ; nous sommes restés très amis. On travaille tous pour la même cause, pour un Paris de plus en plus fort. L’arrivée d’Art Basel a renforcé ce rendez-vous et l’offre pléthorique de cette semaine doit inspirer une génération de collectionneurs. Mais pour moi, le véritable enjeu est plus vaste. C’est la place que doit prendre la création contemporaine dans la vie des Parisiens tout au long de l’année qui doit changer.

« Paris Internationale porte un message fort, celui de rappeler qu’une bonne collection se construit avec le cœur, beaucoup de temps et de passion, que collectionner n’est pas qu’investir ou décorer, qu’il s’agit aussi de soutenir les artistes, une scène et tout un écosystème créatif. »

Pouvez-vous nous parler de l’évolution de la foire ?

SILVIA AMMON :

Ce qui a changé, c’est qu’un projet qui était générationnel au départ est devenu multigénérationnel. La génération des galeries fondatrices qui étaient là il y a dix ans – Crèvecœur, Ciaccia Levi, Gregor Staiger, Derosia, Stereo – est toujours présente. Et nous avons été rejoints depuis par des galeries plus établies, comme Greengrassi, Gaga, Tomio Koyama. Ainsi que par de très jeunes enseignes qui nous rejoignent tous les ans. Mais notre objectif est par-dessus tout de rester proche de nos ambitions de départ : il ne s’agit pas de grandir à tout prix mais de rester juste et à l’écoute des besoins des galeries. C’est de cette façon qu’on continuera à réussir à attirer les meilleurs représentants de l’écosystème international.

Quelle est votre démarche pour préparer la foire ?

SILVIA AMMON :

Le point de départ est bien évidemment la sélection des galeries. C’est un travail qui se construit pendant toute l’année, avec un comité, constitué par les galeries fondatrices – Ciaccia Levi, Crèvecœur et Gregor Staiger – et rejoint par Greengrassi [Londres], KOW [Berlin] et Gaga [Guadalajara/Los Angeles]. Nous cherchons à accueillir les galeries du monde entier, de trouver celles avec lesquelles on se sent proches, qui partagent une certaine vision du métier de galeriste, une façon de travailler.

Quelles sont les galeries internationales qui présentent des œuvres marquantes à cette édition ?

SILVIA AMMON :

Je suis très contente de la sélection des galeries asiatiques. La galerie Tomio Koyama de Tokyo participe pour la première fois, avec un très beau face-à-face entre le céramiste Keiji Ito et le peintre Hiroshi Sugito. Tout a été vendu dès le premier jour. La galerie Magician Space de Beijing montre le travail passionnant de Liu Yefu. Il y a aussi des galeries américaines de différentes générations. Company propose une présentation par le Women’s History Museum de Troy Montes-Michie et Sixten Sandra Österberg. Chez Theta, on découvre la peinture de l’artiste ukrainienne Alexandra Kadzevich. Ulrik met en lumière un projet historique d’une artiste récemment décédée, Bettina [1971-2024], une grande figure du Lower East Side des années 1960 [qui créait des œuvres géométriques en laine].

On a quatre formidables galeries de Varsovie : Stereo, qui expose les très belles peintures de Barbara Wesolowska ; Dawid Radziszewski, qui met en avant le travail photographique de Tatjana Danneberg, récemment vu à la MEP ; Gunia Nowik Gallery, avec les toiles d’Agata Bogacka ; et un jeune « project space », Turnus, qui nous fait découvrir les sculptures de Piotr Kowalski.

 

Parlez-nous des autres découvertes de cette année…

SILVIA AMMON :

Il y a de très belles œuvres chez Lovay Fine Arts, notamment Suzanne Santoro, 90 ans, qui a fait des aquarelles de femmes nues en mouvement évoquant autant la mythologie grecque que les cabarets des années 30. Il y a beaucoup d’artistes historiques à redécouvrir, comme Béatrice Bonino chez Ermes Ermes, les photographies de George Tourkovasilis chez Records, les œuvres d’Erwin Thorn chez Lombardi-Kargl.

 

Avez-vous constaté une évolution des tendances dans les médias utilisés par les artistes, leur approche vers l’art ou les sujets qu’ils traitent ?

SILVIA AMMON :

Le retour de la peinture figurative apparaît comme une évidence. Cela dit, il me semble que nous vivons dans une époque dans laquelle différents styles, différentes visions, manières de faire de l’art peuvent beaucoup plus facilement cohabiter que dans le passé.

 

Pour quel genre d’artistes avez-vous une sensibilité ?

SILVIA AMMON :

J’aime les artistes ancrés dans leur époque, qui changent mon regard sur le monde, ouvrent de nouveaux horizons, qui nous permettent de changer de point de vue en naviguant entre complexité et simplicité. Mais aussi les artistes qui nous ramènent à la beauté des petites choses de la vie aussi et infusent de la poésie dans nos vies.

Interview par Anna Sansom

Photos: Margot Montigny, Courtesy of Paris Internationale

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