Apolonia Sokol
Peintre figurative et artiste engagée
« On peint toujours les gens qu’on aime et ceux qui sont autour de nous, qui nous inspirent. »
Apolonia Sokol est une peintre franco-polonaise dont l’œuvre se concentre sur la représentation de corps souvent absents de l’histoire de l’art traditionnelle. Formée à l’École nationale supérieure des Beaux-Arts de Paris et influencée par son passage à la Cooper Union de New York, elle développe une peinture figurative expressive qui met en lumière des identités plurielles et marginalisées. Son travail, nourri de réflexions sociales et féministes, interroge les normes de visibilité et questionne notre rapport à l’autre.
En parallèle de sa carrière artistique, un film documentaire majeur lui est consacré : Apolonia, Apolonia (2022), réalisé par la cinéaste danoise Léa Glob. Filmé sur treize ans — de l’adolescence de Sokol à ses premières expositions, notamment sa résidence à la Villa Médicis — le film la met en scène dans son propre rôle, capturant ses doutes, sa force, ainsi que son rapport à la peinture et au monde. A l’occasion de l’exposition “Copistes” du Centre Pompidou Metz, Apolonia Sokol nous en dit plus sur son travail et ses inspirations.
Sur ton Instagram, tu te présentes comme « Apolonia painteresse », un anglicisme étrange. Peux-tu nous expliquer ce choix en deux mots ?
Apolonia Sokol :
C’est un anglicisme ? Peut-être, mais c’est plutôt francisé… et au féminin. Ce n’est pas vraiment un « statement » ! Cela s’est fait naturellement, tu vois. On peut parler plusieurs langues. Je suis basée en France, mais j’ai grandi au Danemark et je suis polonaise. Quand j’ai choisi mon pseudo, je n’ai pas nécessairement pensé uniquement en français. De plus, les réseaux sociaux, Instagram… à l’époque où j’ai ouvert mon compte, Instagram était bien plus répandu à Los Angeles qu’à Paris. En France, tout le monde me disait : « Pourquoi as-tu créé un Instagram ? C’est quoi, ça ? »
Le film « Apolonia Apolonia » t’a projetée sous les feux de la rampe, cela t’a donné beaucoup de visibilité, n’est-ce pas ?
Apolonia Sokol :
J’étais déjà assez connue dans la communauté… mais là, ça a ouvert une porte, beaucoup de gens ont vu le film. Je suis devenue accessible à d’autres milieux que celui, élitiste, de l’Art.
Est-ce que cela a changé le regard que l’on portait sur toi ?
Apolonia Sokol :
Je pense que le film permet aux gens de m’apprécier, de m’aimer sans avoir de préjugés. Je trouve que ça fait ça, c’est étrange… enfin, ça dépend des pays. En France, on a, par exemple, beaucoup de préjugés, et ça peut être très difficile d’entrer dans des cercles. Ce film, il a été fait avec tellement d’amour et de compassion que, finalement, les personnes qui l’ont vu m’aiment bien, tu vois ce que je veux dire.
Est-ce que cela a changé le regard de la critique sur ta peinture ?
Apolonia Sokol :
J’étais déjà dans ce milieu bien avant que le film ne sorte. J’avais déjà mon parcours, la Villa Médicis…Je pense que les professionnels restent exigeants ; la peinture doit les convaincre et non le cinéma. La peinture doit être irréprochable… toujours.

On t’y voit travailler et on y découvre tout l’écosystème qui nourrit ta peinture. La relation avec les autres semble fondamentale pour toi ; ta peinture est peuplée de figures. En quoi la narration et la figuration sont-elles essentielles pour toi ?
Apolonia Sokol :
J’ai l’impression que c’est comme ça pour tous les peintres figuratifs. Je pense qu’on peint toujours nos proches. Tu vois, Matisse a peint sa fille, Picasso les femmes qu’il a maltraitées. Bonnard, lui, a peint sa femme Marthe toute sa vie — Elle prenait beaucoup de bains pour son asthme — et il va appeler ses tableaux *Le Bain* ou *La Toilette*. Moi, je vais plutôt parler de Marthe… enfin, de la personne que je vais peindre. Je pense qu’on peint toujours les gens qu’on aime et ceux qui sont autour de nous, qui nous inspirent, en fait.
Tu as été invitée par le Centre Pompidou Metz et le Louvre à jouer le jeu des copistes. Quel est le titre de l’exposition du Centre Pompidou qui vient d’ouvrir ce mois-ci ? Quelles œuvres t’ont inspiré ?
Apolonia Sokol :
L’exposition s’appelle Copistes ! C’est un Sassetta. J’ai décidé de reprendre une pièce mystérieuse que les peintres connaissent bien. Parfois, on passe devant sans la voir, si on n’est pas complètement féru de peinture médiévale. Le Louvre possède quelques panneaux d’un retable du peintre Stefano di Giovanni. Les deux panneaux que j’ai choisis racontent l’histoire d’un saint qui va délivrer les pauvres d’une prison en faisant un trou miraculeusement dans un mur de prison. Sur le premier panneau, on voit les pauvres s’enfuir de la prison en sortant du mur. Sur le verso La suite de l’histoire, des sages discutent de la situation et au fond, en arrière-plan l’âme de l’avare est emportée par le démon. Et c’est vraiment un avare à poil, un riche à poil en train de chevaucher un démon dans le ciel.

Dans ce diptyque, on peut se poser la question de la dette, en fait. Ils sont enfermés derrière ce mur du fait qu’ils sont endettés, mais à partir du moment où on construit des murs, ça bénéficie à qui ? Qui est endetté envers qui ?
Apolonia Sokol :
Parce qu’on a aussi tendance à piller et à construire des murs par la suite, pour protéger son butin? Ça pose la question de la propriété également, et c’est très d’actualité. Enfin, j’ai choisi, pour l’avare, de peindre Napoléon en col blanc, ce que je trouvais hilarant, parce que Napoléon, c’est un symbole de l’impérialisme par excellence, il peut incarner n’importe quel patriarche. Etrangement il est assez vénéré aujourd’hui ; on lui rend souvent hommage alors qu’il était un dictateur.
Pourquoi as-tu choisi un diptyque recto verso ?
Apolonia Sokol :
C’est recto verso comme la question de la dette. Le tableau tient tout seul érigé tel un mur, il sort presque de la terre. Le tableau lui-même est un mur. Et tous les murs ont besoin d’une porte, de la même façon toute richesse implique une pauvreté.
Peux-tu nous parler des personnages et des symboles qui peuplent ces peintures ?
Apolonia Sokol :
J’ai choisi de mettre mes proches. La personne qui sort du trou, incarnant la pauvre en haillons, est Raya Martigny. C’est une mannequin de Mugler et de Jean-Paul Gaultier, une femme magnifique qui est une personne queer. Il y a aussi Matthias Garcia le peintre, qui est une personne non binaire, enfin fluide, on ne sait pas trop le principe de la fluidité étant le changement. Figure aussi Noah Umur Kanber, une artiste trans avec qui je prépare un duo show à Copenhague. Il y a plusieurs lectures possibles de mon tableau. Que des personnes queers s’échappent d’une prison en effrayant des cols blancs n’est pas anodins. J’ai une approche intersectionnelle du féminisme, je suis persuadé que toutes les luttes sont liées. Et devraient ensemble lutter contre le même mal : le capital… En fait, le patriarcat et le capitalisme, ce n’est pas une chose individuelle, il ne s’agit pas d’un homme, c’est un système hiérarchique avec des rapports de domination.

Tu en parles avec tes outils de peintre, de façon symbolique et en peignant des personnes proches ou des icônes.
Apolonia Sokol :
Voilà, mais j’ai peint Napoléon, pas mon père, bien que je pourrais aussi.
Propos recueillis par Michaël Huard
Photos : Michaël Huard et Courtesy THE PILL® photo Tanguy Beurdeley