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24.01.2019 #design

Philippe Starck

Le parrain

La nouvelle génération a compris l’éthique et la politique dont le design a besoin pour retrouver sa force.

Nous sommes le vendredi 16 janvier 2019. Philippe Starck se trouve au Musée des Arts Décoratifs (MAD) à Paris pour le FD100, l’événement mettant à l’honneur 100 designers français dont il est le parrain. Initié par VIA, une association co-fondée en 1979 par le Ministère de l’Industrie dans le but de promouvoir la création et l’innovation dans les secteurs du mobilier et de la décoration, le FD100 met en lumière des projets internationaux d’envergure réalisés par des designers français sur les deux années précédentes. Le jury, présidé par Agnès Kwek (ambassadrice de DesignSingapore) aux côtés de Christopher Turner (Directeur du design, de l’architecture et du digital au V&A à Londres) et de la galeriste basée à Paris Maria Wettergren, a sélectionné les finalistes parmi un total de 173 projets. Présents dans la liste, trois « favoris » ressortent : Emmanuelle Moureaux Architecture, Gwenaël Nicolas, (fondateur du studio Curiosity), tous deux basés à Tokyo, et l’architecte franco-libanaise Lina Ghotmeh. Le FD100 fait partie intégrante du programme de VIA visant à améliorer la visibilité du design français, et qui se traduit notamment par l’exposition itinérante « No Taste for Bad Taste, so Starck, so Bouroullec, so le French Design » qui parcourt le globe depuis 2017 et jusqu’à 2020.

Quels designers soutenez-vous parmi le FD100 ?

Nous les soutenons tous, et nous attendons et espérons que le design retrouvera ses vraies valeurs politiques, économiques, de service, de nouveauté… Qu’il sorte de son vice actuel qui veut l’associer à un travail de mode. Notre design n’est pas un design de mode. Car si on peut dessiner une mini-jupe pour trois mois, il faut qu’on puisse dessiner une chaise pour 30 ans. Ce n’est pas du tout le même rythme, les mêmes procédés, les mêmes économies, les mêmes industries. Selon moi, il y a des signes qui montrent que la nouvelle génération a compris les réels besoins, l’éthique et la politique nécessaire pour que le design retrouve sa force.

Nicolas Gwenael, Curiosity, 2017, Japon // Photo: Satoshi Shigeta

Par « vice actuel », insinuez vous que le design français s’est perdu ?

Je dis simplement que comme le design a eu beaucoup de succès dans les médias, beaucoup de designers ont cru que c’était un métier médiatique comme peut l’être celui de designer de mode. Ce n’est pas le cas. Il faut simplement retrouver les valeurs de ce métier, qui sont aussi honorables que celles d’un designer de mode. Il faut retrouver et chercher notre savoir-faire. Comment rendre service à mes amis, à ma famille, mon village, ma société avec la plus grande éthique, la plus grande intelligence et la plus grande créativité ? Comment éviter de tomber dans le piège de la rapidité ? Comment toujours être un inventeur, un poète, un romantique ?

Comment décririez-vous l’identité du design français ?

Il y a une identité particulière, mais ce n’est plus tellement comme ça que ça se passe. Les frontières ne sont plus les mêmes, et on ne travaille plus par pays mais de façon individuelle. Mais il est certain qu’en France, il y a un groupe d’individualités qui montrent une certaine identité. L’identité française est à l’image de la France : un croisement européen qui s’enrichit des sédimentations, des allusions qui se déposent et sont digérées et transformées. Un pays comme la France n’est pas à l’origine des mouvements flamboyants, amusants comme le punk ou le grunge. C’est un pays d’équilibre, d’intelligence, de réflexion, qui fait un travail rare dans le monde parce que c’est un travail rigoureux, cultivé, intelligent, sur le long terme, et qui peut se résumer dans l’intelligence et dans élégance.

À vos débuts, aviez-vous un  mentor ?

Non, personne ne s’intéressait au design et personne ne s’intéressait à moi. Les débuts du design français ont été extrêmement longs et difficiles, et j’étais quasiment seul. Le design était purement italien, et jusqu’à ce que mon travail soit édité en Italie, il n’y avait aucune opportunité pour un designer français. Ça a beaucoup changé grâce à VIA et à son président Bernard Reybier, ainsi que sa compagnie d’ameublement extérieur Fermob. Il n’y a pas grand designer sans grande entreprise d’ameublement.

Lina Ghotmeh, Château de Kefraya, 2018 // Photo: Lina Ghotmeh

Quel conseil donneriez-vous aux designers souhaitant se lancer dans une carrière internationale ?

Il ne faut pas croire que c’est vous qui décidez d’aller à l’international. On ne décide pas d’aller faire carrière en Amérique ou au Japon. Il faut travailler très, très dur dans son pays, faire un travail original, intelligent, unique, qui attire l’attention des gens ou des médias à l’étranger. Et seulement à ce moment-là, les autres pays vous remarquent et vous appellent. Et si vous continuez de bien travailler, vous devenez un acteur international. C’est toujours le monde qui vous appelle, vous ne partez pas l’envahir. Pour moi, c’est comme ça que ça c’est passé. J’ai reçu des appels de différents pays comme les États-Unis, le Japon, la Chine, l’Italie. Je ne me suis jamais dit “je vais devenir un designer italien ou un architecte japonais”…

Pouvez-vous nous parler de vos projets pour 2019 ?

Nous travaillons beaucoup sur nos lunettes avec de très bonnes technologies et la biomécanique, et nous continuons notre travail sur la matérialité et le romantisme de l’immatérialité avec les parfums. Nous travaillons aussi sur une future station spatiale internationale. La différence entre les designers de mode et nous, c’est que nous sommes des inventeurs-ingénieurs, nous travaillons sur des choses très technologiques. Avec ce que nous avons fait pour la station spatiale de la NASA [qui inclut un module d’habitation], nous avons atteint un sommet d’intelligence humaine. Il est bien difficile de faire quelque chose de mieux que cela car le monde est à un tournant de son histoire: un côté se dirige vers la bêtise, l’autre vers l’intelligence. Nous avons choisi, espérons-le, l’intelligence. Il y a une quantité immense de travail à faire et de choses à créer. Nous travaillons avec Axiom Space [une entreprise de technologies spatiales privée] et nous concevons l’intérieur de la future station spatiale internationale [pour la NASA] qui sera mise en place en 2024. C’est un projet extrêmement intéressant sur la vie en gravité et les besoins des spationautes.

Emmanuelle Moureaux, Sugamo Shinkin Bank Shimura Branch, Japan, 2018 // Photo: Daisuke Shima

Avez-vous déjà voyagé dans l’espace ?

J’aurais du, car je suis l’un des fondateurs de Virgin Galactic [le premier vaisseau spatial commercial, détenu par l’entrepreneur Britannique Richard Branson] mais j’ai un petit problème de claustrophobie… Quand il a fallu commencer l’entrainement il y a trois ou quatre ans, nous avons vu les machines, des centrifugeuses, et nous avons vite compris que ça n’irait pas…

Pour revenir à FD100, pensez-vous qu’avoir un « parrain » célèbre peut aider les jeunes designers ?

Je pense que les noms célèbres attirent l’attention sur les autres. C’est un point de référence, un drapeau, une torche, une présentation, un marqueur, une valise…

Interview : Anna Sansom

Portrait : Jean Picon

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