Xavier Veilhan
Portrait Mode
« Je pense que la production de la forme est intéressante quand elle n’est pas trop détaillée mais plutôt générique »
Le nom de Xavier Veilhan est synonyme de sculptures figuratives à facettes. Son carrosse pourpre avec des chevaux captés en plein galop a orné la cour du Château de Versailles en 2009. Ses sculptures vertes des architectes du Centre Pompidou, Richard Rogers et Renzo Piano, trônent aux abords du musée. La passion de Veilhan pour la géométrie, l’architecture et la musique a également inspiré « Studio Venezia » au Pavillon français de la Biennale de Venise que l’artiste a transformé en studio de musique en 2017, où des musiciens tels que Nicolas Godin et Sébastien Tellier ont joué.
Pour sa nouvelle exposition à la galerie Perrotin, l’artiste âgé de 60 ans s’est lancé dans un nouveau domaine : la marqueterie. « Portrait Mode » présente des tableaux-objets représentant les amis de l’artiste, ses assistants et des oiseaux, tous réalisés en marqueterie facettée. Composés d’éléments triangulaires, ces œuvres transmettent une impression de mouvement et de présence. On découvre également des sculptures floues, fantomatiques, qui reposent sur des reproductions de meubles conçus par Vico Magistretti et Rick Owens.
Quand avez-vous commencé à travailler avec la marqueterie ? Pourquoi cet intérêt ?
Nous avons développé ce travail en atelier durant les deux dernières années. Ce que je trouve intéressant dans la technique de la marqueterie, c’est vraiment l’essence du bois et les variables. Il n’y a pas vraiment de couleur, alors que moi j’ai utilisé des pièces de bois peintes.
Pouvez-vous nous parler du processus créatif ?
On a d’abord pris en photo des statues existantes à l’atelier dont les facettes captaient la lumière. On a recadré les photos, puis on les a restituées et recomposées avec des pièces de bois, comme un puzzle. Il y a un algorithme qui intervient à plusieurs niveaux ; ce que j’aime c’est la manière dont ce processus génère des couleurs qui ne sont pas vraiment créées par moi mais par les phases multiples dans la réalisation de l’œuvre. C’était la tentative d’amener la peinture à l’image dans la représentation des objets. Par exemple, je m’intéresse beaucoup aux icônes qui sont moitié objets, moitié images.
Ce qui est marquant dans vos œuvres de marqueterie et vos nouvelles sculptures floues, c’est l’absence d’expression faciale. Pourquoi cette neutralité ?
Je pense que la production de la forme est intéressante quand elle n’est pas trop détaillée mais plutôt générique. J’aime bien avoir une certaine distance avec les gens que je représente. C’est une manière de faire apparaître leur personnalité ou leur psychologie plutôt que d’essayer de projeter quelque chose sur leur forme. J’aime bien le terme « blank » en anglais. Les sculptures que je fais sont « blank », elles sont faites pour être remplies par ce que les gens projettent sur elles. En tant qu’auteur, je ne cherche pas à retranscrire leur ressenti mais juste à être à l’écoute et laisser au spectateur compléter ce qu’il y a de l’ordre des sentiments. C’est aussi la raison pour laquelle je fais des sculptures floues car on a l’impression d’avoir affaire à des fantômes avec une seule surface. Ce qui m’intéresse dans les deux cas, c’est la silhouette, le corps, le côté physique de la posture, qui permet leur identification quelque part. Ce ne sont pas les traits du visage qui révèlent la personne mais sa posture et sa manière de bouger.
Pour vos sculptures précédentes des architectes et des producteurs de musique, vous avez utilisé un scan 3D. Avez-vous fait de même pour les sculptures qui vous ont servi de base pour vos œuvres en marqueterie ?
Oui, c’est la même technique qui évolue. C’est de plus en plus rapide et lègère. J’étais au Japon au mois de mai pour faire le portrait d’une famille de comédiens de kabuki et les scans ont été bien plus rapides que pour la série des producteurs de musique il y a huit ans.
On voit sur votre Instagram votre réalisation d’un rideau de 9 000 points d’organza qui bougent légèrement pour la cérémonie d’Onoe Maholo, un acteur kabuki âgé de 10 ans, au Théâtre Kabuzia à Tokyo. Comment s’est passée cette commande ?
https://www.veilhan.com/#!/en/work/1042
J’ai rencontré ses parents lors d’une exposition que j’ai faite au Japon il y a 15 ans et nous sommes restés en contact. Sa mère, Terajima Shinobu, a gagné le prix Silver Bear pour la meilleure interprétation féminine au Festival international du film de Berlin en 2010. Je leur ai donné un exemplaire du catalogue de mon exposition, « Dessins de confinement », au Musée d’art moderne de la Ville de Paris l’année dernière. Le fils a vu un dessin qui lui a plu et il a demandé que ce soit mon dessin qui apparaisse sur le rideau. C’était une expérience très émouvante puisque c’était le passage vers l’âge adulte d’un enfant de 10 ans. Selon les rituels de kabuki, il y avait tous les membres de la famille sur scène sauf la mère car dans la culture japonaise la femme ne joue pas de rôle dans le théâtre kabuki. J’ai fait des scans en 3D pas seulement de cet acteur mais de sa mère, son père et son grand-père pour un portrait de famille. C’est un travail que j’ai développé sans savoir où il serait présenté.
Vous avez dessiné de manière prolifique pendant les confinements du Covid-19, réalisant des centaines de dessins principalement géométriques à l’aide d’une règle, d’un compas et de feutres. Quelle a été votre expérience de la pandémie ?
J’étais confortablement installé mais privé du rapport avec l’atelier. Je pouvais y aller mais c’était vide et je n’avais pas mes assistants pour m’aider. Je devais trouver un moyen de faire les choses, seul, et j’ai commencé cette série de dessins, c’est devenu presque un jeu quotidien. Plusieurs fois par jour, je m’habillais, je dessinais sans savoir ce que j’allais vraiment faire. J’ai monté une exposition au Japon où je n’ai pas pu me rendre, j’ai dû organiser les choses virtuellement. C’était un peu frustrant mais intéressant aussi.
Vous avez collaboré sur trois défilés pour la maison Chanel. Pour le défilé haute couture de printemps/été 2023, vous avez créé un bestiaire stylisé. Pourquoi avez-vous accepté de collaborer sur ces projets éphémères ?
Virginie Viard, directrice artistique de Chanel, m’a demandé de réfléchir à des choses et de les développer pas pour un défilé mais pour trois défilés, sur la durée. Ça sort un peu de cette répétition toujours hystérique inhérente à la mode. Il y avait surtout la possibilité de faire quelque chose d’un peu différent. Je suis assez curieux des techniques et des technologies. Là, on a pu travailler assez rapidement et voir le résultat sur une échelle que je ne connaissais pas. Maintenant, on est en train de travailler sur un film et un livre pour raconter cette expérience.
Au mois de septembre, vous avez eu votre première exposition à Rio de Janeiro, à la galerie Nara Roesler. Pensez-vous que votre travail soit perçu différemment selon chaque culture ?
C’est une très bonne question et mystérieuse aussi car beaucoup de choses dans l’art sont basées sur l’incompréhension. Un des intérêts de monter des projets à l’étranger, c’est que nous sommes tous un peu pareils mais culturellement il y a énormément de différences d’un endroit à l’autre. L’art est presque une raison d’être pour tester ces malentendus.
Vous avez collaboré avec le patineur Stephen Thompson et le scénographe Alexis Bertrand sur « Compulsory Figures » (2019), une installation et une performance consistant en des cercles dessinés sur une patinoire à La Villette. Comment ces collaborations enrichissent-elles votre pratique ?
C’est très important pour moi d’essayer de faire des films et des spectacles. Quand je n’arrive pas à faire quelque chose dans l’atelier ou une exposition, je crée un spectacle ou un film. Avec Alexis Bertrand, je travaille sur un nouveau spectacle qui s’appelle « Tout l’Univers ». On explore toujours plus loin la galaxie mais on n’arrive plus à appréhender les dimensions tellement incroyables. Donc c’est un spectacle vivant avec des tout-petits moyens autour de la poésie de l’existence qui est impossible à mesurer. On travaille sur une structure métallique comme une grue, qui peut tourner et recevoir des écrans, avec des acteurs autour. On travaille avec le compositeur Frédéric Lo et la pianiste Ève Risser. C’est un spectacle qui sera créé en novembre et en tournée ensuite. Nous le produisons avec lebeau & associés, en coproduction, entre autres, avec le Théâtre National de Bretagne, les SUBS à Lyon et avec le soutien de la Fondation d’entreprise Hermès.
Vous avez exposé au Château de Versailles et vous avez représenté la France à la Biennale de Venise. Que voudriez-vous faire d’autre ?
J’aimerais bien travailler sur un projet qui n’est pas encore défini. Je cherche une idée sur laquelle je pourrais travailler sans institution, sans galerie, sans invitation, juste travailler avec mon équipe à l’atelier, essayer de développer quelque chose pour après la montrer.
Est-il vrai que vous développez un projet dans la campagne de Boissy-le-Châtel, où se situe la Galleria Continua Les Moulins ?
Oui. À l’origine des Moulins [qui s’agit d’une ancienne usine] est le couple d’artistes Lucy et Jorge Orta. Ils ont acheté cet endroit et ont vendu une partie à la Galleria Continua que je connais bien. Ce qui m’intéresse là-dedans, c’est cette dynamique. C’est plus intéressant qu’être tout seul à la campagne. En même temps, j’ai envie que ce soit un projet personnel. J’ai demandé aux architectes Lacaton et Vassal, qui ont remporté le prix Pritzker en 2021, de construire un bâtiment [sur une parcelle acquise auprès de Lucy et Jorge Orta]. Mon souhait est d’avoir un espace qui soit libre pour développer des projets et monter des collaborations. Je veux l’ouvrir à des gens plus jeunes pour qu’ils puissent travailler avec des musiciens et répéter des spectacles. On pourra aussi l’utiliser pour des tournages ou travailler autour du design de meubles et de luminaires car j’aime le design aussi. Je pense que dans un an ce devrait être terminé.
Propos recueillis par Anna Sansom
Credit photos :
Image I : Vue de l’exposition de Xavier Veilhan Portrait Mode à la galerie Perrotin, Paris, 2023. Photo: Claire Dorn. ©VEILHAN/ADAGP, Paris, 2023. Courtesy of the artist and Perrotin
Image II : Xavier Veilhan, Lyllie n°1, 2023 ©VEILHAN / ADAGP Paris, 2023 Courtesy of the artist and Perrotin
Image III : Vue de Studio Venezia, Pavillon Français de la 57ème Biennale de Venise, 2017. Photo : Giacomo Cosua & © Xavier Veilhan / ADAGP, Paris 2023
Image IV : Vue du défilé Chanel Printemps-Été 2023. Image Credits : © CHANEL
Image V : Vue de Compulsory Figures à la Grande Halle de la Villette, 2019-2020. Photo : Maud DHILLIT & © Xavier Veilhan / ADAGP, Paris 2023
Galerie Perrotin, 76 rue de Turenne, 75003 Paris, until 29th July 2023
https://leaflet.perrotin.com/view/527/portrait-mode
https://www.veilhan.com/#!/en/news?y=0&x=1