Christophe Chassol
Portraits of a Decade
Cet album m’a permis de faire une rétrospective de ces dix dernières années, de tous mes travaux et de mes recherches.
En décembre dernier, Christophe Chassol se produisait pour Cartier sur la Place Vendôme avec un concert de Nöel composé avec l’Orchestre de Paris de Lionel Sow. Aujourd’hui, le compositeur français partage cette pièce inédite dans son premier album de Noël, “The Message of Xmas”, disponible le 4 décembre. L’occasion pour Say Who de le retrouver dans son studio, à un an d’intervalle, pour faire le bilan d’une année 2020 difficile pour la culture, mais aussi d’une décennie (en musique) faite de rencontres, de voyages et de découvertes…
Cette interview est la première d’une série diffusée pour accompagner notre livre anniversaire Portraits of a Decade, dans laquelle nous invitons des personnalités proches de Say Who à revenir sur la décennie passée.
La dernière fois que l’on s’est entretenus, c’était il y a tout pile un an, juste avant ton concert pour Cartier sur la Place Vendôme. Qu’est-ce qui t’a poussé à vouloir en faire un album de Noël ?
En effet, j’ai créé cette pièce l’année dernière avec Cartier pour ce concert devant leur boutique sur la Place Vendôme. J’avais beaucoup aimé travailler sur ce projet et je me suis dit que ça valait le coup d’en faire un disque. L’album de Noël, c’est un peu un passage obligé, et je ne m’y étais jamais essayé. Le projet étant arrivé fin 2019, il m’a aussi permis de faire une rétrospective de ces dix dernières années, de tous mes travaux et de mes recherches. J’ai pu mettre dans cette pièce de vingt minutes toutes les techniques d’auto-sampling – une technique que je développe depuis les années 2000 – des techniques minimalistes de composition à la Steve Reich ou Terry Riley, des processus graduels de transformation… De l’ultrascore aussi: j’ai harmonisé un extrait des vœux de la Reine d’Angleterre, dont j’ai délié la mélodie pour la faire chanter au chœur de l’Orchestre de Paris dirigé par Lionel Sow.
Peux-tu me parler de la pochette ?
Elle représente un peu ce fantasme des pochettes d’album des années 60-70 d’artistes américains qui font leur “Christmas Special”. On l’a copiée d’un magazine qui s’appelle Ebony dans lequel on pouvait voir, par exemple, Marvin Gaye en Père Noël. Cette fois, ce n’est pas de la musique qui débute avec une image, mais elle en convoque pas mal. Une des pièces, “Sweet Jesus”, est en réalité un de mes travaux d’étudiant au Berklee College of Music en 2002. Je n’ai jamais eu l’enregistrement parce que mon professeur l’avait gardé ! Aujourd’hui, je suis très content de l’avoir enfin ré-enregistrée.
La culture de Noël a-t-elle une signification particulière pour toi ?
Les musiques associées à Noël font partie de ma culture d’apprentissage de l’orchestration. J’ai beaucoup écouté Barbra Streisand et Baccara et j’adore écouter les arrangements des cors et des “french horns” qui apportent la chaleur de la cheminée et contrastent avec la rudesse de l’hiver. Et puis les cloches, les célestins…
Le disque s’accompagne-t-il d’un film ?
Pas celui-ci, en revanche on sort “Ludi” en film ! On a sorti l’album en mars dernier, juste avant le confinement, juste à temps pour que je puisse en faire la promotion. Seuls les gens qui sont venus en concert ont pu voir le film, il n’était pas disponible autrement. Aujourd’hui, on le sort en streaming sur mon site, et j’en suis très content puisque le public n’avait vu que la moitié du travail jusqu’à aujourd’hui ! Du coup, on comprend mieux la musique de tout l’album.
Comment as-tu vécu l’année 2020 en tant que créatif ?
J’ai plutôt bien vécu le premier confinement parce que j’avais pu faire la promotion de mon disque juste avant, et j’avais aussi l’envie de lever le pied. Mais c’était aussi difficile sachant les situations intenables que cela engendrait pour beaucoup de gens. Moi, je me suis plongé dans le travail, et j’étais avec ma famille. Au final, j’ai fait plein de choses : j’ai trié tous mes disques durs, j’ai retrouvé pleins d’anciens travaux, des idées que j’avais mises en suspens, je bossais beaucoup sur l’harmonisation d’artistes de stand-up, sur les oiseaux… J’ai fait une cover d’un morceau de Stephen Sondheim, de la comédie musicale “Company”, “(Not) Getting Married Today”, avec la chanteuse Ala.ni. J’ai aussi composé une musique de film pour un court-métrage, “Vanille”. J’ai aussi beaucoup travaillé le piano.
Ton travail repose beaucoup sur la collaboration avec d’autres artistes. Comment as-tu gardé cet aspect collaboratif pendant le confinement ?
J’ai justement fait avec Ala.ni cette cover du morceau de Sondheim, et j’ai travaillé avec mon équipe à distance : mon ingénieur du son Renaud Thill qui a mixé, mon batteur Mathieu Edward qui a fait un beat, Ala.ni au chant, Boris mon manager a fait les sous-titres et Etienne Gueriaux, qui est le monteur avec qui j’ai fait “Ludi”, qui a monté les images.
Qu’est ce que tu écoutes en ce moment ?
Chaque semaine, j’ai une chronique à faire pour France Musique, donc je me plonge à chaque fois dans un artiste différent. Ces temps-ci, j’écoute Guillaume Connesson, qui est l’artiste français que je préfère. C’est de la musique symphonique à la John Adams, avec de la vitalité, de l’humour et des orchestrations brillantes. J’écoute toujours beaucoup de musique indienne classique. Ces derniers temps, je me suis plongé dans le travail de David Shire, un compositeur de musiques de films que je ne connaissais pas bien, et je découvre des bandes originales de films des années 70, en particulier “The Taking of Pelham 123”, qui a eu un remake avec Denzel Washington. J’écoute aussi beaucoup ASAP Rocky, dont “Angels”, un morceau de son premier album.
Sur quels projets travailles-tu ?
Je prépare un film pour la ville de Bruxelles et une musique de défilé pour une grande marque… Je prépare aussi une création autour des oiseaux pour le Musée d’Orsay dans le cadre d’une exposition sur la nature et les sciences titrée “Les Origines du Monde”.
Tu disais en début d’interview avoir fait une rétrospective sur ces dix dernières années. Comment considères-tu l’évolution de la scène culturelle, à Paris notamment, depuis 2010 ?
Elle est assez paradoxale. J’ai l’impression que c’est comme nager dans Babylone, mais en même temps je pense que beaucoup de choses restent ouvertes. J’ai pas mal voyagé pendant cette décennie, et j’ai longtemps considéré Londres comme LE vrai carrefour international, et finalement je me dis qu’à Paris il y a eu du mouvement aussi.
Quel a été l’événement marquant de ces dix ans pour toi ?
Pour moi, la réélection d’Obama, le mariage gay, la crise migratoire… Mais peut-être que le plus marquant restera le mouvement #METOO parce qu’il a initié un vrai changement de paradigme. On a vu quelque chose avec de l’effet, quelque chose changer dans la psyché des gens. En matière d’écologie aussi, il y a eu un moment au cours des dix dernières années où la question de la protection de l’environnement est devenue prépondérante.
Et dans la musique ?
Là où moi j’ai vu des innovations, c’est dans le rap avec des gens comme Kendrick Lamar. Et puis avec l’hégémonie de Netflix et la masse de films et séries qui ont été produites, j’ai vu un changement dans les musiques de films que je trouve de bien meilleure facture depuis cinq ans par rapport à tout ce que j’ai pu entendre depuis la fin des années 1980. J’ai l’impression qu’il y a une nouvelle liberté par rapport aux grands studios habituels. Ce sont dans ces deux champs là, que j’ai trouvé le plus d’innovations.
La personnalité de la décennie pour toi ?
En France, je dirais Christiane Taubira, non seulement pour le mariage gay mais aussi pour la manière qu’elle a eu de répondre aux insultes et au déferlement de haine.
Es-tu beaucoup sorti au cours des dernières années ? Quand tu sortais, quel était ton lieu préféré, ton repaire ?
Je suis beaucoup sorti de 2010 à 2016, et puis il s’est passé un truc dans ma vie qui a tout changé : j’ai eu un enfant ! Avant ça, je faisais mes tours très tard le soir, j’allais souvent à la brasserie Karlsbrau qui était tout le temps ouverte, après être passé au Tambour, rue Montmartre. On y voyait des gens de tous genres: des freaks, des bourgeois, etc. C’est là que j’écrivais mes notes pour mes albums, j’y étais presque tous les soirs. On pouvait aussi beaucoup me croiser au cinéma du Forum des Halles.
As-tu encore des anecdotes de soirée qui ne te quittent pas ?
Je n’ai pas arrêté de tourner depuis 2007, et c’est vrai que j’ai beaucoup d’anecdotes, notamment une de mes tournées en Inde. Le dernier concert de la tournée avait lieu dans le désert de Jodhpur, à sept heures de taxi de toute civilisation. J’y ai joué sous la pleine lune, à minuit, et j’ai fini par un DJ set dans les dunes. J’y ai perdu mon téléphone portable, le dernier soir de la dernière date. Et surprise, quelqu’un me l’a rendu deux jours plus tard, à Paris, à Denfert-Rochereau !
Au final, quel bilan tires-tu de cette rétrospective ?
Dix années chargées, exotiques parce que j’ai beaucoup voyagé, une décennie riche en rencontres. Des questions assez passionnantes en matière de musique. Pour moi ça a été aussi cinq albums et beaucoup de collaborations, j’ai travaillé avec des Américains comme Solange ou Frank Ocean. Ça été une époque très rapide, brutale même, assez “vénère” !
2010 – 2020, c’est aussi nos dix ans… Pour toi, c’est quoi Say Who ?
Ah! Say Who peut aider à ne pas se retrouver dans une situation de gêne extrême quand on a oublié le visage ou le nom de quelqu’un ! En fait, pour moi, Say Who est un Post-it de luxe !
Interview: Maxime Der Nahabédian
Portraits: Jean Picon