Eva Jospin
Promenade(s) en Champagne: Carte Blanche à Eva Jospin
‘Le principe de la carte blanche est très intéressant car le projet voyagera dans toutes les grandes foires d’art contemporain du monde pendant un an’
Après des noms aussi prestigieux que Vik Muniz, David Shrigley et Jeppe Hein, Eva Jospin est la dernière artiste en date à bénéficier de la carte blanche de Ruinart.
Inspirée par la région champenoise et les vignobles de Ruinart, Eva Jospin a créé une exposition sinueuse, « Promenade(s) », avec des sculptures en carton incroyables, visible au Carreau du Temple, à Paris, jusqu’au 12 mars 2023.
Eva Jospin est une alchimiste dans la façon dont elle transforme le modeste matériau qu’est le carton en sculptures densément stratifiées. Entre ses mains, le carton est élevé au rang d’œuvre d’art et métamorphosé en évocation de la géologie du terrain et des caves de craie labyrinthiques de Ruinart.
Dans l’exposition, on découvre aussi des broderies de forêts, des dessins, des sculptures murales ondulantes et des vidéos sur les travaux d’études effectués par Eva Jospin à Ruinart. Elle a également réalisé un coffret en édition limitée pour le jéroboam de Ruinart Blanc de Blancs.
Née en 1975, Eva Jospin – fille de l’ancien Premier ministre Lionel Jospin – a étudié à l’Ecole nationale supérieure des Beaux-Arts. Elle a notamment exposé dans la cour carrée du Louvre, où elle a présenté une œuvre architecturale avec une forêt sculptée dans du carton, et au musée de la Chasse et de la Nature, où ses sculptures de grottes faisaient penser au parc des Buttes-Chaumont.
Eva Jospin a également collaboré avec la maison Dior. Maria Grazia Chiuri, la directrice artistique de Dior, l’a invitée à créer une installation poétique pour le défilé haute couture automne-hiver 2021-2022 au Musée Rodin. Intitulée « Chambre de soie », cette dernière faisait penser à une forêt enchantée avec des murs recouverts de broderies exquises capturant les différentes saisons. Par la suite, Maria Grazia Chiuri a donné carte blanche à Eva Jospin pour imaginer une grotte baroque sublimant le carton, « Nymphées », pour le défilé prêt-à-porter printemps-été 2023 dans le Jardin des Tuileries en septembre dernier.
Pourquoi avez-vous accepté la carte blanche de Ruinart ?
C’est un projet fantastique, une collaboration avec une maison de champagne que j’adore par ailleurs. Ruinart accompagne depuis longtemps les artistes, pas seulement avec la carte blanche mais aussi dans son domaine. Le principe de la carte blanche est très intéressant car le projet voyagera dans toutes les grandes foires d’art contemporain du monde pendant un an où les collectionneurs et les amateurs d’art découvriront les œuvres. J’ai donc travaillé sur l’idée qu’il y aura toujours des recompositions des œuvres qui seront montrées ensemble selon la foire.
Vous avez effectué des recherches sur les terres de Ruinart, ses vignes, ses caves de craie…
Je suis allée à Ruinart trois ou quatre fois à des périodes différentes ; j’ai ainsi pu observer tous les cycles de la vigne et la vinification. J’ai découvert qu’il y avait des fils invisibles entre les vignes, les racines et les caves souterraines de craie. J’ai voulu travailler sur l’idée des liens secrets entre le dessus et le dessous et sur la cathédrale de Reims, un symbole de l’Histoire de France.
Quel a été votre point de départ pour l’exposition ?
J’ai commencé par le dessin « Carmontelle » – un dessin roulé tendu entre deux bobines, qui rend hommage aux origines de Ruinart, au XVIIIe siècle. Je voulais exprimer l’idée de la métamorphose et comment quelque chose de simple comme le raisin devient une bouteille de Ruinart à travers un long processus de transformation. Ensuite, il y a la forêt en bas-relief, les broderies, ce que j’appelle les « chefs d’œuvre » –les sculptures en carton – avec une architecture entre les grottes, et des dessins ondulants qui ressemblent à une carte mais qui pourraient aussi être vus d’en haut. Il y a une arche gothique (dans la salle principale) qui est comme le cœur battant de l’exposition et fonctionne en étoile, avec partant de là toutes les branches qui se transforment. La grande installation est une œuvre qui m’appartient et que j’ai montrée pour la première fois en Italie.
Pourquoi avoir choisi le carton comme matériau de prédilection ?
Au départ, je voyais de toutes autres dimensions pour mes œuvres, je n’avais pas encore de beaux projets comme celui pour Ruinart et pas forcément les moyens pour réaliser les œuvres dans d’autres dimensions. J’avais envie d’utiliser le carton car c’était une matière qui était disponible à profusion, partout, que je pouvais prendre dans la rue. J’ai commencé à ramasser des quantités assez énormes et à travailler sur la thématique des forêts. Et il y avait cette idée de circularité de boucle depuis la forêt, puis ça devient un papier et le carton c’est beaucoup de papier recyclé. Ce n’est pas le plus beau papier même si je trouve ça magnifique. J’ai commencé a développer tout un vocabulaire de gestes et une façon de travailler. Quand on part d’un matériau unique, il faut réfléchir à la façon dont on va représenter des choses et inventer des formes. Mon travail est un exercice d’abstraction même si c’est une œuvre figurative, mais mon travail n’est jamais réaliste. Ce ne sont pas de vraies plantes ou des choses qui existent réellement. C’est une recomposition complète par l’artifice d’un matériau extrêmement familier, avec cette sensation de reconnaissance, mais si on regarde en détail, ce n’est pas réaliste.
Faites-vous beaucoup de recherche afin de pouvoir réaliser un projet ?
Sur certains projets que je n’arrive pas à mener immédiatement, ça me permet de rêver sur mon sujet en attendant de pouvoir le faire. Par exemple, quand je voulais faire le projet « Panorama » – dans la cour carrée du Louvre –, je me suis beaucoup documentée sur les panoramas, ça me permettait de patienter. Le projet de broderie que j’ai réalisé pour la maison Dior pour la haute couture, c’est quelque chose que j’avais en tête depuis quatre ans. Je voudrais faire un jardin, donc j’imagine et je dessine mon futur jardin avec des folies architecturales en attendant que ça puisse se faire réellement. J’aime énormément toutes les questions sur l’architecture des fêtes – un défilé est une architecture de fête, aujourd’hui – et je pense un jour qu’il y aura un projet spécifique autour de ça. Mais je vais voir où et comment je vais procéder. Souvent, je rêve assez longtemps avant de me lancer. Tous les projets de grottes, j’avais envie de les faire absolument, immédiatement, mais je ne les ai pas concrétisées tout de suite car c’était plus important de d’abord creuser d’autres sillons.
Que pensez-vous du rôle des maisons de couture et de luxe en tant que mécènes des arts aujourd’hui ?
Mes collaborations sont toujours avec des maisons qui ont un lien très fort avec l’art contemporain. La directrice artistique de Dior, Maria Grazia Chiuri, est une collectionneuse et elle fait toujours appel à une femme artiste pour réaliser la scénographie de ses défilés. On pourrait critiquer cette transversalité, mais c’est une manière de diffuser le nouvel intérêt pour l’art contemporain, qui est très fort aujourd’hui, ce qui n’était pas le cas il y a vingt ans. Les artistes étaient comme des stars dans les années 1950 ; tout le monde reconnaissait Picasso dans la rue. Mais aujourd’hui, les artistes ne font pas partie de la culture de masse, donc ça permet de garder des points de rencontre entre les gens et l’art. C’est la variété des choses qui m’intéresse, et aussi de faire des expositions dans des musées.
Propos recueillis par Anna Sansom
Photos : Mathieu Bonnevie / Joseph Jabbour / Flavien Prioreau / Tomy Do / Jean Picon
Promenade(s) en Champagne, Carreau du Temple (10-12 mars 2023)
https://www.ruinart.com/fr-e/experiences/carte-blanche-2023