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23.01.2025 Au Départ, Paris #lifestyle

Michael Dupouy

Rencontre avec le fondateur de la série « All Gone »

“Il faut s’extraire de l’influence algorithmique, aller là où personne ne vous recommande d’aller, voyager sans plan préconçu, faire des choix spontanés”

En janvier dernier, à l’occasion du lancement du nouveau numéro de la série « All Gone », nous avons eu l’opportunité d’échanger avec son créateur et éditeur, Michael Dupouy. Aussi connu en tant que La MJC, une entité de communication qu’il co-fonde avec Julien Cahn en 2001, ce collectionneur passionné nous en dit plus sur la genèse et le principe qui anime le livre. Désormais une publication culte, « All Gone » regroupe le meilleur de la street culture chaque année.

Vous êtes à la fois auteur, éditeur, cofondateur d’une agence de création, collectionneur, et même commissaire d’exposition. Comment vous définissez-vous ?

MICHAEL DUPOUY : 

Je me définis comme passionné, ayant toujours cherché à transformer mes passions en métier.

À mi-chemin entre un catalogue et une collection, la série de livres « All Gone » présente une rétrospective annuelle du meilleur de la street culture. Comment l’idée est-elle née ?

MICHAEL DUPOUY : 

J’ai commencé à écrire sur cette culture dès mes débuts dans le journalisme, à une époque où elle restait confidentielle, réservée à un public averti. Avec l’essor des réseaux sociaux au début des années 2000, beaucoup prédisaient la fin imminente des médias papier, des magazines et des fanzines—des formats qui m’avaient pourtant permis d’explorer et d’apprécier cette culture tout en contribuant à son rayonnement.

 

Je n’ai jamais adhéré à cette idée de disparition. Plutôt que de lancer un énième mensuel, All Gone est né avec l’ambition de documenter et sublimer les pièces les plus marquantes de la street culture : collaborations exclusives, objets devenus cultes, tout cela mis en lumière par des photographies et des textes soignés, dans un écrin à la hauteur de leur importance.

 

Depuis 2006, All Gone paraît chaque année, devenant au fil du temps un objet de collection, un almanach, une encyclopédie pour certains. Contrairement au web, outil formidable pour parler d’une sortie à venir, le livre capture ce qui s’est passé et le fige dans le temps. Essayez donc de demander à Google quels étaient les produits les plus marquants de 2006… All Gone est là pour ça.

Le titre fait-il allusion au rythme effréné de notre société ?

MICHAEL DUPOUY : 

Pas vraiment. Il renvoie aux objets collectors qu’il documente, ces pièces d’exception qui disparaissent des étagères en quelques minutes après leur sortie.

Ce nouveau numéro témoigne de près de 20 ans de suivi de la street culture. Peut-on dire que la série est devenue une véritable archive anthropologique ?

MICHAEL DUPOUY : 

Je ne pousserais pas la définition jusque-là. Depuis 18 ans exactement, All Gone constitue une archive chronologique qui témoigne de l’énergie, du dynamisme et de l’évolution constante de cette culture, passée de l’underground au phénomène global le plus consommé au monde en à peine trois décennies.

 

Chaque année, All Gone explore pourquoi et comment ces objets issus de la street culture deviennent iconiques, tout en donnant la parole aux acteurs majeurs et en dévoilant les histoires cachées derrière chaque produit : les artistes invités, les lieux de lancement, les dates marquantes…

Quels sont les principaux mouvements que vous avez identifiés sur cette période ? Existe-t-il des schémas récurrents ou des tendances intemporelles ?

MICHAEL DUPOUY : 

Le changement le plus marquant en 18 ans reste l’évolution d’une culture de niche vers une culture de masse. Cette démocratisation s’est accélérée grâce à des collaborations de plus en plus ancrées dans l’univers du luxe, faisant tomber les barrières entre “street” et “luxe”, entre “street” et “fine art”, au point qu’aujourd’hui, le terme street pourrait être remplacé par pop.

 

Si la street culture est devenue pop culture, c’est parce qu’elle a su s’infiltrer dans toutes les strates de nos sociétés. Ses codes vestimentaires, son langage, son esthétique ne sont plus des éléments marginaux : ils sont devenus dominants.

La toute première page s’ouvre sur de grandes lettres en noir et blanc indiquant « Survival of the Fittest » (la loi du plus fort). Faut-il y voir un avertissement ?

MICHAEL DUPOUY : 

Oui, absolument. C’est la première fois depuis que j’écris l’introduction de All Gone que je limite mon optimisme. Pendant près de 20 ans, la street culture a défié les crises économiques, poursuivant sa croissance envers et contre tout. Pourtant, en 2024, elle a rencontré ses premières vraies turbulences : un ralentissement économique marqué et une baisse d’intérêt chez une partie de son public.

 

Elle a aujourd’hui besoin d’un reset complet pour retrouver son énergie, son dynamisme et sa communauté la plus fidèle.

 Dans une société au rythme de plus en plus effréné, qui accorde une grande importance au visuel et qui joue sur une capacité de concentration réduite, comment développer son propre goût ? 

MICHAEL DUPOUY : 

Le téléphone portable et les réseaux sociaux ont uniformisé les goûts, les rendant plus aseptisés. La street culture est devenue screen culture. Mon introduction dans un ancien All Gone citait Snoop Dogg et son légendaire rolling down the street—je l’avais détourné en scrolling down the street, et ce n’était pas un bon présage.

 

Retrouver une singularité dans ses choix musicaux, vestimentaires, cinématographiques, culinaires est devenu un défi, mais c’est indispensable pour se démarquer. Il faut s’extraire de l’influence algorithmique, aller là où personne ne vous recommande d’aller, voyager sans plan préconçu, faire des choix spontanés.

 

En bref : se couper du bruit pour retrouver un point de vue personnel, s’y tenir et avancer malgré la meute.

Alors que la street culture est issue de communautés marginalisées et de sous-cultures urbaines, la plupart des marques présentées dans « All Gone » appartiennent au domaine du luxe et sont loin d’être considérées comme marginales. Faut-il redéfinir le concept ?

MICHAEL DUPOUY : 

La question a déjà été effleurée plus haut, mais votre constat n’est pas totalement exact. All Gone documente aussi de nombreuses marques indépendantes, souvent invisibilisées par les médias traditionnels. Elles trouvent ici une reconnaissance et une plateforme.

 

Bien sûr, il y a des acteurs dominants qui façonnent le marché et captent l’attention, mais il suffit de parcourir les pages pour voir que des talents émergents y ont aussi leur place. Esperanza Rosas, alias Runsy Studios, y figure pour la première fois. Caroline Hu y apparaît également cette année. Kids of Immigrants et leur collaboration avec Nike sont présents.

 

La culture street est aujourd’hui un phénomène global et commercialement colossal. Mais All Gone s’efforce toujours d’accorder une place à la nouvelle génération et aux outsiders qui font bouger les lignes.

La couverture de ce numéro reprend le monogramme de la marque « Au Départ ». Quelle est l’histoire de votre collaboration avec cette maison française ?

MICHAEL DUPOUY : 

En 2024, Au Départ a connu… un nouveau départ. Avec l’illustre Hiroshi Fujiwara—véritable godfather du streetwear au Japon—la marque s’inscrit dans une dynamique de renouveau, cherchant à établir un lien plus profond avec son époque et la culture qui l’entoure.

 

Associer All Gone à une maison à l’héritage si fort est une immense fierté. Le livre est aussi un objet français, conçu et imprimé à Paris, mais distribué aux quatre coins du monde : de Mexico à Taïwan, du Japon au Koweït. Depuis des années, les signatures se tiennent sur plusieurs continents, de Séoul à Mexico.

 

Les synergies entre Au Départ et All Gone étaient donc naturelles. Pour 2025, le monogramme historique de la marque orne nos couvertures, scellant cette alliance entre tradition et modernité, et ceci me rend totalement satisfait.

 

 

Propos recueillis par Say Who

Photo : Cédric Canezza

 

 

 

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