SetP Stanikas
Rencontre avec Svajoné et Paulius Stanikas
Le duo d’artistes Svajoné et Paulius Stanikas inaugure la Saison de la Lituanie en France avec cette nouvelle exposition à l’Ambassade de Lituanie. Originaires de Vilnius, mais vivant à Paris une partie de l’année, ils font le lien entre les deux pays et reviennent sur la question des origines, mais aussi sur l’état de notre monde. Rencontre sur le lieu de leur nouvelle exposition, quelques jours avant le vernissage…
« Nous sommes des artistes qui n’aimons pas rentrer dans un cadre donné et travaillons toujours sur des médiums très différents »
Comment avez-vous conçu cette exposition ?
Svajoné et Paulius Stanikas :
Quand nous avons eu vent de cette Saison lituanienne, nous avons commencé à réfléchir à quel projet nous pourrions proposer en relation. Nous nourrissons une relation particulière entre ces deux pays, car nous y vivons respectivement une partie de l’année. Au final, il s’est révélé pertinent de faire l’exposition in situ, dans le cœur de l’Ambassade de Lituanie.
Quels sont les principaux thèmes abordés ?
Svajoné et Paulius Stanikas :
De manière générale, nous travaillons souvent sur ce lien entre la Lituanie et la France et avons décidé d’intégrer l’histoire d’Oscar Milosz (1877 – 1939) qui est le premier ambassadeur lituanien. Né sur ce territoire quand il était encore sous le joug de la Russie impériale, il partit faire ses études à l’étranger avant que le pays ne devienne indépendant, en 1918. Il voyagea beaucoup, mais vécut la plus grande partie de sa vie en France et n’est jamais revenu dans son pays d’origine qu’il connaissait assez peu au final. Il faisait vraiment partie de cette intelligentsia lituanienne installée à Paris, où il était aussi poète et écrivain. Cette figure est donc le fil conducteur de l’exposition, où l’on fait le parallèle entre son existence et notre propre vie, en tirant certains éléments de sa création littéraire que l’on a incorporé dans notre travail.
Pourriez-vous nous donner des exemples ?
Svajoné et Paulius Stanikas :
Oscar Milosz cultivait un univers empreint de contes de fées, mêlant tradition et folklorisme, que nous avons pu mêler à des contes français. Il y a par exemple l’histoire d’une jeune fille qui tombe amoureuse d’un serpent et quitte sa famille pour lui. Mais ses frères, dans le but de la sauver, décident de tuer l’animal et elle se met à détester tout le monde… Dans ces histoires, nous aimons cette complexité qui inclut l’amour ou la haine, le fait que, parfois, en voulant engendrer le bien, on ne crée que des mauvaises choses… Les rôles peuvent se trouver inversés.
Ces histoires ne revêtent jamais un sens unique et l’auteur lui-même n’analysait pas ses œuvres qu’à partir d’un prisme littéraire. Ici, cette jeune femme abandonne sa maison natale, et cela la préoccupe beaucoup, alors même qu’elle trouve son bonheur ailleurs. Ceci a mené notre réflexion pour l’exposition, notamment dans la relation que Milosz nourrissait avec la Lituanie, en ne voulant jamais la revoir…
Oscar Milosz n’est donc jamais retourné dans son pays d’origine ?
Svajoné et Paulius Stanikas :
Non, et même quand il a été invité à devenir Ministre des Affaires étrangères en Lituanie, il l’a refusé. Il avait sa propre conception du pays et voulait demeurer dans cette vision un peu mythique et romanesque, plus ou moins proche des contes de fées qu’il avait imaginés et qui, bien entendu, ne reflétaient pas la réalité.
Peut-on faire un lien avec votre propre histoire ? Car vous avez grandi à Vilnius mais vous résidez une partie de l’année à Paris depuis 2003.
Svajoné et Paulius Stanikas :
On y voit, en effet, des similarités. La patrie est comme une mère. Elle peut être méchante… elle peut n’être pas être belle… mais on l’aime quand même. Quand on est loin de sa patrie, ce qui était le cas d’Oscar Milosz, on en a une vision distanciée, un peu idéalisée. Nous aimons ce lien entre le lointain et le rapproché.
Quels ont été vos apprentissages en Lituanie ?
Svajoné et Paulius Stanikas :
Moi, Paulius, je suis diplômé en économie, ce qui peut paraître un peu paradoxal… Mais cela m’a permis de ne pas faire le service militaire, à l’époque où nous étions en guerre contre l’Afghanistan. Toutefois, mon grand-père était un des sculpteurs les plus célèbres de l’époque soviétique et j’ai grandi au milieu de ses œuvres, donc j’ai toujours été imprégné d’art. Moi, Svajoné, j’ai fait l’Académie des arts de Vilnius, dont l’éducation portait surtout sur une peinture académique ou post-impressionniste. Mais nous sommes des artistes qui n’aimons pas rentrer dans un cadre donné et travaillons toujours sur des médiums très différents.
Dans l’exposition, vous présentez d’ailleurs du dessin, de la photographie, de la sculpture, des installations et de la vidéo… Comment vous emparez-vous de chacun de ces supports ?
Svajoné et Paulius Stanikas :
Nous travaillons chacun de ces médiums en fonction de ce dont nous avons envie à un moment donné. Nous nous considérons au départ comme des sculpteurs, qui est la base de notre travail, comme on peut le voir par exemple avec une photographie d’une selle de cheval (La langue de princesse) que nous avions découverte à l’École Militaire. Nous l’avons manuellement travaillé avant d’en faire le cliché. Nous nous inspirons des lieux où nous sommes, de nos voyages ou des résidences où nous sommes invités. Par exemple, en hiver, nous allons beaucoup à Buenos Aires où la lumière est parfaite.
Dans cette exposition, nous voyons autant des sculptures qui viennent de l’atelier de votre grand-père, Paulius, que des nouvelles séries de photos grand-format, portant sur le sujet de l’œuf…
Svajoné et Paulius Stanikas :
Oui, car nous aimons employer ce qui nous entoure, sans que nous y mettions une symbolique particulière, comme pourrait le laisser penser l’œuf de cette série nommée Les Origines. Parfois, nous pouvons être un peu sarcastiques, en essayant de provoquer le spectateur… On donne quelque chose à voir qui est librement interprété et peut être autant triste que gai. Nous aimons nous situer entre le bien et le mal, le noir et le blanc, la richesse et la pauvreté, la noblesse et le peuple… Nous aimons les contrastes et la polarité.
Ce qui est particulièrement parlant dans cette installation (Le Brasier de la vie) où l’on voit une vidéo d’une fête folklorique, une faux… aux côtés d’une croix et d’un piano…
Svajoné et Paulius Stanikas :
Cette installation parle en effet du religieux et du profane, mais aussi du monde citadin et rural ou encore de la bourgeoisie (représentée par le piano) et des classes populaires. Mais nous avons aussi joué avec le certain kitsch du lieu, car l’ambassade fut à l’origine la première résidence parisienne du compositeur Ernest Chausson, dont l’intérieur a été décoré par Odilon Redon ou Maurice Denis. Nous avons ainsi incorporé le lieu à notre installation. Nous n’aimons pas être trop directs dans nos propos, mais nous nous situons toujours dans un jeu de balance et d’équilibre.
Cette vidéo sur une fête populaire lituanienne fait penser à des images d’archives. Faites-vous le lien avec l’histoire plus ancienne de votre pays ou avec l’actualité du moment ?
Svajoné et Paulius Stanikas :
Nous ne parlons pas de l’histoire, mais nous nourrissons de l’actualité, même si là-encore, cela ne se voit pas de manière directe. L’environnement est un instrument qui alimente notre œuvre et si nous n’allons pas reproduire une image vue dans la presse, ce qui nous entoure nous influence. Par exemple, en 2021, nous avons fait une grande série de dessins qui se nomme Priez pour nous. A cette époque, personne n’imaginait que la guerre entre la Russie et l’Ukraine allait se produire, mais les artistes pressentent ce genre de choses et des œuvres sur la guerre se sont imposées à nous. Avant qu’elle n’ait lieu, nous avons représenté, à quatre mains, des bombes, des roquettes américaines, russes, des gratte-ciels… Ces dessins nous parlent de politique et d’histoire, mais de manière non littérale. De manière générale, nous développons le thème de l’humain et de l’existence. Nous nous interrogeons : qui sommes-nous ? Pourquoi sommes-nous ici ? Où allons-nous ?…
Exposition : Les Origines – SetP Stanikas, sous le commissariat de Julia Palmeirao
Propos recueillis par Marie Maertens
Photos : Jean Picon