Urs Fischer
La routine m’est fatale : j’ai besoin de diversifier ma pratique
« Pour moi, l’art n’est pas comme une chanson à la radio qui procure un frisson instantané : c’est quelque chose qui pénètre lentement dans l’esprit. »
À la galerie Gagosian de Rome, « After Nature », créé par Urs Fischer, se dévoile comme un monde suspendu. L’exposition se compose de huit nouvelles peintures en aluminium recouvertes de poussière, une sculpture souple qui invite à s’allonger et une installation vidéo qui propose un reflet des visiteurs avec un décalage de cinq secondes. Entrer dans cette exposition, c’est comme pénétrer dans une réalité qui déforme le temps, étire l’espace et transforme des objets et des figures familiers en visions inattendues.
Du 18 septembre au 22 novembre 2025, Fischer présence également « Dance », une sculpture squelettique inspirée de l’oeuvre d’Antonio Canova. Tandis que les visiteurs naviguent de la galerie à la Villa Médicis, la poésie de l’artiste se révèle : respectueuse mais irrévérencieuse, lente mais puissante, capable de modifier la perception, d’interrompre le spectateur, de faire respirer l’art. Nous avons rencontré l’artiste suisse pour parler de discipline, de squelettes et de moments suspendus, et avons découvert que pour lui, l’art ne cherche pas à tout expliquer, mais plutôt à se glisser lentement dans les pensées, à s’y attarder et à y persister longtemps…

Quel message souhaitez-vous transmettre à travers vos œuvres ?
Je ne pense jamais vraiment en termes de message, mais plutôt en termes de discipline : si je le peux, j’essaie de me limiter à un seul thème par œuvre. Lorsque vous surchargez une œuvre avec trop d’éléments, aucun d’entre eux ne parvient vraiment à interagir. Pour moi, l’art n’est pas comme une chanson à la radio qui procure un frisson instantané ; c’est quelque chose qui pénètre lentement dans l’esprit, et qui parfois reste gravé dans votre mémoire en raison du contexte dans lequel vous l’avez vu. C’est comme apercevoir un tableau dans la maison d’un ami : au début, il ne vous plaît peut-être pas, mais après quelques jours, vous commencez à créer une sorte de lien avec cette toile, à dialoguer avec elle.
Votre sculpture « Dance » est exposée à la Villa Médicis, et il s’agit d’une réinterprétation de l’œuvre d’Antonio Canova « La Danseuse aux cymbales » (1809-1812). Ici pourtant, le personnage central est devenu un squelette…
Je travaille avec des squelettes depuis environ vingt-cinq ans. Ils sont arrivés presque par hasard : un jour, j’ai commencé à les sculpter, et depuis, même si je les ai parfois mis de côté, ils reviennent sans cesse, comme ici. J’ai essayé d’intégrer le squelette sans compromettre l’intégrité de l’œuvre de Canova. Les deux figures s’entremêlent, mais de face, la sculpture originelle reste intacte ; je l’ai laissée telle quelle. Mon intervention est visible depuis le côté ou par derrière. C’est une présence supplémentaire, mais pas invasive.

La composition fonctionne précisément grâce à cette rencontre, cette collision…
Exactement. Je voulais également respecter un autre aspect : toutes les sculptures ne sont pas destinées à être vues à 360 degrés, certaines ont clairement un devant et un derrière. J’ai donc essayé de suivre cette logique, en jouant avec l’idée d’une vision spatiale, mais toujours avec une certaine discrétion.

La signification complexe de certaines de vos œuvres peut être interprétée comme une forme de résistance contre le monde actuel, qui semble n’exiger que des réponses claires et définitives. Êtes-vous d’accord avec cette interprétation ?
Puis-je retourner la question ? L’insistance à vouloir à tout prix des réponses claires n’est-elle pas en soi une forme de résistance ? Il existe tellement de façons différentes de voir les choses : je pense qu’en tant qu’artiste, on finit par s’en rendre compte avec le temps, et cela vaut pour beaucoup de collègues et d’amis. Certaines pratiques artistiques sont très puissantes, mais aussi très définies, univoques. Elles ont une vision claire et précise. Mais je n’ai jamais pensé ainsi, même quand j’étais enfant, et je ne le pense toujours pas. Je m’autorise à travailler sur tout ce qui m’intéresse, peu importe ce que c’est. Vu de l’extérieur, cela peut sembler compliqué, et je ne sais même pas si c’est le choix le plus sensé, mais cela reflète ma nature. J’ai des intérêts variés et je ne pourrais pas imaginer passer mes journées dans mon atelier à faire toujours la même chose. J’adore Giorgio Morandi, mais une telle concentration extrême me rendrait fou. Cette hyperconcentration, cela me pousserait à bout.
Et pour terminer cet entretien, une question plus classique : pouvez-vous nous parler de vos futurs projets ?
Je me suis mis à travailler un peu avec le mobilier. À Rome, par exemple, la sculpture centrale est un canapé. Pour le moment, je prends ça à la légère, et c’est très amusant. Je me suis vraiment plongé dans cette nouvelle exploration ces derniers mois.

Texte : Germano D’Acquisto
Portraits : Ayka Lux
Vues d’installation : courtesy of Urs Fischer and Gagosian Gallery Rome

