Simon Liberati
Quelques mois après l’affaire, Frédéric Beigbeder reçoit le Renaudot et vous le prix de Flore… Finalement, ’le crime’ paierait-il ?
Il ne s’agit pas d’un crime mais d’un délit mineur. Frédéric a eu l’art de s’en servir pour un travail d’introspection, moi j’ai rangé l’affaire de l’avenue Marceau dans les pertes et profits, rayon G.A.V.
Allez-vous également vous inspirer de cette anecdote de fêtard pour faire votre propre « roman français » ?
Non.
De par votre amitié avec Frédéric Beigbeder, on a tendance à penser que vous êtes vous aussi un écrivain mondain et noctambule, qu’en est-il ?
Je vis dans l’Aisne à 100km de Paris et je sors très peu. A peine une fois par semaine et encore… Je suis plutôt un noceur quinzomadaire.
Il paraît que l’écrivain est une espèce qui quitte rarement la cage dorée de Saint Germain des Prés. Et vous, sortez-vous ailleurs qu’au Flore et au Montana ?
La plupart du temps quand je suis à Paris je ne quitte pas ma chambre d’hôtel, où je reçois jusque tard des amis de longue ou de fraîche date. Sinon, à part le Montana, je préfère sortir dans les megadiscothèques que dans les clubs. J’adore les boîtes à campeurs en Espagne ou ailleurs.
La vie nocturne est-elle pour vous une source d’inspiration, de réflexion ? Si oui, dans quelle mesure et comment cela s’exprime-t-il ?
Oui, depuis toujours mais à mon corps défendant. Je suis myope, timide, imaginatif et je n’ai pas de conversation… En revanche je bois, je me drogue et je fais très vite confiance aux gens, à n’importe qui en fait. Ce qui m’a conduit dans bien des situations amusantes. Heureusement que je ne suis pas une jolie fille sinon j’aurais morflé en trente ans…
Je suis myope, timide, imaginatif et je n’ai pas de conversation…
Est-ce que « Paris est une fête » ?
Oui. Je n’ai pas le don des langues, je ne connais bien que Paris, j’y suis né et j’y ai beaucoup de souvenirs… Par ailleurs je trouve la nuit plus drôle aujourd’hui qu’il y a dix ans. Le dernier endroit où je me suis amusé c’était le Zoopsie de Marthe Lagache au début des années 90. Puis il y a eu le Baron durant l’hiver 2004-2005.
Quel est selon vous l’écrivain qui a le mieux écrit sur la nuit ?
Le livre qui m’a donné envie de sortir était un roman de Christopher Franck : « La nuit américaine » adapté au cinéma par Zulawski sous le titre « L’important c’est d’aimer » avec Romy Schneider. C’est un beau souvenir mais je ne l’ai jamais relu depuis 1976.
Racontez-nous en détails votre plus beau souvenir de fête (littéraire ou non)
Le meilleur c’est toujours le dernier. Celui-ci est frais, il date de moins d’une semaine il ne s’agit pas à proprement parler d’une soirée mais d’un dîner chez des gens dont j’ignorais tout. Je suis arrivé une heure en retard avec un réel souci de pantalon. Le penne de ma ceinture avait sauté et ma boucle a littéralement explosé sous l’œil (classiquement impassible) d’un majordome asiatique ; je tiens pourtant à signaler que je suis mince en ce moment. Sinon il s’agissait de l’appartement le plus spectaculaire qu’il m’a été donné de visiter à Paris. Une sorte de succursale du Dakota building perché en haut d’un hôtel du quai d’Orléans à peu près enface du restaurant La Tour d’argent ; une des rares terrasses du quai avec celle de l’ancien appartement d’Helena Rubinstein. Eugenia, la recevante que dans mon trouble j’ai d’abord pris pour la duchesse d’Albe (avant de me rappeler que la vraie duchesse d’Albe est née en 1926), puis pour une ancienne patineuse artistique russe, puis pour les deux en même temps, nous a donné un cours de flamenco dans un salon néogothique en boiserie sombre orné d’une cheminée pour tronc d’arbres et d’un paravent Corromandel taille XXL. Les invités étaient tous formidables. Un marchand d’armes homosexuel ; un petit-fils du bey de Tunis ; un colonel qu’on surnommait « l’amiral » depuis un dîner en blazer avec un président des Comores ; plusieurs chasseurs de grands fauves ; la bienveillante Eléonore de la Rochefoucauld ; un jeune artiste d’une cinquantaine d’années (comme moi) qui dessinait des bijoux en forme de dents humaines ; Hermine de Clermont Tonnerre qui racontait qu’elle avait dû faire reteindre en blanc son bichon par (Alexandre) Zouari à cause d’une blague que lui avait faite je ne sais quel Lichenstein en le peinturlurant en rose et vert pendant ses vacances…
Le meilleur c’est toujours le dernier.
J’oubliais une autre voisine ravissante et candide sous son lift qui me montrait des photos de son bichon blanc à elle sur la phototèque de son Blackberry et que je ne connaitrai jamais autrement que sous le nickname qu’on lui prêta au moment d’appeler les taxis : « la petite de l’avenue Foch » … et J.A. bien sûr, mon cheval de Troie très inquiète de mon débraguettage inaugural. J.A. est trop jeune pour avoir lu et envié comme moi l’oraison funèbre que l’hebdomadaire Minute, avait offerte à un célèbre cinéaste et poète italien: Pasolini est mort comme il avait toujours vécu, la braguette ouverte…
Irez-vous tous les jours boire votre verre au Flore, comme votre prix vous en donne l’opportunité ? Avec qui ?
Trop absent de Paris, j’ai l’intention de confier à mes vieux parents voisins et clients depuis les années 50 le soin de vider la cave du café de Flore.
Propos recueillis par Florence Valencourt.
Simon Liberati, L’Hyper Justine, Flammarion. Prix de Flore 2009.