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03.02.2025 Paris #art

Prune Nourry

Vénus des temps modernes

« La sculpture est mon langage, mon ADN.« 

Prune Nourry a consacré sa carrière artistique à évoquer les droits et le statut des femmes sur les plans sociopolitique, anthropologique et culturel. Sa vaste gamme de projets l’a vue se pencher sur le corps féminin et la procréation, la sélection du sexe à la préférence masculine et réfléchir sur sa propre expérience du cancer du sein.

 

Elle a réimaginé l’armée de terre cuite de Xi’an, en Chine, en version féminine, et son œuvre sculpturale de 108 femmes soldats est préservée dans un lieu secret en Chine jusqu’en 2030. Elle a également réalisé une installation sculpturale en collaboration avec l’université Obafemi Awolowo, au Nigeria, avec les visages de filles kidnappées par le groupe terroriste Boko Haram en 2014.

 

Son exposition Vénus à Templon revisite la représentation des femmes dans la statuaire préhistorique, en lien avec sa commande pour la station de métro Saint-Denis Pleyel en 2026. Dans la salle principale se trouve une série de huit sculptures féminines en terre cuite inspirées de victimes de violences que Nourry a rencontrées via l’association La Maison des Femmes, basée à Saint-Denis.

 

 

Pourquoi avez-vous choisi d’étudier à l’École Boulle ?

PRUNE NOURRY:

C’est une école d’artisanat consacrée à l’apprentissage et la maîtrise des savoir-faire en trois ans et je me suis concentrée sur la sculpture car je savais que je voulais être sculptrice. Je me suis intéressée à plein de matériaux différents mais je voulais apprendre avec le bois parce que c’est un des plus difficiles à travailler, donc c’est bien pour apprendre avant de passer à d’autre chose. En fonction de chaque projet, je travaille avec des artisans spécialisés, sur des matériaux différents que je ne connais souvent pas, même si j’aime bien commencer avec l’argile, mon matériau de prédilection. La sculpture est mon langage, mon ADN.

 

Vous vous focalisez sur les droits humains, notamment ceux des femmes, dans votre travail…

PRUNE NOURRY:

Je pense que la France est un des derniers pays en Europe où l’on parle de droits de l’homme et non pas de droits humains ! Je dirais que les mots-clés dans mon travail sont les mythes de la création, les mystères de la procréation et l’équilibre dans le sens large à l’échelle sociétale, démocratique et environnementale, et à propos du corps, de la santé et de l’interdépendance des deux sexes. C’est pourquoi la terre et les femmes m’intéressent, tout comme le déséquilibre des genres dû à la préférence masculine.

 

Dans votre exposition Vénus chez Templon, les huit sculptures près de l’entrée font référence à votre projet pour la future station de métro Saint-Denis Pleyel par l’architecte Kengo Kuma. Comment avez-vous abordé cette commande de José-Manuel Gonçalvès, directeur artistique du Grand Paris Express ?

PRUNE NOURRY:

J’ai pensé ce projet comme un macrocosme pour représenter les femmes de Saint-Denis à travers toutes ses associations. J’ai commencé par rencontrer de nombreuses associations féminines, des professeurs de collège et le service culturel de la mairie pour réfléchir à la manière d’apporter une dimension collective au projet. Nous avons imaginé La Terre qui m’est Chair, un projet qui a débuté le 29 janvier et qui va durer neuf mois. C’est un point de collecte pour des échantillons de terre que les femmes souhaitent partager, comme certains provenant du Maroc d’où sont issus leurs grands-parents, et nous allons intégrer ces échantillons de terre dans les sculptures qui seront installées dans la station.

 

Il y aura 108 sculptures de taille humaine (1m70) basées sur les huit modèles exposés chez Templon. Elles sont inspirées librement de Vénus préhistoriques et vont représenter les femmes de Saint-Denis. Il y a environ 14 teintes de peau de terre – ocre, jaune, rouge, blanc, noir…, donc aucune forme n’a deux fois la même teinte. Ce qui est assez fou avec cette période gravettienne [entre 32 000 et 24 000 ans], c’est que 90 % des représentations humaines étaient des représentations féminines.

Vous avez collaboré avec l’association La Maison des Femmes, qui soutient des victimes de violence, et avez créé des sculptures en argile de huit femmes. Comment cette collaboration est-elle née ?

PRUNE NOURRY:

En rencontrant toutes ces associations, je voulais m’ancrer dans Saint-Denis et entamer une collaboration particulière, à une échelle plus micro et intime, avec La Maison des Femmes. Sa fondatrice, Ghada Hatem [gynécologue-obstétricienne], m’a ouvert ses portes. L’association organise des ateliers de danse, de lecture et de théâtre, où j’ai rencontré quelques femmes et leur ai demandé de me contacter si elles étaient intéressées à poser pour moi. Huit femmes ont répondu favorablement. Je les ai sculptées par la suite dans l’atelier que la mairie m’a prêté pendant quelques mois au cœur de Saint-Denis, à la Villa D, un ancien foyer pour jeunes filles destiné à devenir un centre d’art.

 

C’était très courageux de leur part [de poser nues pour moi] car cela signifiait surmonter leur trauma physique ou psychique, et tous les tabous sociaux. Elles sont venues poser plusieurs heures d’affilée, plusieurs jours de suite, pour que je puisse sculpter leur corps de manière inspirée par les Vénus préhistoriques. Même si ces Vénus étaient très figuratives à l’époque, elles étaient relativement abstraites selon les standards actuels, ce qui m’a permis de préserver l’anonymat de ces femmes. Pour moi, c’était très important de partir d’une structure en fer, comme un squelette sur lequel je pouvais ajouter de l’argile pour sculpter au fur et à mesure. C’était un peu comme si je sculptais grâce à leurs mots, à leurs histoires, en les écoutant. L’exposition va déménager au Musée d’art et d’histoire Paul-Éluard à Saint-Denis pour six mois [du 21 mars au 21 septembre 2025].

Pour la troisième partie de votre exposition, vous avez créé une installation à partir de moules issus des ateliers de moulage du GrandPalaisRmn à Saint-Denis…

PRUNE NOURRY:

C’est une autre manière sur laquelle je voulais travailler à propos de la représentation des femmes dans l’histoire de l’art. Je voulais voir ce qui avait été fait dans l’histoire de l’art, jusqu’au XIXe siècle, à travers les moules de la collection du GrandPalaisRmn.

 

Votre exposition Amazone Érogène au Bon Marché en 2021 – avec des flèches tirant sur deux cibles en forme de seins – était une réflexion sur votre expérience du cancer du sein ainsi que sur la procréation. Quel changement cela a-t-il provoqué dans votre travail ?

PRUNE NOURRY:

Peut-être qu’auparavant, je traitais des sujets d’une manière presque semblable à celle d’un anthropologue. Depuis ma maladie, j’ai compris que lorsqu’on est malade, on est forcément amené à être subjectif. Je sais donc maintenant qu’il y a une dimension de subjectivité dans ma façon de travailler et d’aborder un projet.

 

 

Prune Nourry : Vénus est à la galerie Templon, 28 rue du Grenier Saint-Lazare, 75003 Paris, jusqu’au 1er mars 2025. L’artiste dédicacera des exemplaires de son nouveau livre monographique, Corpus, publié par les Éditions de La Martinière, à la galerie Templon le 13 février 2025, à 18 heures.

 

 

Propos recueillis par Anna Sansom

 

Photos : Laurent Edeline

 

 

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